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Laurent Alexandre : « N’adorez pas les idoles apocalyptiques qui vont bousiller vos vies et finir par vous mettre sous Prozac » [Interview]

Laurent Alexandre est un chirurgien-urologue, essayiste, et entrepreneur français. Fondateur du site web Doctissimo, il s’intéresse au mouvement transhumaniste et aux bouleversements que pourrait connaître l’humanité, conjointement aux progrès de la science dans le domaine de la biotechnologie. Son dernier livre, co-écrit avec Jean-François Copé, est L’IA va-t-elle aussi tuer la démocratie ? Laurent Alexandre s’est entretenu en juillet 2019 avec Grégoire Canlorbe, journaliste scientifique, qui nous a autorisé à diffuser cette interview sur Breizh-info.

Grégoire Canlorbe : On se souvient que Nietzsche voyait dans le contrôle des naissances, ainsi que dans la non-assistance envers les éléments manifestement trop faibles (au plan des aptitudes physiques ou mentales), un aspect incontournable de la culture du surhumain qu’il appelait de ses vœux. En tant que transhumaniste supposé, regrettez-vous l’effondrement du mouvement eugéniste dans les années 1950 ?

Laurent Alexandre : Je ne crois pas que les années 1950 soient une période de recul de l’eugénisme, elles sont bien plutôt une période de mutation de l’eugénisme. Quand Julien Huxley invente le mot « transhumanisme » en 1957, c’est aux fins de créer un eugénisme de gauche… c’est-à-dire, un eugénisme égalitaire. Les années 1950 n’ont donc pas vu reculer l’eugénisme après les horreurs du nazisme : elles ont vu l’eugénisme de droite muter en un eugénisme de gauche, baptisé « transhumanisme » par Huxley.

Grégoire Canlorbe : La responsabilité alléguée des émissions carboniques humaines dans le réchauffement contemporain est un sujet propice à faire monter la température dans les débats. Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre réévaluation prométhéenne (ou faustienne) de la politique climatique : à savoir une réévaluation qui ne nie pas la nécessité d’atténuer l’effet de serre supposément lié aux émissions de CO2, mais qui entend concilier action climatique, domination industrielle et cognitive de la nature, et jouissance matérialiste ?

Laurent Alexandre : Contrôler les émissions de CO2 va être incroyablement compliqué. On va passer plusieurs décennies très difficiles. Et si, comme je le crois, il y a un lien entre CO2 et climat, on ne va pas pouvoir réduire les émissions de CO2 avant 2050. On va avoir des soucis climatiques sans doute jusqu’à la fin du siècle.

Première raison à cela, les collapsologues surestiment l’acceptation par le corps social d’une politique de réduction du CO2. On a vu ce que signifie une toute petite baisse du pouvoir d’achat des Gilets jaunes pour lutter contre l’effet de serre : on imagine ce que donnerait une baisse de 30 à 40 % du pouvoir d’achat des classes populaires. On aurait une vraie révolution, qui serait vraisemblablement une révolution d’extrême droite plutôt qu’une révolution d’extrême gauche dans le contexte actuel. Une politique décroissantiste sera donc très difficilement acceptée… et l’on voit bien que tous les sondages montrent justement que la priorité des Français est le pouvoir d’achat avant la transition écologique.

Du reste, comme le monde écologique s’est bâti sur le combat anti-nucléaire, les stratégies qui sont défendues à l’heure actuelle ne sont pas vraiment des stratégies de réduction du CO2. Ce sont, en réalité, des stratégies de sortie du nucléaire – qui ont pour conséquence une non-baisse, sinon une augmentation, du CO2. Cela est évident dans le discours écologique en France : on voit que Jadot, cette semaine encore [semaine du 1er juillet 2019], réclame la fermeture du nucléaire. Or, tant que les énergies renouvelables intermittentes ne seront pas associées à des systèmes de stockage de l’électricité, la fermeture des centrales nucléaires et l’arrivée des éoliennes et des panneaux photovoltaïques se traduiront – dès qu’il n’y a pas de vent ou qu’il n’y a pas de soleil – par un allumage de centrales au gaz qui produisent plus de 400 grammes de CO2 par kilowatt produit.

