Nos voisins français, si chatouilleux sur la préservation de leur pluralisme d’opinion, auront peut-être accueilli avec une certaine surprise la nouvelle du départ de Claude Askolovitch de la revue de presse de France Inter. La surprise tient moins à l’homme qu’à ce qu’il représentait : la permanence d’un magistère journalistique issu du rêvisme moral des années quatre-vingt-dix, mêlant éthique à géométrie variable, obsessions communautaires et police de la pensée. Pendant près de huit ans, à l’heure où les boulangers cuisent leur première fournée, sa voix réveillait l’auditeur de la radio publique avec les accents d’un clerc séculier, le nez plongé dans la presse, mais les jugements déjà préparés.
Il ne s’agit pas ici de se réjouir d’une retraite qui n’en est pas une. M. Askolovitch, tout à son métier, continuera, dit-il, d’arpenter les travées de la Maison ronde et de paraître sur Arte, où ses chroniques dans 28 Minutes égrènent les leitmotivs familiers : islamophobie rampante, extrême droite partout, ghetto imaginaire. Mais son retrait de la tranche matinale de France Inter marque néanmoins la fin d’un cycle. Il était temps. Que l’on soit de droite ou simplement attaché à un journalisme d’information plutôt que de sermon, force est de constater que Claude Askolovitch fut l’un des plus persistants porte-voix d’une gauche médiatique inquisitoriale.
La biographie du personnage, que l’Observatoire du journalisme (OJIM) a eu le mérite de documenter avec précision, éclaire ce parcours. Issu d’une famille juive ashkénaze parisienne, il fut biberonné au progressisme culturel et à l’activisme antiraciste des années SOS-Racisme. Passé par toutes les rédactions de la gauche caviar, de Marianne au Nouvel Obs, il incarne ce journalisme de connivence dont les piges se monnayent au carnet d’adresses.
Mais c’est surtout dans sa relation quasi mystique à la population musulmane en France que Claude Askolovitch se singularise. Il fait partie de ces intellectuels qui, après avoir observé les drames du monde arabe depuis leur confortable appartement du XVIIIe arrondissement, en viennent à voir dans le musulman en France l’autre absolu, le nouveau damnat dignus, méritant toutes les indulgences. Qu’un Mehdi Meklat vomisse sur les juifs et les homosexuels ? C’est une tragédie sociale, non un scandale moral. Que Mennel, candidate à une émission de variété, égrène des élucubrations conspirationnistes ? Ce serait notre regard biaisé qu’il faudrait corriger.
Il est frappant, pour un observateur de l’extérieur tel que moi, venu de la pampa pour m’établir dans le Pays bigouden, de constater l’obstination avec laquelle ce chroniqueur se refusa toujours à voir ce qui crève les yeux : le lent mais réel grignotage de l’espace public par une religiosité politique conquérante. Loin de l’analyse, Askolovitch se fit héraut. Loin du doute, il brandissait ses certitudes, accusant à l’envi ceux qui, comme Richard Prasquier, ne se conformaient pas à son exégèse morale du monde. Pour lui, seul le musulman méritait d’être plaint, absous, protégé, quitte à tourner le dos à sa propre communauté d’origine, laquelle finit par le congédier du Salon du livre juif de Neuilly.
Il n’est donc pas incongru que ce profil ait trouvé son point d’orgue sur France Inter, temple de la morale progressiste où les revues de presse sont moins une lecture qu’un catéchisme. Askolovitch y lisait la presse comme un prêtre lit l’évangile, excommuniant les fauteurs d’hérésie républicaine, vouant à l’opprobre les Zemmour et les Le Pen, et saluant les martyrs du multiculturalisme avec une ferveur que les vitraux de Saint-Sulpice ne renieraient pas.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette voix tonitruante ? Une empreinte, sans doute. Mais aussi une lassitude. Une partie non négligeable de l’opinion française, y compris chez les jeunes, ne s’y reconnaissait plus. Cette voix les accablait, les jugeait, sans jamais les écouter. Les réseaux sociaux, les podcasts indépendants, les nouveaux médias comme TVL ou Breizh infos, les nouvelles voix de la droite culturelle ont brisé le monopole.
Claude Askolovitch s’éloigne donc de sa chaire radiophonique, mais il laisse derrière lui le souvenir d’une époque. Celle où le journaliste était devenu prêcheur, où l’éditorial se prenait pour un tribunal, et où l’information se dissolvait dans le sermon. Espérons que cette page se referme sans que d’autres chantres de l’orthodoxie bien-pensante ne viennent la rouvrir trop tôt.
Par Balbino Katz
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