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Qui étaient vraiment Louis X, Philippe V et Charles IV, les derniers Capétiens ? Réponse avec Christelle Balouzat-Loubet [Interview]

Agrégée d’histoire, Christelle Balouzat-Loubet est actuellement maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Lorraine (Nancy). Elle a soutenu en 2009 une thèse sur Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois. C’est ainsi qu’elle a été amenée à « rencontrer » les derniers Capétiens et à s’intéresser à leurs règnes qu’elle évoque dans son dernier livre, Louis X, Philippe V, Charles IV, les derniers Capétiens, qui vient de paraître aux éditions Passés composés.

Si les trois fils de Philippe le Bel, qui régnèrent de 1314 à 1328, sont connus grâce aux livres de Maurice Druon et à la série qui en a été tirée – Les Rois maudits–, que savons-nous réellement de la vie et de l’action des derniers Capétiens ? La fiction a certes retenu les frasques de leurs épouses dans la tour de Nesle ou la supposée malédiction lancée depuis son bûcher par Jacques de Molay, mais la place de leurs règnes mérite en réalité d’être réévaluée. Pour comprendre la politique de Louis X (1314-1316), Philippe V (1316-1322) et Charles IV (1322-1328), et la dynamique qui entraîne la fin d’une dynastie qui régna sur la France pendant plus de trois siècles, l’auteure s’empare des pièces à la disposition de l’historien. Elle montre alors qu’en parachevant l’œuvre de leur père, les trois frères ont, chacun avec leur personnalité, posé les fondements de la France des Valois et comptent eux aussi parmi les artisans de la construction de la monarchie française.

Louis X, Philippe V, Charles IV, les derniers Capétiens – Christelle Balouzat-Loubet, éditions Passés composés, 19 €.

Breizh-info.com : Pourquoi les portraits des trois fils de Philippe le Bel étaient-ils à reconstruire ? Qu’est-ce qui explique finalement le peu de cas fait de la vie de Louis, Philippe et Charles, Rois maudits exceptés ?

Christelle Balouzat-Loubet : Les travaux sur ces trois rois sont restés assez rares jusqu’à une période récente, ce n’est que dans le dernier quart du XXe siècle que des travaux d’ampleur leur furent consacrés. Il faut dire qu’ils n’ont régné que 14 ans à eux trois, et qu’ils ont souffert de la comparaison avec d’autres grandes figures de l’époque médiévale comme Philippe Auguste, Louis IX et, surtout, Philippe IV, leur père. Le premier fut un roi conquérant, qui a multiplié par quatre la superficie du royaume ; le second, canonisé en 1297, se croisa par deux fois et instaura dans le royaume la paix et la prospérité ; quant à Philippe IV, « roi de fer », il participa à l’affirmation de la souveraineté royale, en particulier en imposant son autorité face au pouvoir pontifical. Louis, Philippe et Charles font donc pâle figure face à ces illustres ancêtres qui menèrent des actions éclatantes au profit du royaume. Ces trois rois paient aussi le fait d’avoir été les trois derniers Capétiens directs : ils portent la responsabilité de l’extinction d’une lignée prestigieuse, et, comme souvent, cette fin est associée à l’idée d’un déclin, d’une crise.

Breizh-info.com : En quoi leur action fut-elle déterminante pour la construction de l’État médiéval en France ?

Christelle Balouzat-Loubet : Louis X, Philippe V et Charles IV se sont placés dans la continuité de leurs père et arrière-grand-père, contribuant à ancrer le fonctionnement des institutions royales en plein renouveau depuis la deuxième moitié du XIIIe siècle. Philippe V, en particulier, a multiplié les ordonnances réglementant le Parlement, le Conseil, la Chambre des comptes ou encore l’Hôtel royal. Comme leurs illustres prédécesseurs, ils ont gouverné par l’enquête, contribuant à l’affirmation de la souveraineté royale dans toutes les régions du royaume. Mais ce sont finalement les deux crises successorales de la période, en 1316 et 1328, qui ont largement contribué à la construction de l’État en contraignant les contemporains à fixer pour la première fois les règles d’accession au trône. En 1316, il est admis qu’une femme ne peut prendre la tête du royaume de France ; en 1328, il est décidé qu’une femme ne peut pas non plus transmettre la couronne à son fils. Toutes ces décisions, à l’origine conjoncturelles, vont finalement faire jurisprudence et être validées par l’exhumation de la loi salique en 1358.