La stratégie écologique qui est privilégiée aujourd’hui est donc une stratégie d’augmentation du réchauffement climatique. Les écologistes de 2019 sont les pires ennemis du climat en raison du fait qu’ils confondent deux objectifs : un objectif fantasmatique ancien qui est la sortie du nucléaire, et la lutte contre le CO2. Il y a quelques écologistes qui échappent à ce dilemme néanmoins : c’est le cas de Jancovici, qui est pour le nucléaire. C’est aussi le cas d’Aurélien Barrau dont je dois bien reconnaître, même si je le critique sur ses aspects malthusiens, qu’il est plutôt pro-nucléaire dans son dernier livre… ce qui, au vu de la mouvance à laquelle il appartient, est très courageux de sa part. Il reconnaît qu’il y a débat sur le sujet, et que tirer un trait sur le nucléaire est un peu compliqué d’un point de vue climatique.

Troisième point, les partis verts sont malthusiens. À ce titre, ils refusent la recherche sur les technologies qui permettraient d’accélérer la transition énergétique : ils souhaitent bloquer la science et la technologie. Or le freinage technologique est absolument incompatible avec le fait de trouver des solutions au changement climatique, lesquelles aujourd’hui ne sont pas du tout faciles à identifier. Quatrième et dernier point, une bonne partie des écologistes nous conduisent au casse-pipe et vont favoriser les extrêmes. Je songe à un Aurélien Barrau ou un Cochet qui proposent que nous arrêtions de faire des enfants, tout en laissant libre cours à la démographie en Afrique.

Barrau explique très bien que c’est à nous de faire des efforts, et qu’il serait colonialiste de notre part de vouloir réguler la démographie dans les pays du Tiers-Monde ; que nous devons respecter leurs habitudes sociales. Cochet va même un peu plus loin, en proposant que nous cessions de faire des enfants pour céder la place aux migrants en Europe. Ces réflexions ethno-masochistes vont droit dans le mur : elles vont conduire au pouvoir la droite nationaliste et l’extrême droite, lesquelles ne sont pas vraiment très ecology-friendly. La lutte pour la baisse du CO2 est donc d’autant plus compromise qu’en poussant jusqu’au bout cet axe ethno-masochiste, les écologistes ne font que favoriser l’arrivée au pouvoir de gens qui ne sont pas eco-friendly.

Grégoire Canlorbe : Il n’est pas rare d’imputer le prométhéisme historique des peuples européens au mandat biblique de dominer la nature et de prendre le relais de la création divine ; d’autres analyses en situent l’origine dans la personnalité modérément psychopathique des Européens… supposément héritée des conquérants proto-indo-européens qui ont propagé leurs gènes et leur mentalité dans le quatrième millénaire avant Jésus-Christ.

Selon vous, d’où vient donc l’âme prométhéenne de l’Europe – qu’elle semble malencontreusement renier dans la « guerre des intelligences » en cours avec les nations mongoloïdes de l’Asie de l’Est ?

Laurent Alexandre : Je pense que la dimension socio-culturelle est plus importante que la race dans le progrès technique et cognitif. Il suffit de constater la parenthèse survenue – à partir de 1450 jusqu’en 1980 – dans le développement de la Chine… alors même qu’elle était la première puissance technologique mondiale. Il est bon de rappeler à quel point Gutenberg n’a pas inventé grand chose, sachant qu’en réalité, l’imprimerie et le papier avaient été inventés plusieurs centaines d’années auparavant en Chine, le papier vers 250 après Jésus-Christ, et les caractères mobiles vers 1050. On voit comment un facteur socio-culturel – l’arrivée d’un empereur qui a interdit le commerce et les grands bateaux – a donné lieu à une éclipse de la Chine sur plusieurs siècles… avant sa remontée en puissance.

