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Inde. Contesté, le gouvernement nationaliste conserve un large soutien populaire

Le BJP, le parti national-libéral dirigé par le premier-ministre Narendra Modi, a essuyé une défaite électorale dans la capitale du pays : le 8 février, le sortant Arvind Kejriwal, populiste de gauche, l’a emporté largement avec 53.57 % à New-Delhi, dont il reste le gouverneur. Le BJP est arrivé deuxième avec 38.5 %. Une défaite attendue par les observateurs et qui contraste avec la victoire haut la main du BJP un an plus tôt au niveau national. En 2019, Modi avait été reconduit à son poste en obtenant 45 % des suffrages et la majorité absolue des sièges pour son seul parti. Une performance dans cette démocratie aux partis aussi innombrables que les divinités.

Le prix de l’oignon atteint des niveaux insupportables

La cause profonde de cette défaite, c’est le ralentissement de l’économie indienne. La croissance du PIB est tombée à + 5 %, son plus mauvais score depuis 10 ans. Un chiffre qui serait vu comme flatteur en Europe, mais qui ici est insuffisant pour assurer le minimum à une population en forte croissance démographique. L’inflation est élevée (+7.5 %), rognant le pouvoir d’achat. La hausse de quelques centimes du kg d’oignon suffit à plonger dans l’angoisse des centaines de millions de petits revenus.

Au début du mois, Nirmala Sitharaman, le ministre des finances, a exposé pendant deux heures quarante sa stratégie de relance devant le parlement : baisse des impôts sur les entreprises et les ménages ; financement pour 1300 milliards d’euros de 6500 projets d’infrastructures dans le pays (dont 100 nouveaux aéroports – tant pis pour le climat !), investissements dans les villages qui emploient encore la moitié de la population active…Tant pis pour le déficit budgétaire (un peu plus de 3 % du PIB, un niveau équivalent à celui de la France , pour un montant de dettes se montant à 67 %  du PIB contre 100 % en France). La vente des bijoux de famille permettra, espère le ministre, de contenir l’endettement. Ainsi Life Insurance Corporation of India, la compagnie d’assurances nationale aux 290 millions de clients (258 milliards d’euros en assurance-vie !) serait mise en bourse.

Ces deux heures quarante d’exposé n’ont guère convaincu l’opposition. Rahul Gandhi, le chef du parti du Congrès, a évoqué en réponse la nécessité de « réformes structurelles » plus ambitieuses, pour répondre aux inquiétudes de la jeunesse sur son avenir.

Une loi discriminant les musulmans cristallise l’opposition au gouvernement BJP

Mais ce n’est pas sur le sujet des mesures économiques à prendre que s’est rassemblé l’opposition. C’est sur une loi votée le 11 décembre 2019 par la majorité BJP : elle facilite l’acquisition de la nationalité aux immigrés de religion hindoue, chrétienne ou bouddhiste. Les immigrés de religion musulmane sont exclus des bénéfices de cette loi.

Cette discrimination est dans la logique de l’idéologie du BJP. Ce dernier se veut le défenseur de l’Inde classique, celle qui a écrit les Védas et inventé le zéro, celle d’avant la conquête musulmane du Moyen-Âge. Même le Taj Mahal, bâti par un empereur musulman pour son épouse préférée, est détesté par toute une frange de la population hindoue : la ministre régionale du tourisme de l’Uttar Pradesh l’a retiré du guide rédigé par ses services. Plus actuel, le conflit insoluble avec le Pakistan voisin ravive la tension hindouisme/islam.

Mais cette vision n’est pas partagée par tous les Indiens. La nouvelle loi est contestée dans les universités et dans la rue par tout ce qui n’est pas BJP : le Parti du Congrès, l’autre grand parti, laïc et favorable aux minorités et aux basses castes ; les deux partis communistes, très staliniens qui dirigent sans faire couler de sang des territoires plus peuplés que bien des pays européens ; divers partis régionalistes, inquiets du jacobinisme BJP ; les organisations de la minorité musulmane (14 % de la population en Inde, en croissance, contre moins de 2 % d’hindous au Pakistan, en diminution constante).

Ces manifestations se sont déroulées parfois dans la violence, et les slogans ont été sans nuance : « A bas le fascisme, à bas ! » a été le plus repris par la foule. « Ne vous faites pas mener en bateau » a répondu Modi, tandis que ses partisans évoquaient une désinformation et la main du Pakistan derrière les manifs. Une Norvégienne et un Allemand qui avaient rejoint les cortèges par antiracisme ont été arrêtés par la police et expulsés du pays.

Le BJP, parti le plus populaire de la plus grande démocratie du monde

Ces excès ne doivent pas faire oublier la solidité de la démocratie indienne. Le BJP est en difficulté, mais pas aux abois.

Le correspondant de Radio France Internationale s’emballe un peu quand il rend compte de l’élection de New-Delhi en titrant sur une « cuisante défaite » pour le parti gouvernemental : celui-ci a amélioré son score 6.5% par rapport au précédent scrutin. De plus, New-Delhi n’est pas l’Inde. Ainsi un sondage de décembre 2019 pour le groupe de presse ABP établissait que 62 % des Indiens soutenaient la loi restrictive sur la nationalité, qui correspond à une vraie demande populaire chez les hindous.

Cette loi n’a vraisemblablement pas pour but de déclencher une guerre de religion. Le génie de l’hindouisme, c’est sa piété à l’égard du sacré, de tous les sacrés, de peur d’offenser un dieu inconnu. A Lourdes, en plein cœur des Pyrénées, on peut voir chaque année de grandes dames en sari invoquer Marie et placer leur famille sous sa protection.

Pour les partisans indiens de cette loi, il s’agit d’une mesure défensive. Ils argumentent que les restrictions ne concernent que les musulmans venus de pays étrangers (principalement l’Afghanistan, le Pakistan et le Bangladesh), pas ceux qui restés en Inde à l’indépendance. Elle est destinée à aider des populations persécutées pour leur foi et n’ayant plus de foyer national. Or avancent les partisans du gouvernement, un musulman ne saurait être persécuté pour sa foi par ses coreligionnaires. Un argument bien sûr fallacieux, car des affrontements intermusulmans ont bien lieu de façon récurrente au Pakistan : le mauvais génie du monothéisme dévore ses propres enfants. En réalité, le gouvernement BJP veut surtout éviter un appel d’air migratoire.

Car là est la grande bizarrerie qui n’a pas été relevée par les manifestants et les médias internationaux qui dénoncent le gouvernement BJP et son intolérance : l’Inde de Modi reste attractive pour nombre de Pakistanais qui vivent dans le désordre, la corruption et l’incompétence. La vie d’un musulman moyen est plus facile en Inde qu’au Pakistan. C’est si vrai que la loi Modi est soutenue par 35 % des musulmans de nationalité indienne ! L’Inde devient intolérante pour ne pas être trop attractive !

Yffic

Crédit photo : DR
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