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Jean-Philippe Trottier (Les Illusions dangereuses) : « Les nouvelles croisades mettent en scène les habituelles catégories du bien et du mal, du péché originel et du paradis » [Interview]

Dans son livre « Les Illusions dangereuses », paru aux éditions Artège, Jean-Philippe Trottier dresse une saisissante synthèse des idolâtries contemporaines et de leurs vertigineuses limites. Antiracisme, repentance systématique, féminisme dévoyé, postures victimaires, dictature des minorités, rien n’échappe à ses intuitions et à son sens aigu de l’analyse qui mettent à nu la mécanique et le vrai but de ces idolâtries. Incisif et sans détour, il dévoile derrière les oripeaux contemporains les nouveaux visages de la domination.Las, ces nouvelles idoles laissent un goût bien amer car elles sont loin, très loin d’accoucher d’un monde meilleur. Face à ces nouvelles servitudes, Jean-Philippe Trottier fait le pari de la tradition vivante, du retour de la capacité à penser le tragique dans l’Histoire et de la transcendance. Toutes ces invitations résonnent profondément dans le coeur de tout homme pour peu qu’il y prête attention et sont les seules à même de l’émanciper véritablement. Un livre remarquable, fruit « d’un travail foisonnant, procédant par fulgurances successives, émaillé de métaphores, mais centré sur un thème de la plus haute pertinence […] : le culte de la victime » précise sans ambages Rémi Brague dans sa préface.

Pour évoquer cet ouvrage, salutaire, nous avons interviewé Jean-Philippe Trottier.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

JPT : Mon père était diplomate et j’ai vécu dans plusieurs pays, notamment la France. Je parle donc plusieurs langues et ai graduellement appris qu’aucune culture n’est ontologiquement supérieure à une autre, malgré certaines dominations et même si j’ai mes préférences. J’ai une double formation de musicien et de philosophe. Je m’intéresse à la condition masculine, au christianisme, à la psychanalyse, à la musique, à l’esprit de tradition, au sens des choses. Je suis également journaliste et chef d’antenne à Radio VM – Radio Ville-Marie, au Québec, une radio catholique ouverte sur la complexité du monde. Le livre que vous avez en mains est mon quatrième.

Breizh-info.com : Sommes nous rentrés dans une nouvelle ère des idéologies ? Si oui, lesquelles ?

JPT : Je ne crois pas que ce soit une nouvelle ère. Seulement, elle a trouvé de nouvelles causes, de nouveaux oripeaux au nom desquels on mène de nouveaux combats, toujours étincelants, toujours exaltants, donc toujours dangereux. Les nouvelles croisades mettent en scène les habituelles catégories du bien et du mal, du péché originel et du paradis. Parmi celles-là le féminisme essentialiste (et non les femmes ou le féminisme, comme on me l’a déjà reproché), l’anticolonialisme, la défense des minorités (religieuses – sauf chrétienne – , raciales, sexuelles, alimentaires, etc) ou encore l’écologisme que je distingue d’un souci écologique, aussi légitime qu’urgent.

Breizh-info.com : Ces idéologies, ces lubies sociétales (féminisme, wokisme, antiracisme) ne sont-elles pas finalement plus dangereuses que les idéologies totalitaires du 20ème siècle  dans le sens où elles se parent de gentillesse et de camp du bien pour au final, exercer une terreur bien plus pernicieuse sur les masses ?

JPT : Les idéologies du XXe siècle ont abouti à des horreurs sans nom, au nom de la pureté, de la supériorité, du redressement national, de la dignité, de l’espace vital, etc. Mon but n’est pas de m’y attarder : cela a été fait et continue d’être fait par des gens bien plus compétents que moi. Ont-elles été moins dangereuses que celles qui caractérisent notre présent? Je n’en suis pas du tout sûr, ne serait-ce que par le nombre de morts et les bouleversements géopolitiques que leur folie a occasionnés. Du reste, je n’essaie pas de comparer entre elles les nocivités des machines idéologiques passées et actuelles. Mais vous avez raison, celles d’aujourd’hui sont insidieuses dans la mesure où elles se parent des atours moraux de la gentillesse et de l’impossibilité de faire le mal, ce qui les rend éminemment persuasives : s’opposer à cet angélisme agressif équivaut à être contre la gentillesse et la justice, à être un monstre. Ce qui m’intéresse davantage surtout, c’est la mécanique qui les anime. Et, ô surprise!, on découvre les mêmes images qui constituent le fond de commerce du christianisme, mais régurgitées cette fois avec de nouveaux masques : agneau sacrificiel immolé, victime pascale, péché originel, paradis, lutte entre le bien et le mal, anathème, présence d’un clergé infaillible et dogmatique, vision totale, voire totalitaire, du monde, etc. La différence essentielle avec le christianisme est que celui-ci situe son combat ici-bas pour un résultat au-delà, par le biais de la croix, véritable moyeu sans lequel cette religion s’effondrerait. Au contraire, le communisme, le féminisme essentialiste, les idéologies victimaires actuelles ont cherché ou cherchent l’Eden sur terre. Or, voulant faire de ce monde un paradis, elles finissent par en faire un enfer, selon les mots de Lord Acton, historien, et du poète Hölderlin. C’est la raison pour laquelle ce sont des idolâtries : la victime est ainsi la nouvelle idole qui mobilise le meilleur et le pire des passions humaines. En outre, elle n’est jamais repue.