Sur la question du prométhéisme, j’aurais donc plutôt tendance à croire en des facteurs socio-culturels qu’en des explications racialistes, lesquelles ne me semblent pas vraiment fondées. Aujourd’hui, l’on voit bien que l’effondrement technologique de l’Europe est lié à un facteur culturel : l’arrivée d’une génération anti-science, anti-technologie, malthusienne… et puis, masochiste sur le plan géopolitique. Un phénomène auquel s’ajoute celui d’une classe politique dont le niveau est faible ; et ce, parce qu’il n’y a plus aucun bénéfice secondaire à faire de la politique : l’on est mal payé, l’on est mal considéré, et l’on a un risque pénal permanent. Des conditions institutionnelles ont été mises en place, qui font que l’on a une mauvaise classe politique en France et dans d’autres pays européens.

S’agissant de la religion catholique, elle est ambivalente… vu que celui qui domine la nature, et qui écoute donc le serpent de la connaissance, doit être puni en conséquence. En réalité, je ne suis pas sûr que l’idéologie chrétienne ait favorisé une relation prométhéenne à la nature ; cela me paraît discutable. Certes, l’on a longtemps cru que c’est parce que la religion protestante favorisait la lecture de la Bible que des taux d’alphabétisation plus élevés pouvaient s’observer dans le monde protestant. Ou encore, que c’est parce que l’imprimerie permettait la diffusion et la lecture de la Bible qu’un christianisme plus conquérant et plus favorable au business a pu voir le jour sous la forme du protestantisme.

Il s’est avéré que la causalité était inversée. Depuis deux ou trois décennies, des travaux historiques ont montré que ce n’est pas la diffusion de la Bible qui faisait que les gens lisaient plus : ce sont les gens qui étaient les plus alphabétisés et les plus intellectuels qui se sont largement convertis à la religion protestante. La causalité était donc sociale et éducative ; ce n’était pas une causalité religieuse.

Grégoire Canlorbe : Dans l’Europe traditionnelle, la mobilité sociale récompensait – tant bien que mal – la prouesse militaire, économique, ou cognitive des individus d’exception… ce qui contribuait assurément à la supériorité du monde blanc. À mesure que l’élite européenne est devenue une élite de diplômés, les « bons élèves » ont immanquablement remplacé les génies de la guerre, les entrepreneurs chevaleresques, et les autistes newtoniens. Sous ces conditions, le fait d’intervenir sur le génome de l’embryon saurait-il vraiment suffire à redresser l’Europe au plan culturel et cognitif ?

Laurent Alexandre : Il est clair que de toute manière, l’épicentre de l’eugénisme se situe davantage en Californie – et a fortiori en Chine – qu’en Europe. Les technologies de sélection ou de modification embryonnaire risquent d’être encouragées essentiellement en Asie… et de se voir très largement contrôlées, si ce n’est interdites, en Europe inversement.

Les pays eugénistes qui chercheront à favoriser la montée en gamme cognitive de la population par voie génétique seront vraisemblablement des pays du Pacifique… comme la Corée du Nord, le Japon, et surtout la Chine où a pu exercer – même s’il a été réprimandé, et qu’il n’est pas impossible qu’il s’expose à des sanctions ex post – le chercheur qui a effectué les trois premières manipulations génétiques sur embryons. Ces expérimentations, He Jiankui ne les a pas menées en Californie où cela aurait été interdit… il les a faites en Chine. En Europe, l’enjeu pour nos gouvernements ne va pas être de modifier notre génome à des fins géopolitiques ; cela va être de l’interdire. Et il n’est pas impossible que cette décision se traduise par une accélération du déclin de l’homme européen…

Grégoire Canlorbe : Dans une conférence donnée naguère auprès des élèves de Polytechnique, vous affirmez que beaucoup de gens – dont les « Gilets jaunes » – vont devenir « substituables ». Non moins récemment, vous avez également tweeté – en substance – que la France, dans la mesure où la démographie est « reine », est sur le point de devenir majoritairement musulmane… mais que cela est la volonté des Français, lesquels ont choisi l’immigration de masse.

L’essor du populisme, la survie du christianisme paulinien (face aux « hérésies » cosmopolites qui ont gagné le Saint-Siège), et le soutien croissant à la proposition de ré-émigrer les colons allogènes, ne montrent-ils pas justement que le peuple de souche refuse de devenir un troupeau anonyme et interchangeable ?

