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Entretien avec Zdzisław Krasnodębski‎, député européen du parti PiS (Pologne) et ex-vice-président du Parlement européen.

Zdzisław Krasnodębski‎ est un sociologue et philosophe polonais, qui a été professeur d’université à plusieurs reprises, dans son pays et en Allemagne. Il est député européen, depuis 2014, élu sur les listes de Droit et Justice (PiS) – en tant qu’intellectuel indépendant, tout en en n’étant pas membre –, le parti politique qui dirige la Pologne et dont le président est Jarosław Kaczyński. Il siège au sein du groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) – qui comprend les partis Frères d’Italie, Démocrates suédois, Vox (Espagne), Nieuw-Vlaamse Alliantie (Belgique), JA21 (Pays-Bas), … –.

Il a été élu la première fois à Varsovie où il vit et, ensuite, en 2019, en Wielkopolska (Grande Pologne), la région qui comprend la ville de Poznań, dans l’ouest du pays. Les deux fois, il était la tête de liste du PiS. Il a été vice-président du Parlement européen, de mars 2018 à juillet 2019. Lionel Baland l’a interrogé, lors du Forum économique à Karpacz, pour Breizh-info.

Breizh-info : Votre parti, Droit et Justice (PiS), est conservateur ? 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Oui, le PiS est conservateur, mais vous devez expliquer ce que cela veut dire, car la signification de ce mot est en train de changer. Cette situation est observable partout, en France, au Royaume-Uni avec les « red tories » (conservateurs sociaux), aux États-Unis, … Nous ne sommes pas conservateurs dans le sens que nous serions pour un État minimum, pour l’intérêt de la classe moyenne ou supérieure contre les sociaux-démocrates. Ce qui caractérise Droit et Justice est que nous désirons représenter les personnes sous-privilégiées lors des transformations qui ont suivi le déclin du communisme. Nous avons nos racines historiques dans le mouvement Solidarność (Solidarité) – les figures de proue de celui-ci ont été Lech Wałęsa et Anna Walentynowicz –, dont j’ai été activiste au sein de mon université, ainsi que dans la Résistance à l’occupation allemande nationale-socialiste durant la Seconde Guerre mondiale et au communisme après cette dernière. La plupart d’entre-nous est issue de familles qui ont été opposées au communisme qui a été installé en Pologne après 1945. Nous sommes souverainistes et sociaux-conservateurs, très conservateurs tout en étant partisans de l’État-providence.

Breizh-info : Après la chute du communisme, les tenants de ce système ont tenté, malgré tout, de se maintenir au pouvoir ? 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Oui, cela se passe toujours ainsi après la chute d’un régime totalitaire, car, bien sûr, vous ne pouvez pas vraiment changer les élites. Le problème en Pologne était particulier car nous avons eu une très forte résistance, incomparable, même avec celle de la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, parce que le mouvement Solidarność comptait dix millions de membres et que nous avions aussi la loi martiale. Mais le pays était un pionnier. Le changement était vraiment révolutionnaire. À la fin des années 1980, il y a eu une sorte de compromis entre le communisme et les élites de Solidarność. Ce dernier mouvement s’est divisé au cours du temps en deux camps, en deux groupes différents. Un qui a soutenu le compromis avec le communisme, ne voulant pas une gestion et une mise en cause trop forte du passé et de la responsabilité des communistes, et l’autre, plus radicale, désirant construire un nouvel État, changer les choses plus profondément et purger les institutions des traces des élites communistes, dans les affaires étrangères, la science, les médias, …

Au cours des premières années qui ont suivi la chute du communisme, la ligne principale de division politique en Pologne se trouvait entre le post-communisme et le post-Solidarność. Mais de nos jours, depuis 15 à 20 ans, il y a deux groupes différents qui ont leurs racines dans Solidarność, mais qui ont une attitude différente par rapport au communisme et aussi différentes conceptions du développement de la société. Une est plus concurrentielle, plus élitiste, plus concentrée dans les grandes villes et sur certains privilèges directement dans la société. Droit et Justice, quant à lui, a toujours été pour la décommunisation et pour une politique plus égalitaire et sociale, plus nationale, moins transnationale, et aussi défendant la construction de ressources économiques propres pour le pays parce que toute notre industrie mise en place sous le communisme a décliné après la chute de celui-ci. Le paradoxe de Solidarność est qu’il était un mouvement d’ouvriers de l’industrie lourde qui a aboli le communisme mais, à la fin, le changement économique a conduit à la dissolution de la plupart de ces usines et entreprises et le coût social de la transformation est très dur. Aussi pour les anciens membres de Solidarność. Et en ce sens Droit et Justice représente les intérêts de ces gens.

