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Aude Dugast : « Jérôme Lejeune, un grand modèle de laïc scientifique catholique du XXe siècle » [Interview]

Aude Dugast est postulatrice de la Cause de canonisation de Jérôme Lejeune, depuis 2012. Elle en était vice-postulatrice de 2007 à 2012. Elle a publié en 2019, chez Artège : Jérôme Lejeune, la liberté du savant, biographie de référence qui a reçu le 1er Prix du Salon de Tours en 2020. 

Nous l’avons interrogé au sujet de son dernier ouvrage, Jérôme Lejeune, portrait spirituel au fil des vertus (Salvator). On connaît en effet Jérôme Lejeune (1926-1994) pour ses travaux révolutionnaires en génétique, son dévouement au service des patients handicapés mentaux et le courage avec lequel il les a défendus. Mais beaucoup ignorent ses motivations et les ressorts de sa vie spirituelle. Comment ce jeune étudiant en médecine est-il devenu ce grand savant chrétien déclaré vénérable par le pape François et reconnu comme guide par ses amis juifs ou musulmans ? Pourquoi saint Jean-Paul II l’appelait-il « Frère Jérôme » ? Pourquoi tant de jeunes médecins le prennent-ils comme modèle ? Aude Dugast nous décrit de façon vivante ce chemin spirituel. Elle nous offre de connaître le professeur, l’époux et le père de famille plus intimement. Elle montre comment la dynamique des vertus (foi, espérance, charité, force, justice, prudence et tempérance) l’a conduit au plein accomplissement de lui-même. Comment il est devenu fort. Pourquoi il n’avait pas peur. On y voit que l’exercice patient, fidèle et héroïque des vertus, qu’on redécouvre ici avec bonheur, est la clé de la liberté. Que la sainteté n’est pas un rêve spirituel abstrait mais une invitation à l’excellence professionnelle et un chemin de progression intégrale. Ce portrait spirituel et stimulant est le fruit de dix années de recherches.

Entretien avec Aude Dugast

Breizh-info.com : Qui était Jérôme Lejeune ? Quels ont été ses travaux et découvertes majeurs, dans le domaine de la génétique notamment ? 

Aude Dugast : Tout commence pour Jérôme Lejeune en 1952, quand, jeune médecin, il rencontre les enfants qu’on appelle alors mongoliens. Bouleversé par cette rencontre, il décide de leur vouer sa vie, pour trouver les causes de leur affection et trouver comment les guérir. Il s’attelle à cette recherche avec ardeur et, en parallèle, conduit ses premiers travaux sur les effets génétiques des radiations ionisantes, qui le propulsent expert auprès de l’ONU et le désignent dès 1958 aux américains comme le jeune généticien français le plus prometteur. Puis se succèdent toutes les étapes de son travail acharné, dans le service du Pr Turpin, qui permettent la découverte de la trisomie 21 et les suivantes (celle de la Maladie du cri du chat par exemple,). Jérôme Lejeune est rapidement courtisé par l’OMS puis les Etats-Unis, notamment par la Colombia University qui lui offre des ponts d’or en 1959 pour qu’il préside sa 1ere chaire de génétique humaine. Puis l’université française fonde, pour l’en nommer professeur, la première chaire de génétique fondamentale en France, et le nomme doyen de la faculté de médecine des Cordeliers à Paris (aujourd’hui Paris Descartes), où il crée le 1er certificat de cytogénétique en France et celui de génétique générale. Il reçoit ensuite de nombreux prix dans le monde entier, dont le Prix Kennedy et le Allen memorial Award, le plus grand prix de génétique au monde. Il est aussi nommé membre de dizaines d’Académies dans le monde, dont la prestigieuse Académie des Sciences morales et politiques (l’Institut de France) et l’Académie pontificale des sciences. Avant d’être ostracisé par tous ceux qui l’ont encensé, car il refuse de se rendre à leurs arguments eugénistes et préfère prendre la défense de ses petits patients. Au risque de perdre beaucoup. Ce qui advient. 

Breizh-info.com : En quoi était-il intéressant selon vous d’étudier, non pas le médecin, mais la vie spirituelle de l’homme qu’il a été ?