Laurent Alexandre : Ce que j’ai voulu dire à Polytechnique, c’est que dans une société de la connaissance, les gens moins bien formés vont être substituables par l’intelligence artificielle et la robotique. Dire le contraire serait, bien sûr, politiquement correct, cela n’en demeurerait pas moins un mensonge. Si les Gilets jaunes avaient fait Polytechnique plus Harvard, ils ne seraient pas Gilets jaunes : ils seraient multi-millionnaires dans la Silicon Valley ou à Londres. Dans l’économie de la connaissance, les individus moins bien formés vont avoir de grandes difficultés à s’intégrer sur le marché du travail. Il n’est pas méprisant de dire que l’un des leaders des Gilets jaunes Fly Rider, qui s’est filmé en train d’échouer à faire une addition, ne va pas devenir data scientist. D’ailleurs il s’est vanté de son incapacité à faire une division et a expliqué sur YouTube ses déboires avec les mathématiques de base.

Comment permettre à chacun de s’exprimer et de s’épanouir dans une économie de la connaissance, au fur et à mesure que l’intelligence artificielle progresse, est une vraie question. Et moi qui suis égalitariste, l’échec de l’école à égaliser le niveau intellectuel est quelque chose qui m’angoisse. Je ne vois pas de solution simple. La sélection embryonnaire n’est pas une solution simple : elle a d’énormes conséquences philosophiques et politiques… à commencer par : jusqu’où va-t-on, et où s’arrête-t-on ? Si tout le monde se met à augmenter les capacités cognitives de ses enfants, c’est un toboggan qui ne s’arrête pas, qui est très difficile à réguler. Ce n’est en aucun cas une solution simple et élégante à la cohabitation future de l’homme avec l’intelligence artificielle.

Vu l’incapacité de l’Europe à fermer ses frontières, et l’impuissance de Frontex, je ne crois pas une seconde en la ré-émigration. Elle me paraît d’autant plus improbable au regard du déséquilibre entre la fécondité des européens (qui font très peu d’enfants) et celle des populations d’origine étrangère qui est restée forte : notamment les populations d’Afrique subsaharienne. Or il est clair qu’il se produit une déchristianisation de nos pays. Le pourcentage de catholiques pratiquants s’est effondré dans la plupart de nos pays ; c’est le cas en Irlande, c’est aussi le cas au Québec. Les catholiques ne vont presque plus à la messe… alors qu’ils allaient énormément à la messe jusqu’en 1980. On a donc un phénomène général de baisse de la pratique dans le monde chrétien, tandis que dans le monde musulman, on observe au contraire une augmentation de la pratique.

Pour toutes ces raisons, la religion musulmane va devenir la religion la plus pratiquée en France dans quelques décennies. Il me semble donc suicidaire de présenter Notre-Dame comme l’âme de la France : dans un pays où l’islam s’apprête à devenir la religion dominante, l’on ne peut pas présenter comme l’âme de la France un symbole de la chrétienté. Cela est irréaliste et dangereux.

Grégoire Canlorbe : Vous ne manquez pas de dénoncer le battage médiatique autour de la petite Savonarole du climat… Greta Thunberg devant laquelle s’incline l’anti-Pape François (tandis qu’en son temps, le bon Pape Alexandre VI faisait brûler Savonarole). Quel regard portez-vous donc sur l’idée d’instaurer un délit d’hypocrisie pour les hommes politiques, et les diverses vedettes des médias et du divertissement ? Un délit qui consisterait à adopter un comportement contredisant le discours public que l’on tient…

Je songe à des exemples tels que voler en jet privé lorsque l’on est acteur hollywoodien, tout en dénonçant les émissions humaines de gaz carbonique ; organiser des orgies masculines lorsque l’on est homme d’Église, tout en approuvant l’homophobie de saint Paul ; vivre de sa rente de fonctionnaire dans une université publique lorsque l’on est économiste, tout en dénonçant l’impôt et l’assistanat ; ou encore, vivre à l’écart des allogènes dans un beau quartier lorsque l’on est journaliste ou auteur, tout en prônant la libre-immigration de masse et le « multiculturalisme ».