Breizh-info : Lorsque vous comparez le conservatisme de Droit et Justice en Pologne avec le conservatisme aux États-Unis avec Ronald Reagan et au Royaume-Uni avec Margaret Thatcher, ce sont deux conceptions différentes ! 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Lorsque le communisme était sur la fin, les gens ont cherché une alternative et celle-ci a été le marché libre. Thatcher et Reagan ont été très populaires en soutenant cette idée. Les anciens communistes et une partie de Solidarność sont devenus néo-libéraux. Ce pan de l’élite de Solidarność a trahi ces ouvriers. Le représentant principal de cette tendance était Leszek Balcerowicz, qui a été le principal architecte de la transformation économique en Pologne, un ancien marxiste qui travaillait à l’Institut pour les problèmes fondamentaux du marxisme-léninisme au sein du Comité central. Au cours des années 1980, il est devenu néo-libéral – et a rejoint la sphère de Solidarność – et ensuite ses plans étaient pénibles, sans tenir compte des coûts sociaux des transformations et il était déjà actif dans ce sens – entre 1989 et 1991 – au sein du gouvernement de Solidarność.

Notre conservatisme est celui qui est appelé en Grande-Bretagne « red tories » (conservateurs sociaux). Il existe une tendance au sein des partis conservateurs de dire : « Nous représentons tous ces gens qui sont les perdants du processus de globalisation. », comme dans le cas de Donald Trump. Un livre célèbre de David Goodhart portant le titre The Road to Somewhere: The Populist Revolt and the Future of Politics montre que la division principale de nos jours au sein de la société se trouve entre les anywheres et les somewheres, les premiers, cosmopolites, pouvant vivre partout, et les autres, étant de quelque part, ayant leurs racines dans un État particulier ou une région. Nous pouvons observer ce phénomène dans de nombreux pays : en France, en Pologne, aux États-Unis. Je pense que cela constitue une impulsion pour le renouvellement du conservatisme, parce que ces gens désirent vivre dans une famille traditionnelle et avoir une carrière traditionnelle, disposer d’espace de vie dans une petite ville, de bons transports en commun et d’institutions culturelles. Notre gouvernement rétablit les connections de bus entre les petites villes et essaye de réintroduire des liaisons ferroviaires, car tout cela a été démantelé.

Dans ce sens, nos adversaires disent de nous : « Vous êtes un parti de gauche ! ». Non, non, non. Cela est la vraie signification du conservatisme parce que le néo-libéralisme a été faussement identifié au conservatisme. Au XIXe siècle, le conservatisme était organique : communauté, tradition, opposition à l’individualisme déraciné.

Breizh-info : Pour le moment, une guerre est en cours entre l’Ukraine et la Russie, mais les gens qui sont au pouvoir en Russie sont conservateurs ? 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Oui, mais différemment. Il s’agit aussi d’un facteur de division entre les personnes, en Europe, qui se considèrent nationalistes ou de droite. J’ai eu de nombreux débats avec des collègues, aussi de France, à ce propos parce que nous n’avons jamais cru, avant cette guerre, que la Russie est la protectrice des valeurs traditionnelles en Europe. Il s’agit d’un État néo-impérial brutal. Je pense que la différence de conception à ce propos réside dans une illusion chez de nombreux intellectuels de, ce qui est appelé, l’Ouest : en France particulièrement, en Allemagne, qui pensent que la Russie constitue une alternative grâce à l’Église orthodoxe. Ce n’est pas le cas. Vladimir Poutine était un agent du KGB. Et vous pouvez être un admirateur de la culture russe, mais si vous la connaissez vraiment, si vous lisez vraiment Dostoïevski, si vous écoutez vraiment Tchaïkovski, vous savez ce que cela signifie. Et la cruauté de cela ! Cette guerre n’est pas un accident.

De plus, le deuxième facteur de division est que de nombreuses personnes qui ont été conservatrices avant la guerre, en Europe de l’Ouest tout particulièrement, ont cette honteuse histoire de la Collaboration, en Belgique, aux Pays-Bas, en France avec Vichy, en Italie avec le fascisme, avec Franco en Espagne et Salazar au Portugal. Et ces conservateurs ont ces racines, ce qui les différencient de nous car les nôtres sont différentes et se trouvent dans le gouvernement polonais en exil à Londres qui a combattu le fascisme et pour la libération, malheureusement de manière infructueuse, de la Pologne. Cela constitue aussi un facteur de différenciation entre ces deux élites conservatrices. Nous essayons de convaincre les autres à propos de la Russie, et cette guerre montre que nous avons raison, et à propos de la question de la généalogie du parti du conservatisme et je pense que nous devons reformuler notre conservatisme pour comprendre que les tendances d’avant-guerre au sein du conservatisme en Europe occidentale se reproduisent à l’heure actuelle et que les tenants de ce dernier qui n’ont pas perçu au cours des années 1940 le danger constitué par Adolf Hitler et le Troisième Reich font la même erreur en ne voyant pas celui que représente Vladimir Poutine.