Breizh-info.com : Vous insistez aussi sur un fait symbolique dans votre ouvrage : ceux qui veulent tout déconstruire aujourd’hui s’appuient énormément, inconsciemment dites vous, sur des images d’un christianisme qu’ils vomissent pourtant. Comment l’expliquez vous ?

JPT : Le christianisme est une religion révélée. Or, on ne révèle que ce qui est déjà là. En ce sens, le christianisme illumine et mobilise des réalités sous-jacentes telles que le Christ, le péché, la liberté, la damnation, l’amour, etc. À vouloir tout déconstruire, on joue aux apprentis sorciers car il est dangereux de bricoler avec les coulisses d’une civilisation. C’est pour cela que les rituels existent : ce sont eux qui articulent ces réalités différentes à travers des symboles. Prenez l’exemple de la consécration eucharistique. Ce n’est pas une simple mise en scène; c’est le sacrifice de toute l’Église par lequel le Seigneur se donne pour le salut du monde dans les deux espèces que sont l’hostie et le vin. Notre mentalité moderne ne comprend plus la fonction des rituels ni la sacralité propre à ces moments; elle n’y voit au mieux qu’un rappel d’un événement passé : cette sacralité, aux mains des apprentis sorciers, se venge alors en revenant par la porte d’en arrière, subrepticement, sous forme d’idoles, de magie, de prestidigitation. Or, les idéologies, par définition, sont idolâtres et fonctionnent à l’ivresse incantatoire, qu’elle soit fascinatrice ou culpabilisante. Pour sortir de cette délétère confusion, il faut, au contraire, laisser Dieu être Dieu et l’homme être homme en prenant soin de ne pas confondre les deux, si ce n’est en la personne de Jésus-Christ, qui unit mystérieusement les deux natures.

Breizh-info.com : L’humour, que vous préconisez comme arme fatale contre ces « nouvelles illusions » n’est il pas vain face au ressenti, à la méchanceté, et à la perfidie parfois de ceux qui distillent ces nouvelles idéologies ?

JPT : Un auteur juif dont j’oublie le nom parlait de son père ou son grand-père qui, le fusil du garde SS prêt à dégainer sur sa tempe parce qu’il avait trébuché lors d’une corvée dans un camp de concentration, avait soudainement éclaté de rire, provoquant de la sorte l’hilarité du SS. Il en a eu la vie sauve. Cette histoire est extrême, et comparaison n’étant pas raison, démontre tout de même que l’humour permet de révéler, voire de délier ou disloquer les logiques les plus perverses, de sortir du monde mécanique de l’idéologie. Goldoni, Molière, Shakespeare, Ionesco comprenaient cela. Le christianisme dit la même chose de l’amour, mot qui rime parfaitement avec cet humour dont nous parlons (la religion aurait du reste avantage à rire un peu plus, ce qui rendrait par ricochet les idolâtries un peu moins cruelles, du moins plus souples et souriantes). Mais je ne prétends par que l’humour puisse nous purger une fois pour toutes de la tentation idolâtre de l’idéologie. Seulement, il permet de se décoller de la pesante doctrine et du réel appauvri que celle-ci met en scène. Ce faisant, il nous évite de répondre par une contre-idéologie et nous fait passer à un niveau plus profond, plus apaisé. En ce sens, même si je comprends la tentation identitaire qui fleurit ici et là, je ne crois pas que ce soit la réponse adéquate car cette réaction ne fait souvent que se situer au même niveau que le mal qu’elle prétend corriger. La profondeur seule permet de trier et d’unifier ce qui, de part et d’autre, est légitime. Quant à l’incarnation de cet attrait identitaire dans une politique de défense de la cité, je suis conscient que c’est du sport, d’autant plus qu’une cité, une nation, une histoire, un peuple ont besoin de discours, de témoins, de délimitation, d’un territoire défini afin de ne pas se dissoudre dans l’indistinction.

Breizh-info.com : Finalement, ces nouvelles idéologies semblent avoir une cible , le mâle blanc et hétérosexuel. Ne peut-on pas y voir une forme de jalousie, une forme de ressenti vis à vis de celui qui, en fin de compte, a réussi tout ce que les autres ont échoué ?