Laurent Alexandre : Instaurer un délit d’hypocrisie reviendrait à instaurer une dictature. Or nos vices ne sont pas des crimes – la formule n’est pas de moi. L’observation continue des gens et de leur comportement est quelque chose de fort possible à l’heure des réseaux sociaux et de l’informatique telle que l’on la connaît, mais ce n’est pas souhaitable. Poursuivre chaque individu en trouvant une discordance entre son discours et ce qu’il fait est très pratique… très apprécié par l’opinion. Dans le passé, l’on s’est moqué de Hulot « l’hélicologiste » parce qu’il aimait beaucoup les hélicoptères. Mais il serait déraisonnable, à mon avis, d’entrer dans une société de la délation écologiste : il n’y a que les Khmers verts, les Ayatollahs verts, les Savonarole qui seraient enchantés d’entrer dans un monde de délation. 1943, mais en vert.

S’agissant de Greta Thunberg, je suis profondément pacifiste et non-violent : l’idée de brûler ses ennemis politiques (comme l’ont fait les Médicis avec Savonarole… avec la bénédiction d’Alexandre VI) me révulse. En revanche, combattre les Savonarole et les « Grands Moineaux » par la politique me semble nécessaire : il faut combattre les idées mortifères des décroissantistes malthusiens apocalyptiques… même lorsqu’elles sont à la mode. La tâche est difficile, car aujourd’hui, comme le dit Bruno Latour dans Le Monde récemment, l’apocalypse c’est enthousiasmant : on a une émotion qui est donnée aux gens par la perspective apocalyptique. Beaucoup de gens trouvent encore plus amusant d’observer les pulsions de fin du monde que de regarder ce que Leonardo DiCaprio a fait dans le Gala de la semaine dernière.

Un vrai combat se prépare entre les collapsologues et les gens rationnels : ceux qui prêchent la fin du monde et ceux qui cherchent des solutions techniques et pratiques pour régler les problèmes de l’humanité comme on l’a fait depuis longtemps. Il est plus facile de prêcher la venue de l’apocalypse que de diminuer la mortalité par sida ou que de diminuer le CO2. Je fais partie des pragmatiques plutôt que des prêcheurs d’apocalypse ; et ce, parce que je n’ai pas une pensée religieuse. La collapsologie est fondamentalement une idéologie religieuse… mais au lieu de demander pardon à Dieu, l’on demande pardon à la Nature. La collapsologie est une idéologie de rédemption et de culpabilisation à laquelle je n’adhère pas. Je ne crois pas plus à la Transcendance que je ne crois au dieu Gaïa…

Grégoire Canlorbe : On parle certes de « transhumanisme », mais rarement de « transcaninisme » ou « transfélinisme ». Vous semblerait-il judicieux de tenter « l’augmentation » génétique des animaux, de telle sorte que leurs capacités mentales et physiques soient accrues, mais de manière suffisamment faible pour qu’ils ne développent pas l’idée de se rebeller contre notre hégémonie sur la planète ? Par exemple, l’on pourrait apprendre aux fourmis à jouer aux échecs, aux singes à tenir la comptabilité, ou aux teckels à faire régner l’ordre et à prévenir les viols…

Laurent Alexandre : L’augmentation génétique des animaux pose une vraie question. On sait que les Chinois ont procédé à une première manipulation génétique cérébrale sur le singe… avec une augmentation de ses capacités cognitives qui laisse entrevoir l’arrivée, dans quelques décennies, non pas de la planète des singes, mais d’une main-d’œuvre de singes capables d’effectuer des tâches ouvrières et manuelles. Le spécialiste du cerveau Pierre-Marie Lledo disait que l’on se rapproche du moment où un singe pourrait visser des boulons. Mais a-t-on vraiment besoin d’ouvriers singes à l’heure où la robotique et l’intelligence artificielle arrivent ? Je ne le crois pas. Néanmoins l’on risque d’avoir des propriétaires qui voudront des chiots augmentés.