Aude Dugast : Ce grand savant français, réputé dans le monde entier, qui alliait la rigueur scientifique à l’amour inconditionnel du médecin pour ses patients est, sans aucun doute, un grand modèle de laïc scientifique catholique du XXe siècle. Lors de la phase diocésaine d’instruction du dossier de canonisation, à Paris, nous avons dû réunir tous les documents et les témoignages permettant de juger de l’héroïcité de ses vertus théologale (foi, espérance, charité) et cardinales (force, justice, prudence et tempérance). Pour Jérôme Lejeune, homme public de réputation mondiale, cela signifie des dizaines de milliers de documents : les lettres avec son épouse (ils s’écrivaient chaque jour quand ils étaient éloignés l’un de l’autre, il y a 2000 lettres), les courriers scientifique avec des chercheurs du monde entier, les lettres amicales avec les familles de patients (à l’exclusion des courriers médicaux confidentiels), etc.  A cela il faut ajouter son Journal intime et les 500 articles qu’il a publiés et ses conférences.  Personne jusqu’à ce jour n’avait pu se plonger dans tous ces documents. Le procès de canonisation nous en a donné l’opportunité. 

Qu’ai-je découvert dans ces documents ? Une vie lumineuse qui se déploie dans le champ de la science et de la Foi. L’épanouissement de la vie d’un saint. J’emploie ce terme de sainteté, sans préjuger de la décision finale de l’Eglise bien sûr ! J’ai été frappée de voir comment son immense intelligence a servi la vérité, dans le développement harmonieux de sa foi et de sa science. Comment son intelligence, aimantée par la vérité et nourrie de charité, est au cœur de sa sainteté. Combien la dynamique de la charité l’a conduit de l’amour de ses patients au plein accomplissement de lui-même. Car, en tant que médecin, Jérôme Lejeune a exercé la vertu de charité de façon vraiment exceptionnelle. Il a fait preuve d’un amour inconditionnel pour ceux qu’il appelait ses « petits patients », les pauvres parmi les pauvres. Amour inconditionnel car sans critère d’âge ni de maladie. « Chaque patient est mon frère » aimait-il répéter, et voyant en chacun d’eux le visage souffrant du Christ, il a donné sa vie pour tenter de les guérir. C’est très émouvant d’entendre les parents témoigner de leur rencontre avec le Pr Lejeune. Ils disent tous qu’il y a eu un avant et un après leur première rencontre. Tous parlent de son regard extraordinaire, et de sa façon délicate d’accueillir l’enfant. Que sa découverte des causes de la trisomie 21 soit utilisée pour sélectionner les enfants atteints au lieu de les soigner, fut pour lui un véritable « crève-coeur ». Il comprit qu’il lui fallait trouver très vite le médicament qui sauverait ces enfants des pratiques eugénistes. « Ou bien nous les sauverons de leur innocence ou bien ce sera le massacre des Innocents.» C’est pourquoi il se mit plein cœur à la recherche d’un traitement pour ses patients et qu’il se fit leur courageux avocat, au risque de tout perdre. 

Breizh-info.com : A quelles difficultés humaines, s’est-il confronté durant sa vie, qui n’a pas été de tout repos ? Comment a-t-il fait face aux attaques, aux critiques parfois violentes contre lui ?

Aude Dugast : Jérôme Lejeune était un homme sans mélange, qui a pris au sérieux les promesses de son Baptême et l’enseignement du Christ et quand le monde lui demanda de les renier, il refusa, nettement, simplement mais avec héroïcité. La rectitude de sa conscience est admirable et manifeste combien tout était unifié en lui. Il ne voyait aucune opposition entre la foi et la science, entre les commandements de Dieu « tu ne tueras pas », « tu aimeras ton prochain comme toi-même » et son devoir de médecin « primum non nocere ». C’est donc tout naturellement qu’il répondait, quand on lui demandait pourquoi il s’opposait à l’avortement des enfants trisomiques : “Je suis généticien et médecin, je sais donc que l’embryon humain est un petit d’homme et comme médecin j’ai prêté le serment d’Hippocrate, qui date de 400 ans avant JC et qui défend à tout médecin de tuer ». 

Quand, dans les années 1970, des lois menacent la vie des enfants à naître, le médecin qu’il est  choisit d’obéir à sa conscience plutôt qu’aux hommes et répond par ce « non possumus » des premiers martyrs chrétiens, « nous ne pouvons pas ». Il ne peut pas collaborer avec les promoteurs de l’avortement et il ne peut pas se taire. Il sent qu’il a le devoir de prendre la parole pour défendre publiquement les enfants menacés. Il pourrait se contenter d’être contre l’avortement sans le dire publiquement, cela lui permettrait de rester fidèle à son devoir de médecin et de préserver ses intérêts professionnels mais il parle car sa conscience exige plus qu’un refus silencieux, elle lui demande de défendre ces enfants en annonçant la vérité, à temps et à contre temps : “J’avais l’impression que si je ne les défendais pas, moi qui étais leur médecin, personne ne le ferait. Si je m’étais tu, j’aurais eu l’impression de les abandonner par lâcheté, alors qu’on les vouait à l’extermination.”