Breizh-info.com : Quels sont les traits de caractère et de comportement qui lient Louis X, Philippe V et Charles IV ?

Christelle Balouzat-Loubet : Répondre à cette question est très difficile pour la période considérée car les historiens ne disposent d’aucun document personnel (journal, correspondance par exemple) qui permettrait de cerner précisément les opinions, les ambitions ou la personnalité des trois frères. Nous ne pouvons donc que nous livrer à des suppositions, deviner qui ils étaient vraiment au travers de leurs actions. Nous savons néanmoins que les trois hommes ont reçu l’éducation qui était celle de tout prince au tournant des XIIIe et XIVe siècles. Préparés à la guerre et au gouvernement, ils sont imprégnés de l’éthique princière présentée dans les Miroirs aux princes, en particulier celui rédigé par Gilles de Rome à l’intention de leur père. Bons chrétiens, ils sont également élevés dans le respect des valeurs chevaleresques, qu’ils incarnent après leur adoubement en 1313.

Cela dit, malgré leur éducation commune, les trois frères semblent avoir des caractères bien différents. De Louis, on sait qu’il était « Hutin », querelleur, mais de Philippe (le Long) et de Charles (le Bel), les contemporains n’ont retenu que le physique. Les actions qu’ils ont menées à la tête de royaume suggèrent que Louis et Charles, très proches de Charles de Valois, leur oncle, étaient facilement influençables. Philippe avait davantage l’envergure d’un homme de gouvernement. Il fut le seul des trois à initier de véritables réformes à la tête de l’État et à endosser pleinement la fonction royale.

Breizh-info.com : Finalement, ces trois rois ont-ils été maudits ?

Christelle Balouzat-Loubet : La supposée malédiction de ces trois rois est un thème qui apparaît dans les sources littéraires très peu de temps après la fin de la dynastie capétienne. Il s’agit en fait pour les contemporains de comprendre l’incroyable infortune des trois frères et, dans un royaume fort imprégné de morale judéo-chrétienne, il paraît évident que leurs malheurs sont l’expression d’une punition divine. En l’occurrence, ils auraient payé les fautes de leur père, qui se serait livré à des manipulations monétaires excessives et aurait injustement attaqué l’ordre des Templiers. En réalité, cette succession de malheurs qui frappe la dynastie capétienne n’a rien que de très commun pour l’époque. Comme leurs contemporains, Louis, Philippe et Charles voient leur descendance touchée par une forte mortalité infantile qui, par exemple, prive Philippe de son jeune fils. Cet état de fait est aggravé par la courte durée de leurs unions, qui ne leur permet pas d’engendrer de nombreux enfants. Louis et Charles, en particulier, sont privés d’épouses pendant plusieurs mois pour l’un, plusieurs années pour l’autre, à la suite de l’affaire de la Tour de Nesles.

Breizh-info.com : En quoi marquent-ils le début de la dynastie des Valois (ou les prémices) ?

Christelle Balouzat-Loubet : Les derniers Capétiens lèguent tout d’abord aux Valois des institutions solides, sur lesquelles va s’appuyer et se poursuivre la construction de l’État. Ils leur laissent aussi une situation tendue avec l’Angleterre, accentuée par la crise dynastique de 1328 : Édouard III, roi d’Angleterre, est fort mécontent d’avoir été écarté du trône alors qu’il était par sa mère le plus proche cousin de Charles IV. Il en conçoit une rancune qui contribue au déclenchement de la guerre de Cent Ans.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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