Dès lors, va-t-on faire passer une loi pour interdire le transcaninisme ? Ou bien va-t-on autoriser les gens à avoir des chiens plus intelligents ? On sait que la race canine la plus intelligente est le border collie : sera-t-il souhaitable de laisser les propriétaires d’un berger allemand augmenter génétiquement l’intelligence de leur chien pour qu’elle soit rendue égale à celle d’un border collie ? Sera-t-il souhaitable de rendre un border collie plus intelligent qu’il ne l’est déjà ? Ce sont des questions compliquées… et il assez peu probable que l’on parvienne à un consensus mondial sur le sujet. Les propriétaires parisiens qui voudront un chiot augmenté prendront l’avion et trouveront un paradis génétique canin pour transgresser la loi française.

Grégoire Canlorbe : Selon une vue à laquelle vous semblez souscrire dans un article récent, la nature est au mieux indifférente à notre sort ; au pire une ennemie qui ne souhaite pas la prospérité du genre humain, qui tient en horreur notre technologie et notre industrie, et que nous devons combattre jour après jour pour assurer notre survie et notre bien-être. Une autre opinion est que la nature est certes sadique et impitoyable, mais qu’il s’agit pour elle de tester notre créativité ce faisant… de nous mettre au défi de l’exploiter et de la « violer », et de repousser les limites d’un environnement qui nous est inhospitalier de prime abord.

Lorsque les colonies bactériennes originelles forcèrent les molécules d’eau à se combiner en polypeptides, chaînes de protéines, histones, et nucléotides ; et a fortiori, lorsqu’il y a environ 1,75 milliard d’années après le début de la vie, l’oxygène en provenance des colonies bactériennes se mit à polluer le manteau gazeux (chargé en méthane, monoxyde de carbone, et dioxyde de carbone) de la planète, entraînant conjointement la disparition en masse de la plupart des espèces existantes et l’avènement d’un type nouveau de cellules (dit eucaryote) qui construirait un jour des créatures multicellulaires (telles que des poissons, des lézards, des singes, des canaris, ou vous et moi), la nature elle-même ne transgressait-elle pas « l’ordre naturel » avec lequel nous avons appris à guerroyer ?

Des bactéries originelles aux entrepreneurs de la Silicon Valley et aux chercheurs de Pékin, en passant par les explorateurs de la Renaissance et les conquérants de l’Antiquité, ceux qui défient l’ordre de l’univers – pour la grande cause de l’expansion du cosmos – ne sont-ils pas les enfants chéris de ce même univers pourtant cruel à leur égard ?

Laurent Alexandre : La nature n’est rien. On est un animal darwinien comme tous les animaux… qui est dans une nature qui est sans vision, sans projet, et sans âme. Il se trouve que le hasard génétique nous a dotés d’une intelligence conceptuelle qui nous permet d’être le maître de la nature plutôt que le jouet de la nature. La nature n’est pas intentionnellement sadique, mais elle est parfois bien cruelle : il y a peu de gens qui vont faire des risettes au dragon de Komodo ou au cobra, ou qui sont enchantés quand un virus les terrasse. Notre rapport à la nature, entre les bio-conservateurs et les transhumanistes, va être l’un des axes importants de la reconstruction de la politique dans les décennies qui viennent. Mais une nouvelle dimension, qui n’est pas totalement parallèle à l’axe transhumanisme/bio-conservatisme, va venir perturber la politique : l’axe des collapsologues, qui ne sont pas uniquement des bio-conservateurs.

L’idéologie apocalyptique fout le bordel dans la reconstruction de l’échiquier politique selon l’axe bio-conservateur/bio-progressiste. Elle est un axe inattendu. Personne n’avait imaginé qu’en quelques mois, les prophètes apocalyptiques prendraient autant de voix… notamment en Europe. On va avoir beaucoup de surprise à mesure qu’à l’axe droite/gauche, qui n’est pas encore mort, va s’ajouter l’axe transhumaniste/bio-conservateur qui est en train de se structurer… et qui va devenir très inattendu au fur et à mesure que les nouvelles technologies NBIC vont se développer. Le troisième axe collapsologie/optimisme technologique ne va faire que mettre encore plus d’incertitude dans la réorganisation politique qui est en cours, et qui ne fait que commencer.