Breizh-info : Lorsque vous regardez les partis conservateurs de ce qui est pour nous l’Europe occidentale, ceux-ci sont moins conservateurs qu’auparavant. Par exemple, les démocrates-chrétiens de la CDU et les sociaux-chrétiens bavarois de la CSU en Allemagne. 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Oui, par exemple, si vous observez la CDU à l’époque de Helmut Kohl et si vous la comparez avec celle d’Angela Merkel, vous voyez comment elle s’est déplacée vers la gauche. Mais, il y a certaines personnes qui voudraient revenir aux racines, en se demandant de quelle manière les démocrates-chrétiens sont chrétiens, et qui parlent de ce désir. La même chose avec les conservateurs britanniques et les Républicains en France. Et c’est pourquoi nous avons besoin d’un renouveau de ce conservatisme sur d’autres bases, maintenant. Retournons aux racines, aux temps de de Gaulle, d’Adenauer, de l’Europe de Schumann. Malheureusement, nous n’avons pas une telle tradition originale en Pologne.

Et cela est ce dont nous avons besoin en Europe, aussi afin d’avoir une balance car lorsque je regarde la CDU et les Républicains qui sont membres du PPE (Parti Populaire Européen) au sein du Parlement européen, ils sont totalement dominés par les macronistes de Renew, par les socialistes, par la gauche radicale, … Et aussi, ils sont dominés intellectuellement car ils n’ont pas le courage de dire qu’ils ont des opinions différentes à propos de certaines valeurs et de modes de vie. Nous avons besoin maintenant de plus de courage, de plus de social, de plus de consistance intellectuelle au sein des conservateurs européens.

Breizh-info : Et en Hongrie ? 

Zdzisław Krasnodębski‎ : Le problème est, bien sûr, pour le moment, cette division à propos de la Russie, mais nous espérons rétablir nos bonnes relations. Nous essayons de les convaincre que leur position à ce propos est une erreur parce que ces personnes, qui sont devenues critiques par rapport à l’Ouest, voient la Russie comme une alternative. Nous devons accroître les changements que nous désirons à l’Ouest, mais nous ne devons pas considérer que la Russie est un allié dans cette situation géopolitique.

Propos recueillis par Lionel Baland

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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7 réponses à “Entretien avec Zdzisław Krasnodębski‎, député européen du parti PiS (Pologne) et ex-vice-président du Parlement européen.”

  1. Pschitt dit :

    Très intéressant. Entre autres pour ses remarques sur Vladimir Poutine : il ne faudrait pas confondre conservatisme et reconstitution de ligue dissoute !

  2. BAIN dit :

    Bonjour,
    Encore un va-t’en guerre qui croit que Poutine n’a pas évolué depuis le temps où il servait au KGB! L’Europe est une structure monstrueuse qui détruit sciemment les peuples qui la composent sans jamais faire appel à eux par référendum. les commissaires européens sont des ratés des politique nationales, recyclés, grassement payés avec des retraites très confortables. Deux guerres mondiales ne leur suffisent pas. On va gaiement vers la troisième. L’OTAN a dépecé la Serbie en appliquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes mais ne veut pas en entendre parler dans le Donbass et en Crimée.
    Mr ZELENSKY est devenu un gourou qui dicte sa politique à l’UE. Le USA conforte leur puissance. L’Ukraine a toujours été partagée entre pro-russes et pro-occidentaux (pro allemands pendant la 2ème guerre mondiale).

    • PL44 dit :

      Mais qui dicte sa politique à Zelensky ? Plus d’un tiers des terres agricoles ukrainiennes sont contrôlées par des entreprises américaines (voire australiennes et même saoudiennes). Tout à fait d’accord pour que l’Ukraine soit indépendante mais si c’est pour être une colonie d’exploitation américaine…

    • Marchal dit :

      Tout est dit et bien expliqué …

  3. PL44 dit :

    Qu’un parti flamand soit allié à un parti “jacobin” espagnoliste (Vox) est quand même surprenant. De même pour Vlaams Belang et RN.

  4. NOEL dit :

    Tout cela sent l’anti Russe à plein nez et le pro-occidental , je pense que comparer Poutine à hitler n’a aucun sens d’après moi , on sait que les Polonais détestent les Russes pour plusieurs raisons mais ils devraient être aussi plus prudents dans l’activité qu’ils mènent auprès de la marionnette de kiev , un missile est toujours possible .

  5. Dominique dit :

    J’ajoute seulement que la Pologne attaqua la Russie pendant des siècles. Apparemment, des dirigeants polonais ne parviennent pas à considérer les Russes autrement que comme des ennemis.
    Je suppose que, comme partout ailleurs, le peuple pense différemment. Malheureusement la presse alternative polonaise n’est pas multilingue et on peut la lire.
    Peut être que si tous les médias alternatifs en Europe présentaient des traductions automatiques ( c’est facile ) les peuples européens et au delà comprendraient combien ils sont manipulés.

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