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La Corse, une autonomie en question. Entretien avec Michel Verge-Franceschi

L’historien Michel Vergé-Franceschi publie « La Corse, une autonomie en question » aux éditions Passés Composés. Il défend l’identité corse mais au sein de la République française. Nous l’avons interrogé au sujet de son ouvrage, à commander ici.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous présenter votre livre « Corse, une autonomie en question » et les motivations qui vous ont poussé à l’écrire ? Quel est votre parcours personnel et votre lien avec la Corse ?

Michel Verge-Franceschi : Mon lien avec la Corse est viscéral. Mes ancêtres Franceschi vivaient à Centuri en 1387 (famille de mon grand-père). Mes ancêtres Baldacci vivaient à Corte fin XVIe (famille de ma grand-mère). Mes 256 ancêtres corses vivant sous Louis XV sont de Rogliano, Morsiglia, Ersa, Luri, Brando, Bastia, Ajaccio, Alata, Corte, Tralonca, Calacuccia. Même si mon père est un Catalan du Roussillon, la Corse est mon histoire. Mon histoire de famille, mes souvenirs d’enfant, de vacances. J’ai été bercé en langue corse. J’ai encore des terres dans l’île au cap Corse et, vue la conjoncture internationale, je ne les vendrai jamais, et je pourrai toujours manger en y plantant des légumes et en y récoltant mes châtaignes. Donc j’ai écrit ce livre parmi beaucoup d’autres (plus de 60 personnels et plus de 50 sous ma direction) car le devenir des Corses et de mes compatriotes m’importe au premier chef.

Breizh-info.com : Votre livre s’inscrit dans un contexte particulier d’évolution du statut de la Corse. Quelle est votre analyse de la situation actuelle ?

Michel Verge-Franceschi : Merci de votre question. J’y ai déjà beaucoup répondu dans le Journal du Dimanche (3 mars) et dans le Figaro (5 mars). La Corse est entrée définitivement dans l’Histoire de France en qualité de province française à part entière depuis le vote du décret du 30 novembre 1789 voté à l’Assemblée Constituante, et obtenu à la demande des députés de l’île. Pascal Paoli (1725-1807), ennemi de Gênes, s’en est réjoui : le 29 janvier 1790, il écrit « Nous sommes plus sûrs de notre liberté, en union avec tant d’autres provinces ». Le statut d’autonomie est donc une régression par rapport à celui de province. Ce statut d’autonomie a été donné aux Antilles que l’on a officiellement appelées, en 1915, avec une regrettable condescendance, « nos anciennes colonies ». Elles aspiraient légitimement à un statut supérieur : celui de département, obtenu en 1946 seulement ! « Ile métropolitaine », la Corse a obtenu le statut le plus haut de la hiérarchie, à la Révolution : celui de département avec une « assimilation juridique » totale à la France. Cela fit dire à Paoli le 14 juillet 1790 : « O ma patrie je t’ai laissée esclave (de Gênes), je te retrouve libre (grâce à la Révolution) ». Après la proclamation de la République, le 22 septembre 1792, la Corse a été divisée en 1793 en deux départements, le Golo et le Liamone. Paoli réagit le 5 mai 1793 : « J’aime l’union avec la France car avec elle, par le pacte social, nous avons toutes les choses en commun ; à égalité avec tous les autres individus de la République, nous avons le droit de participer à tous les avantages et à tous les honneurs ». Vouloir offrir à la Corse un statut inférieur à celui dont elle jouit depuis plus de 200 ans est une injure faite à l’Histoire. Seules les colonies avaient une « spécialité législative ».

Breizh-info.com : Certains affirment que l’autonomie est la seule solution pour la Corse. Partagez-vous cet avis ? Pourquoi ?

Michel Verge-Franceschi : En descendant de l’avion aux Etats-Unis un journaliste a demandé à Einstein : « Croyez-vous en Dieu ». Einstein a répondu : « Dites-moi qui est Dieu, je vous dirai si j’y crois ». Hé bien, moi je vous réponds : « Dites-moi ce qu’est l’autonomie. Je vous dirai si j’y crois ». J’entends dire que Paris va conserver le régalien. On me demande ce qu’est le régalien. A ma connaissance : la justice, l’armée, la police. Le Conseil d’Etat français y ajoute la diplomatie, la politique monétaire et fiscale. On me téléphone de Corse : « vais-je perdre ma carte vitale car la santé n’est pas le régalien ». « Les professeurs seront payés par qui ? Car l’éducation nationale n’est pas le régalien ». « Qui va payer ma retraite ? » « Aura-t-on encore des facteurs et des colis postaux, la Poste n’est pas le régalien ». Donc tant que tout ceci reste plus que flou dans l’esprit de mes compatriotes qui considèrent l’autonomie comme un saut périlleux dans le vide, je m’abstiens de répondre sur ce que j’ignore.