Grégoire Canlorbe : En parlant de l’exploration de nouveaux territoires, la conquête spatiale est un sujet qui mérite bien que l’on prenne de la hauteur. Entre les États-Unis d’Amérique libéraux et protestants, et la Chine païenne et semi-communiste, quel est le cadre de vie – au sens large – qui vous semble le plus propice à mettre en marche l’exploration du cosmos… et à instaurer des colonies sur Mars dans un futur plus ou moins lointain ?

Laurent Alexandre : Le XXIe siècle ouvre de nouvelles frontières… dont l’espace, mais pas seulement. Le nano-monde et les nano-tech (jouer avec notre ADN), ainsi que les neuro-tech (manipuler l’âme, le cerveau, la conscience), sont autant de nouvelles frontières ouvertes : le cosmos est certes la plus visible puisque les neurotechnologies sont peu visibles, et les nanotechnologies invisibles pour leur part.

La régulation de l’espace ne sera pas seulement étatique : les OGNI – Objets Géopolitiques Non Identifiés – que sont les GAFA et les BATX n’ont certes pas une souveraineté aussi forte que celle des États traditionnels, ils cochent beaucoup des cases d’un État néanmoins. On voit le projet de Jeff Bezos de mettre en place des stations spatiales voguant dans la galaxie, ou ceux d’Elon Musk et de Richard Branson (qui, certes, ne sont pas des GAFA) d’organiser respectivement la colonisation de Mars et le tourisme spatial. Ce sont autant de structures entrepreneuriales qui acquièrent progressivement des volontés géopolitiques… dont une volonté de contrôle du cosmos. L’on peut dire la même chose de la volonté de Facebook – même s’il ne s’agit pas de l’espace – de créer une nouvelle monnaie d’un genre particulier, le libra, qui est une crypto-monnaie originale par rapport au bitcoin.

Aujourd’hui, le plus avancé en matière spatiale reste les États-Unis, mais la Chine veut dépasser rapidement – potentiellement dans tous les domaines – l’Amérique. Par rapport à la Chine, les États-Unis ont cette particularité qu’il y a des entreprises géantes qui participent à la conquête spatiale. Comment va se jouer la régulation entre la Nasa, l’État fédéral, et puis les nouvelles sociétés privées qui veulent aller dans l’espace : c’est l’un des grands enjeux en géopolitique à l’horizon de 2030. On rejoint le débat général sur la régulation des GAFA et des géants de l’intelligence artificielle. Quant à savoir qui, de l’Amérique ou de la Chine, va assurer le leadership futur dans la conquête spatiale, je pense que personne ne peut le prédire à l’heure d’aujourd’hui.

La population chinoise va-t-elle se révolter contre la surveillance d’État et le crédit social… avec un retour des tentations centrifuges et des guerres civiles qui ont souvent été difficiles en Chine ? Ou bien le Napoléon de l’intelligence artificielle qu’est le président Xi Jinping va-t-il faire de la Chine la première puissance mondiale ? À mon avis, cela est impossible à dire, mais il est clair que la bataille pour le contrôle des technologies est engagée entre l’Amérique et la Chine… avec l’Europe en spectateur impuissant. L’Europe s’est émasculée sur le plan géopolitique, et les collapsologues sont en train de l’achever. La question se pose : les collapsologues sont-ils manipulés – volontairement ou involontairement – par la Chine ?

Grégoire Canlorbe : Merci pour votre temps. Y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter ?

Laurent Alexandre : Message aux jeunes : profitez de la vie, jouissez. N’adorez pas les idoles apocalyptiques qui vont bousiller vos vies et finir par vous mettre sous Prozac.

Sur la question du climat, vous pourriez apprécier également cet entretien accordé par John Christy ; et concernant la « guerre des intelligences » en cours entre l’Occident et l’Asie, cette conversation avec Richard Lynn. Edward Dutton propose une explication intéressante de l’ascension des collapsologues, qui seraient ce qu’il appelle des « mutants malveillants ».

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

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