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Michel Vergé Franceschi : « Charles Bonaparte (1746-1785) est le modèle de l Homme “éclairé ” de la seconde moitié du XVIIIe siècle » [Interview]

Michel Vergé Franceschi vient de sortir un livre intitulé «Charles Bonaparte» — que nous avions présenté samedi dernier — et qui évoque le parcours, l’histoire, la personnalité du père de Napoléon 1er. Une histoire corse, mais pas que…

Pour l’évoquer, nous avons interviewé Michel Vergé Franceschi.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’histoire de la Corse et comment cela a-t-il influencé votre carrière académique?

Michel Vergé Franceschi : Je me suis très tôt intéressé à l’Histoire de la Corse par le biais de la généalogie familiale dès mes 12 ans en 1963. Mon grand-père maternel était du cap Corse où tous ses ancêtres ont vécu de 1387 jusqu’à lui, les hommes se rendant régulièrement à Marseille ou Livourne, mais aussi en Égypte, à Jérusalem pour être reçus notamment chevaliers du Saint Sépulcre, mais aussi pour acheter du blé ou encadrer la pêche au corail. Les ancêtres de ma grand mère maternelle vivaient eux à Bastia, à Ajaccio, à Corte. C’était aux XVIIe xviiie et xixe siècles des sculpteurs d’origine génoise établis à Bastia, mais aussi des gens du Niolo patrie des bergers. Et elle descendait par son arrière-grand-mère des Pozzo di Borgo d’Alata ce qui faisait d’elle la cousine du père de Napoléon : CHARLES BONAPARTE, mais aussi de la mère de l’Empereur LAETITIA RAMOLINO!

Enfant j’adorais l’Histoire et j’ai toujours eu le 1er prix d’Histoire et celui de Français parmi beaucoup d’autres sauf math et physique! Et en Corse, dans la maison de famille, il y avait beaucoup d’Archives ancestrales concernant les marins de la famille, des capitaines au cabotage et un grand corsaire paoliste Teramo Terami (1731 1822) dont j’occupais la chambre à chacune de mes vacances.

Voyant la mer au quotidien aux vacances en Corse puis à Toulon où je suis né en 1951 pendant l’année scolaire j’ai fait à l’université de Nice mon Master 1 et mon Master 2 sur la Marine royale en 1973 puis après les concours de recrutement de professeur j’ai fait ma thèse de doctorat d’Histoire en 1980 et mon doctorat d’État ès lettres en 1987 toujours sur la Marine royale : la 1re école navale française publiée au CNRS grâce à Pierre Chaunu et les Officiers généraux de la Marine royale publiée en 1987 malgré ses 7 volumes et ses 3747 pages contenant 14327 noms propres!!!

Breizh-info.com : Charles Bonaparte a-t-il vu venir la Révolution française avant l’heure?

Michel Vergé Franceschi : Charles Bonaparte (1746-1785) est le modèle de l Homme «éclairé» de la seconde moitié du XVIIIe siècle. On appelait ce type de père les «pères citoyens». Moins sévères que ceux du XVIIe, ils sont proches de leurs enfants. Charles est un père très attentif. Mariée à 18 ans par son oncle, prêtre à Laetitia âgée de 14 ans, elle accouche à 19 ans de leur 4e enfant en 1769 : Napoléon.

Charles construit une cabane en bois sur la terrasse de la maison pour que Napoléon fasse tranquillement des mathématiques. Il aménage une salle de jeu pour ses 13 enfants où Napoléon gribouille des soldats sur les murs. Il surveille les notes et résultats de ses fils. Il les conduit lui-même au collège d’Autun en Bourgogne. Il achète lui-même leurs trousseaux de pensionnaires chez des tailleurs de Paris. Il ne leur inculque guère de religion, car il n’est pas du tout dévot. Comme Pascal Paoli c’est un Homme des lumières profondément humain, amoureux de sa femme, grand lecteur; sa bibliothèque contient 1000 volumes à sa mort à l’âge de 39 ans.

Il défend les femmes. Jeune magistrat, il engage une Ajaccienne de 16 ans à dénoncer son violeur. C’est un gentilhomme de province maintenu dans sa noblesse par Louis XV en 1771. Il vit avec un revenu égal à celui d’un capitaine des vaisseaux du Roi à Brest, Toulon ou Rochefort.

Breizh-info.com : Quelle était la vision politique de Charles Bonaparte pour la France et l’Europe, et comment a-t-elle influencé sa vie et sa carrière?

Michel Vergé Franceschi : Charles Bonaparte appartient aux élites d’Ajaccio. Ses ancêtres ont été au nombre des fondateurs ligures de la cité fin xve début xvie. Tous ont été «anziani» d’Ajaccio, c’est-à-dire membres du Conseil municipal chargé de la gestion de cette ville de 500 habitants en 1550. Aucun Bonaparte n’a jamais travaillé de ses mains.

