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« L’homme est fait pour marcher ». Un Tro Breiz en compagnie de Xavier Accart [Interview]

Alors que les pèlerins du Tro Breiz se préparent peut être physiquement pour faire le pèlerinage qui aura lieu cette année au mois d’août, entre Dol et Rennes, Xavier Accart, écrivain et journaliste, publie « Tro Breiz. Ma Bretagne intérieure », aux éditions Salvator.

Un livre témoignage dans lequel il revient sur son expérience de marche spirituelle, en solitaire à travers la Bretagne. Un livre dont nous nous sommes entretenus, ci-dessous.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Xavier Accart : La collection chemin d’étoiles dans lequel s’inscrit ce livre, comporte après le récit de pèlerinage proprement dit des questions à l’auteur, parmi lesquels un « Chemin de vie ». J’y évoque le parcours qui m’a conduit à un mémoire sur Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes à une thèse sur la réception intellectuelle de l’œuvre de René Guénon, à un séjour en Inde sur les traces du moine breton Henri Le Saux, puis à l’écriture de livres de transmission du patrimoine spirituel chrétien — Comprendre et vivre la liturgie, signes et symboles expliqués à tous (Presses de la Renaissance), L’art de la prière (Editions de l’Emmanuel) —, et d’un roman historique à forte teneur spirituelle Le dormant d’Éphèse (Tallandier). Sur le plan professionnel, je suis journaliste, rédacteur-en-chef du magazine Prier et animateur d’une émission hebdomadaire sur Radio Notre-Dame.

Breizh-info.com : Comment avez-vous découvert le Tro Breiz, ses origines, et qu’est-ce qui vous a vous-même motivé à le réaliser ?

Xavier Accart : J’ai découvert le Tro Breiz par Gaële de la Brosse, l’éditrice de ce livre qui anime une fraternité d’écrivains voyageurs qu’elle a baptisée « Chemin d’étoiles ». En 2006, alors que je vivais dans le Tamil-Nadu, elle m’avait contacté pour écrire le chapitre indien d’un ouvrage collectif sur les chemins de pèlerinages. Elle venait de faire paraître Tro Breiz, Les Chemins du Paradis aux Presses de la Renaissance. À travers nos échanges, j’ai découvert l’existence de ce pèlerinage traditionnel qui passe par sept cathédrales associées aux sept saints fondateurs de la Bretagne. « Fondateurs », car l’origine de la Bretagne en Armorique remonte à l’arrivée de ces moines missionnaires et de leurs compatriotes exilés de Britannia. Le Tro Breiz qui connut son heure de gloire au moyen âge — comme le rappelle celui de la duchesse Anne — était progressivement tombé en désuétude.

Mais il avait été réanimé dans les années 1990, de façon collective et à raison d’une étape par an. A titre personnel, j’ai eu le désir d’effectuer ce pèlerinage de façon solitaire en raison d’un double ancrage en Bretagne : celui du côté paternel, d’une maison d’enfance sur une île de la baie de Morlaix, celui, du côté maternel, d’origines familiales bretonnes dans la région de Carnoët où a depuis été implantée la Vallée des saints. Devant dire adieu à la maison de mon enfance, ce tour de la Bretagne a été une façon de la découvrir dans sa diversité et de m’y lier plus étroitement pour ne pas la perdre !

Breizh-info.com : Vous indiquez que le Tro Breiz, contrairement à d’autres pèlerinages, mêle l’itinérance à l’enracinement dans un pays. Une singularité bretonne donc?

Xavier Accart : À la différence de grands pèlerinages vers un unique sanctuaire comme Saint-Jacques de Compostelle qui traverse divers pays, le Tro Breiz est circulaire et cantonné au terroir breton. Sans lui dénier sa dimension spirituelle, il a certainement eu un rôle d’unification de cet espace culturel et politique à une époque où les dimensions religieuse et temporelle étaient moins distinguées. Tout breton devait le faire au moins une fois dans sa vie sinon, disait un dicton populaire, il serait condamné à le faire durant un long purgatoire à la vitesse d’une longueur de cercueil tous les sept ans! Mais on retrouve quelque chose de semblable à l’autre bout de l’espace indo-européen, où le grand périple (mahâ-parikramâ) a comme unifié le territoire de Bharat (l’Inde).

Peut-être retrouverait-on ce type de pèlerinage dans d’autres régions. Cela crée en tout cas un climat particulier pour celui qui l’effectue. Il demeure dans une terre à la culture de laquelle il est lié et, en même temps, il fait l’expérience de la condition de pèlerin, de peregrinus, c’est-à-dire de l’étranger.

Breizh-info.com : Quel a été votre cheminement intérieur durant votre longue marche?