JPT : Je ne pense pas que l’homme blanc hétérosexuel de foi chrétienne ou de culture occidentale ait réussi là où les autres ont échoué. Autrement, cela voudrait dire que tous luttaient pour le même bien au même moment, ce dont je doute. C’est du reste l’erreur des idéologies actuelles qui regardent le passé dans le rétroviseur du présent. Il se trouve simplement qu’à chaque époque, un groupe donne le la selon des circonstances variables. Les Égyptiens l’ont fait, tout comme les Grecs, les Romains, les Aztèques, les Mayas, les Abbassides, les Omeyyades, etc. Imaginez un peu le foutoir « héneaurme » que serait l’Histoire s’il fallait chaque fois ressusciter un discours victimaire! Cela dit, malheureusement, un groupe qui dicte le ton d’une époque en viendra fatalement à essentialiser sa domination et à y voir un destin manifeste, une élection divine. Lisez le poème de Rudyard Kipling Le Fardeau de l’homme blanc, qui ouvre mon troisième chapitre. Pour un œil contemporain, le texte est choquant. Vous y voyez un homme blanc victorien chargé d’extirper une humanité gourde de sa gangue d’abrutissement pour la traîner péniblement vers la lumière. L’essentialisation du fardeau moral est par ailleurs pernicieuse en ce sens que celui-ci peut alors aisément basculer dans sa caricature inverse. Aujourd’hui, il s’est retourné contre son ambassadeur exclusif et est devenu un fardeau de tare et d’infirmité morale, tout aussi exclusif, qu’on lui sert à tout propos.

Breizh-info.com : Quel message d’espoir souhaitez vous donner ?

JPT : Je ne suis pas marchand d’espoir et sais trop bien que l’Histoire est faite du jeu de forces et de contre-forces, ponctué ici et là de brèves trouées d’harmonie et de paix. Que voulez-vous, je crois viscéralement au péché, d’autant plus tenace qu’il nous persuade qu’il n’existe pas. Ce que je propose, c’est davantage la conscience de notre vulnérabilité face au monde de la pesanteur et de la mécanique, qui justifie l’invitation à se réformer soi-même tous les jours, qui est en bout de ligne le seul combat qu’il nous soit donné de mener ici-bas. Et de mettre notre espérance en Celui qui est mort sur la croix pour nos péchés. La conversion quotidienne, sans cesse recommencée, est la condition d’une fécondité personnelle, culturelle et civilisationnelle. C’est la leçon des prophètes et des témoins solitaires. C’est aussi la leçon de Gandhi, à la toute fin de son autobiographie.

Pour terminer, il faut savoir, et accepter, que les cultures, si elles sont mortelles, ont néanmoins une fonction essentielle à remplir qui est celle de servir d’intermédiaire entre l’homme et Dieu. Elles répondent à notre besoin fondamental de grandeur, d’universalité et de plénitude. Elles ont inscrite en elles une date de péremption (qui est davantage une transformation). Ainsi, une culture, une tradition, une nation, une langue, une esthétique, un style sont des échelons nourriciers qui nous servent à nous rapprocher de Dieu dans l’attente du moment suprême où les défunts ne sont plus occidentaux, orientaux, autochtones, majoritaires ou minoritaires, mais de simples créatures qui auront été appelées à chanter leur chant respectif dans la riche polyphonie divine.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Jean-Philippe Trottier (Les Illusions dangereuses) : « Les nouvelles croisades mettent en scène les habituelles catégories du bien et du mal, du péché originel et du paradis » [Interview]”

  1. Desmoulière dit :

    Intéressant !
    Je crois que je vais me procurer le bouquin
    Lucotin

  2. Travis dit :

    Analyse passionnante car fort bien bâtie, mais qui mérite mieux que de prendre

    ” conscience de notre vulnérabilité face au monde de la pesanteur et de la mécanique, qui justifie l’invitation à se réformer soi-même tous les jours, qui est en bout de ligne le seul combat qu’il nous soit donné de mener ici-bas.”

    Au contraire, la découverte de la ruse du Diable, qui consiste à endosser les oripeaux de la Victime, doit déboucher sur un projet politique de dénonciation de ce mensonge ontologique et d’élaboration de structures et d’apprentissages permettant aux humains de se prémunir contre ce mensonge.

    Ceci est beaucoup plus enthousiasmant ( dans tous les sens du terme) que de sombrer dans une ” invitation à se réformer soi-même tous les jours…

    Et surtout, ne pas manquer de lire le grand René Girard, le champion toutes catégories de l’anthropologie revisitée par le Verbe incarné.

    • Jean-Philippe Trottier dit :

      Merci pour ce commentaire plutôt pertinent. Cela dit, je me place bien moins au niveau politique qu’au plan métaphysique, laissant le premier à d’autres plus compétents en la matière que moi.
      Le but de ma réflexion est de dévoiler et de démonter la mécanique sous-jacente aux idéologies victimaires et non de m’opposer frontalement. Pour deux raisons : un face-à-face ne fait souvent que transférer le mal d’un camp à un autre (sans pour autant diminuer le mal du premier) et il évite la question de la profondeur. au lieu de ça, on est dans la surenchère.
      Je vous accorde que cela est bien moins enthousiasmant que la réforme personnelle, mais je crains également que l’illusion ne soit proportionnelle à l’enthousiasme.
      Bien cordialement.

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