Depuis Charles VIII nombre de Corses vivaient à Marseille, le port étant devenu français en 1482 comme Toulon et le reste du comté de Provence. Le royaume de France avec 16 millions d’habitants sous François 1er était le seul à pouvoir protéger les côtes provençales, mais aussi les îles : if. Pomegues. Ratonneau face à Marseille. Porquerolles et les îles d’Hyères face à Toulon. Sainte-Marguerite et Saint-Honorat face à Cannes, et ce contre les pirates barbaresques, monégasques, languedociens, aragonais. Henri II de 1553 à 1559 est dans ce contexte devenu roi de Corse pour la libérer de Gênes. Les Ornano, les Peretti de La Rocca ont reçu des fleurs de lys d’Henri II à mettre sur leur blason. Les Franceschi, les Gaspari en ont reçu d’Henri IV.

Entre un royaume de 25 millions de sujets en 1770 et une République de Gênes ruinée par la faillite de la Banque de Saint-Georges en 1746 et hyper contestée en Corse depuis 1729, le choix de Charles Bonaparte était facile. Livourne. Gênes. Rome n’étaient que des villes qui offraient aux Corses que très peu de débouchés. Pascal Paoli lui-même avait demandé en 1755 à Louis XV une place de lieutenant dans l’armée royale! Père de Joseph, de Napoléon, de Louis, de Lucien Charles Bonaparte en jouant la carte française assurait à ses fils un avenir meilleur. Le Roi offrait la reconnaissance de noblesse, des bourses scolaires, des emplois, des promotions.

Paoli battu à Ponte novo le 8 mai 1769 émigra à Londres avec 300 Corses. Les 29000 autres hommes corses sont tous restés dans l’île comme Charles Bonaparte.

Breizh-info.com : Quel fut son rôle dans la guerre d» indépendance contre Gènes?

Michel Vergé Franceschi : Dans la guerre d’indépendance livrée par les Paolistes de 1729 à 1768 à la République de Gênes, le jeune Charles Bonaparte était coincé.

Étudiant à Corte en 1764 auprès de Paoli il a 18 ans et il est plutôt Paoliste que pro-génois malgré ses origines lointaines ligures antérieures à 1520… Mais Laetitia, orpheline de père à l’âge de 5 ans, a été élevée par son grand-père maternel Pietrasanta qui a été élevé lui-même par son oncle et tuteur maternel Sorba, ministre de Gênes à Versailles, où il fut le seul Corse présent en 1715 à la mort de Louis XIV. De plus, Pietrasanta fait une belle carrière en Corse grâce à son cousin germain le Patrice Génois Agostino Sorba ministre de Gênes à Versailles à partir de 1738 suite au décès de son père. Or Agostino est celui qui signe avec le duc de Choiseul le traité du 15 mai 1768 par lequel Gênes cède à titre provisoire sa suzeraineté sur la Corse à Louis XV.

Charles Bonaparte combat les soldats de Louis XV à Borgo en 1768 puis à Ponte novo en 1769. Mais cet étudiant de 20 ans ne pèse rien. Les 2 hommes forts de la famille sont le grand-père de Laetita : Pietrasanta 70 ans et Agostino Sorba, aussi septuagénaire qui dirige le clan depuis Versailles. Laetitia dépend de son grand-père pour ses chaussures, ses robes de noblesse, ses dentelles, ses étoffes pour se couper elle-même des vêtements qu’elle coud. Charles ne pouvait que se rallier au Roi comme son oncle don Luciano Bonaparte, futur archidiacre de Bastia. Comme les Pozzo di Borgo et 120 autres familles de notables de 10 à 50 personnes chacune. Familles de militaires, d’officiers au Royal Corse et au Provincial Corse, d’avocats, de juges. De magistrats, de chevaliers de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis.

Breizh-info.com : Finalement, quel héritage a-t-il laissé à son fils?

Michel Vergé Franceschi : Charles Bonaparte a donné lui-même par son exemple et sa rigueur un bon héritage mental à ses enfants. Docteur en droit de l’Université de Pise, jeune avocat à Ajaccio à 22 ans puis assesseur au Tribunal d’Ajaccio, grand lecteur, il leur a appris le travail et la volonté de réussir.

Ne jouissant que de 1200 livres d’appointements annuels comme magistrat, il a bien géré la dot de Laetitia (7000 livres) l’une des plus importantes d’Ajaccio et la plus forte qu’un Bonaparte n’ait jamais obtenue. Il a bien géré ses 23 hectares des Salines plantés en mûriers avec le soutien de l État. Ses terres, ses troupeaux de vaches et surtout ses vignes. Il leur a appris un goût du luxe certain achetant les plus beaux meubles d’Ajaccio et de très beaux vêtements et habits et chaussures et perruque poudrée.

Napoléon, pensionnaire sur le continent dès 1779 à dix ans, n’a revu son père que 2 fois sur le continent, car Charles est mort à Montpellier en 1785 à 39 ans d’un cancer du foie, la meilleure Université de France en médecine n’ayant pu le sauver. Sa dépouille a été ramenée à Ajaccio en 1951 dans la Chapelle impériale construite sous Napoléon III par le cardinal Fesch demi-frère de Laetitia

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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