Breizh-info.com : Quelles sont les principales critiques que vous formulez à l’encontre de l’idée d’une autonomie corse ? Vous proposez une alternative à l’autonomie. De quoi s’agit-il concrètement ?

Michel Verge-Franceschi : Dans les années 1950-1960, il n’y avait pas d’eau courante dans les villages. Les premières télévisions marchaient assez mal. On ne captait pas, mais on ne réclamait pas la 5G. Les routes étaient difficiles, très étroites, beaucoup plus dangereuses qu’aujourd’hui. La « Balanine » n’existait pas. Croiser le car de « la Poste », sur une route nécessitait une foule de manœuvres entre les rochers d’un côté, la mer de l’autre. Aller du cap Corse jusqu’aux cousins Tulli de Calvi était une expédition. Jusqu’aux cousins Tulli d’Ajaccio, un vrai voyage. La Corse en 60 ans a connu des améliorations considérables, dans le cadre qui est le sien : celui d’une île métropolitaine comme Ouessant, Sein, Bréhat ou Belle-Isle. La Corse est « une marche » de la France comme la Bretagne. Roland de Roncevaux, neveu de Charlemagne, était « marquis » de Bretagne. Le père de Paoli a été fait « marquis » en 1736. Alphonse d’Ornano, maréchal de France, né à Ajaccio, a été fait « marquis » de Porquerolles. Et les gouverneurs de Brest, comtes de Rieux, ont été faits « marquis » d’Ouessant. La Corse et la Bretagne sont des marches défensives de l’ancien royaume de France. Néanmoins, il reste beaucoup à faire en Corse. L’insularité est un handicap que la République doit prendre beaucoup plus sérieusement en compte. Un étudiant de Corte doit payer 200 euros pour se rendre à Paris pour consulter les Archives nationales, là où un étudiant d’Aix ou de Rennes vient avec un train Ouigo pour 25 euros. Cela blesse l’égalité citoyenne. L’essence est plus chère en Corse que sur le continent. C’est injuste. Si les Corses veulent se distancer de l’Etat c’est parce qu’il a failli. Le mécontentement est réel et je le partage. En 1958, Robert Debré a dit qu’il fallait créer un CHU (Centre hospitalier universitaire) dans chaque région de France. J’avais 7 ans, j’en ai 72, et la Corse est la seule région française à ne toujours pas avoir de CHU d’où 330 000 habitants parfois contraints de partir à Marseille avec des enfants malades. Grâce à des fonds privés, la Fédération des associations corses de Marseille a pu acheter 3 ou 4 studios à Marseille pour loger les parents en cas d’hospitalisation prolongée. En Corse, il n’y a pas de faculté de médecine ; nos étudiants partent à Marseille. La faculté de Lettres a été refondée en 1980 mais elle n’a pas de professeur d’Histoire médiévale depuis 4 ans, ni de professeur d’Histoire grecque ou d’histoire romaine.

Breizh-info.com : Vous affirmez que la Corse n’est pas un territoire d’Outre-Mer. Pouvez-vous développer votre argumentation ?

Michel Verge-Franceschi :  En 1768 (avril-mai), Bougainville parti de Saint-Malo, débarque à Tahiti avec son équipage. Lisons-le : « Chaque jour, nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maison ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystères et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; nos moeurs ont proscrit cette publicité. Toutefois je ne garantis pas qu’aucun n’ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays »1. C’est aussi en 1768 (8-10 octobre) que les soldats de Louis XV débarquent en Corse où ils sont battus par les troupes de Paoli à la bataille de Borgo. L’année d’après, le Roi ulcéré envoya de nouvelles troupes dans l’île et le jeune Bonaparte écrira en 1789 : « Je naquis (à Ajaccio, le 15 août 1769), lorsque la patrie (la Corse) périssait. Vingt mille Français, vomis sur nos côtes »… Archivistiquement, ni la tante du futur Empereur (Gertrude Bonaparte, 20 ans), ni ses cousines Pozzo di Borgo adolescentes, ni sa mère Laetitia (19 ans) ne se sont étendues sur des lits de feuillages et de fleurs pour s’offrir nues aux troupes du Roi ! Aucune de mes 64 ancêtres femmes vivant en Corse en 1768 non plus. Certes, la Corse et Tahiti sont entourées d’eau, mais on ne peut comparer que ce qui est comparable. La Géographie est une chose, l’Histoire en est une autre et si on les enseigne ensemble c’est parce qu’elles sont indissociables et parce qu’on aurait tort de considérer seule l’une de ces deux disciplines en faisant taire la seconde. Comparer la Corse à la Polynésie, comme on songe parfois à le faire aujourd’hui en dotant la première d’un statut voisin de celui qui est approprié à la deuxième, est une ineptie qui reviendrait à donner la parole à l’Eau et à faire taire sept siècles d’Archives. Le premier Président de la République française fut un Bonaparte. Aucun de nos compatriotes de Papeete n’a encore été élu à la charge suprême depuis 1848.