Xavier Accart : Il y a d’abord eu, en disant adieu à la maison de mon enfance, sur cette petite île qui reste pour moi une figure du paradis perdu, un sentiment d’exil, mais en même temps — car je hantais ce lieu depuis longtemps — celui d’une intense libération. J’allais enfin découvrir la Bretagne entière, à la fois Armor et Argoat, Nord et Midi, Bretagne bretonnante et pays Gallo, plaines fertiles et monts d’Arrhée… Ensuite, comme dans l’espace d’une vie, on traverse des moments de souffrance physique, de doutes, de remises en question. On y vit l’intensité de rencontres marquantes et quelques rares déceptions. Sur le plan global, j’ai pris la mesure de la déchristianisation de la Bretagne et mieux compris son histoire en discutant avec les uns et les autres, en faisant étape au Boquen. Sur le plan personnel, cette marche a été une retraite en solitude, rythmée par la prière du rosaire, quelques offices et des temps d’oraison.

J’ai finalement eu la conscience de boucler un cycle de vie pour m’ouvrir à de nouvelles possibilités. Il fallait que j’accepte une fois pour toutes la perte d’un ancrage, que je m’enracine dans le ciel, pour ensuite pouvoir, comme les saints du Tro Breiz, exilés de leur Albion, refonder quelque chose.

Breizh-info.com : Quels sont les lieux, les passages, qui vous ont le plus marqué durant votre périple?

Xavier Accart : Ils sont nombreux, souvent associés à des rencontres. J’ai été heureux de découvrir Tréguier, première étape obligée de mon tour, où le crâne de saint Yves était alors encore exposé. Un couple du pays m’a transmis son profond respect pour cet avocat des pauvres. Je pourrais parler d’un arrêt à Saint-Briac, où est né Henri Le Saux, un moine breton dont on fête cette année le cinquantième anniversaire de la mort et qui m’a profondément marqué, sinon accompagné. J’ai découvert l’existence du mont Dol, qui forme avec Tomblaine et le mont Saint-Michel un triptyque sacré, ou le singulier monument au comte de Chambord à côté de Sainte-Anne d’Auray qui a depuis été classé aux monuments historiques. Le passage le plus fort a peut-être été celui du mont Saint-Michel de Brasparts pour sa vue, à l’est, au-delà du Yeun Elez, vers le pays de mes ancêtres maternels. Mais j’ai été un peu désolé de l’état de la chapelle que j’ai cru désacralisée. J’ai appris que, restaurée et pourvue d’un nouveau mobilier liturgique après le grand incendie de l’été 2022 — ce qui ne va pas sans quelques polémiques (https://www.lavie.fr/actualite/la-chapelle-des-monts-darree-et-son-milliardaire-87392.php) — elle sera réouverte en juillet 2023.

Breizh-info.com : Physiquement, quelle condition faut-il avoir pour envisager ce Tro Breiz? Est-ce que l’esprit, la foi, permet de combler des lacunes physiques éventuelles selon vous?

Xavier Accart : Je crois que l’homme est fait pour marcher. Il faut certainement au départ dégripper nos corps un peu trop sédentaires, mais une fois ces premières courbatures, ampoules et autres, dépassées, on peut marcher très longtemps en étant de plus en plus en forme. Même si, bien sûr, il faut faire des étapes quotidiennes adaptées à ses capacités. Je pense que c’est plus la marche qui vient aviver notre foi, que notre foi qui vient nous aider à marcher! Les Écritures nous invitent sans cesse à nous mettre en marche, c’est alors que la lumière se lève. Si l’on s’arrête descend l’ombre de la mort. C’est une image bien sûr, mais pas sans lien — comme tout véritable symbole — avec la réalité physique de la chose.

Breizh-info.com : Pour finir, quel message avez-vous souhaité faire passer à travers votre livre expérience?

Xavier Accart : Ce n’est pas un livre à thèse. C’est le récit d’une expérience vécue, où tout ce qui est relaté a bien eu lieu. Cependant, il est vrai, que je serais heureux s’il pouvait aider des personnes à mieux comprendre ce qu’est la foi, le christianisme, la prière, à retrouver l’espérance si elles traversent les épreuves du déracinement, de l’exil, de l’éclatement familial. Notre condition humaine est celle d’exilés, nous avons tous comme le goût de ce paradis perdu qui nous semble fermé. Il faut cesser de le déplorer, de désespérer et se retourner, pour se mettre en marche vers la Jérusalem qui est le paradis accompli. L’enracinement ici-bas a de la valeur dans la mesure où il nous permet de nous enraciner dans le ciel et ce dernier enracinement, qui est ouverture à l’universel, nous permet d’évaluer justement l’enracinement ici-bas.

propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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