Jérôme est lucide, il sait que le monde ne lui pardonnera pas sa liberté de ton, et qu’il a beaucoup à perdre car sa carrière est brillante. Et, effectivement, tout bascule en 1969, à San Francisco, quand il reçoit le William Allen Memorial Award. Ce jour là, dans un discours magnifique, il annonce publiquement son désaccord sur les pratiques eugéniques. Son discours est accueilli par un silence pesant. Il a 43 ans et il vient de briser sa carrière. En quelques mois, il n’est plus invité dans les congrès scientifiques, on lui coupe ses crédits de recherche, on lui enlève son équipe de chercheurs… mais c’est une autre carrière qui s’ouvre alors à lui, plus universelle… Ne cessant pas son activité scientifique, avec des dons privés et de nouveaux jeunes collaborateurs, il devient désormais, à travers le monde, un des grands témoins de la vie humaine, et témoigne dans les Parlements, les Cours de justice, etc. Jusqu’à être chargé par Saint Jean-Paul II de fonder l’Académie pontificale pour la vie, dont il sera le premier président. 

Breizh-info.com : Jérôme Lejeune a été reconnu vénérable. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-il possible que cette reconnaissance aille, dans les années à venir, encore plus loin ?

Aude Dugast : Ce 21 janvier 2021, Jérôme Lejeune a été déclaré vénérable par l’Eglise, car le Pape François a accepté le décret reconnaissant l’héroïcité de ses vertus théologales (foi, espérance et charité) et cardinales (force, prudence, justice et tempérance). Cette décision intervient après un très long processus d’enquête sur sa vie et son œuvre, débuté en 2007 à Paris. Lors de la phase d’instruction du dossier, qui s’est déroulée de 2007 et 2012, nous avons dû réunir tous les documents et les témoignages permettant de juger de l’héroïcité des vertus de Jérôme Lejeune. Comme c’était un homme public de réputation mondiale, cela signifie des dizaines de milliers de documents et de très nombreux témoignages. Tous ces documents ont ensuite été envoyés puis étudiés à Rome. Chaque vertu, théologale, cardinale et mineure, a été étudiée. J’ai ensuite remis ce rapport (Positio) à la Congrégation des Causes des saints qui l’a étudié et a jugé de l’héroïcité de ses vertus. La reconnaissance des vertus héroïques du Professeur Jérôme Lejeune est une grande joie et un signe d’espérance pour tous ceux qui, avec courage, veulent mettre leur intelligence et leurs compétences au service de la dignité de la personne humaine ! Il faut désormais la reconnaissance d’un miracle pour que le procès de béatification poursuive son cours. Puis il faudra un second miracle pour la canonisation. 

Breizh-info.com : Finalement, quel héritage laisse-t-il, à la médecine, mais aussi et surtout à ceux qui s’identifient à son parcours spirituel ?

Aude Dugast : Au-delà de tous ses engagements, c’est son amour inconditionnel pour tous ses frères humains, à qui il reconnaissait une égale dignité, et sa façon de vivre héroïquement chaque vertu chrétienne, qui font de sa vie un témoignage extraordinaire. La fidélité à ses engagements, la droiture de sa conscience, l’élan de sa charité lui ont conféré cette remarquable liberté intérieure, véritable liberté des enfants de Dieu, qui attire et inspire tant de serviteurs de la vérité dans le monde. Le témoignage du Professeur Lejeune est vraiment prophétique et d’une actualité étonnante. En ces temps où notre société remet en question les certitudes les plus fondamentales concernant la personne humaine, il demeure un témoin passionné et courageux de la vérité et de la charité. 

Propos recueillis par YV

Retrouvez le site de l’Association des amis du Pr Lejeune, qui porte la cause de canonisation : www.amislejeune.org

Crédit photo : DR
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Une réponse à “Aude Dugast : « Jérôme Lejeune, un grand modèle de laïc scientifique catholique du XXe siècle » [Interview]”

  1. Eschyle 49 dit :

    Vous oubliez l’effet Matilda [ https://www.franceculture.fr/dossiers/leffet-matilda-ou-les-oubliees-de-la-science ] ; en l’espèce , qui a réalisé le premier cliché photographique du chromosome 21 , et a par là même découvert la cause de la trisomie ? C’est Marthe GAUTIER , et personne d’autre ; même chose que pour Rosalind Franklin , découvreur de l’ADN .

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