Breizh-info.com : Vous insistez sur la nécessité de « mieux faire » en Corse plutôt que de changer de statut. Quelles mesures concrètes préconisez-vous ?

Michel Verge-Franceschi : Les Corses disent qu’il faut plus d’Etat et mieux d’Etat. Avec 1000 km de côtes « on » laisse la drogue pénétrer partout dans l’île. « On » ne prend pas de mesures pour lutter contre la spéculation foncière éhontée. « On » constate l’existence de mafieux et « on » veut donner à l’île l’autonomie comme aux îles voisines ? Je ressens cela comme une insulte. La Corse a été « le premier morceau de la France libéré », en 1943  (De Gaulle). La Corse mérite mieux que cette espèce de « lâchage » que le ministre de l’Intérieur lui réserve : doit elle ressembler à la Sicile terre historique de la mafia ? A Malte, connue pour sa corruption et son évasion fiscale ? A Ibiza, capitale des principales boîtes de nuit d’Europe ? Vouloir nous faire ressembler à nos compatriotes de Polynésie, français depuis 1842, c’est vouloir oublier l’Empire, le sacre de Notre-Dame, notre Code civil, nos Lycées, nos Universités, notre Banque de France, notre Légion d’Honneur. L’honneur, la Corse l’a défendu en lettres de sang avec les résistants Fred Scamaroni, et Danièle Casanova. Cela mérite une autre considération que l’autonomie jetée de guerre lasse à la tête de la Corse comme un os à ronger. Les Corses, en 40-45 ont eu une conduite semblable à d’autres insulaires : je pense, comme De Gaulle, aux hommes de l’île de Sein.

Breizh-info.com : Vous évoquez la question de l’identité corse. Quelle est votre vision de l’identité corse aujourd’hui ? Quel regard portez-vous par exemple, sur un nationalisme identitaire corse qui monte, à l’image du mouvement Palatinu ?

Michel Verge-Franceschi : Je ne donne jamais mon opinion sur aucun parti politique ni en Corse, ni sur le continent. J’ai fait toute ma carrière avec ma seule carte vitale. Je n’ai jamais appartenu ni à un parti, ni à un syndicat. Dans le mot « universitaire » il y a « univers ». L’universitaire s’adresse au monde et accueille le monde. C’est pourquoi j’ai choisi cette voie qui ignore les frontières. J’ai toujours eu des comptes rendus de mes bouquins dans l’ensemble des media dits de gauche, de droite ou du centre. La vérité n’appartient à personne car elle est bien trop vaste. Chacun en détient une minuscule parcelle. Je n’aime pas les partis. J’aime les individualités. Quand Gilles Simeoni, président de l’Exécutif corse, fait un effort considérable pour la culture insulaire : j’applaudis. Quand Jean-Guy Talamoni dit qu’il faut sauver les femmes enceintes, les femmes et les enfants de l’Aquarius en train de sombrer : je le soutiens. Quand Paul-Félix Benedetti empêche l’expulsion d’octogénaires d’une maison frappée d’alignement : je lui donne raison.

Quand Jean-Christophe Angelini veut conserver une maternité à Portovecchio, je l’approuve. Quand Jean-Charles Orsucchi accueille mes colloques de Bonifacio depuis 25 ans, je le remercie chaleureusement. Quand Nicolas Battini affirme son attachement à la France, je partage son opinion. Je ne suis ni un élu, ni un politique. Tout le monde détient toujours un peu de vérité. Dans un amphi de 300 étudiants et parfois de 500, vous avez des étudiants qui viennent de partout, avec chacun leurs origines, leurs religions. Vous ne demandez rien à chacun. Vous parlez en vous adressant à tous. Et vous corrigez 500 copies anonymées par un triangle noir, cacheté en haut à droite.

Ancien Directeur du Laboratoire d’Histoire maritime de Paris IV-Sorbonne

1 Bougainville, Voyage autour du monde par la frégate la Boudeuse et la flûte l’Etoile, fac simile de l’édition de 1771, de Saillant et Nyon, Laurent Rombaldi édit., Paris, 1972, p. 148

Propos recueillis par YV

 Crédit photo : DR

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Une réponse à “La Corse, une autonomie en question. Entretien avec Michel Verge-Franceschi”

  1. patphil dit :

    on n’est jamais mieux chez soi, responsables de notre présent! ces technocrates parisiens qui croient penser pour nous ….

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