« L’Etat de droit est une notion ambigüe, qui a une acception tantôt technique tantôt transcendante. Dans cette dernière acception, elle devient une religion dont le juge est le grand officiant. » (Jean-Eric Schoettl, La démocratie au péril des prétoires, Le Débat, Gallimard). Avec la récente condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité, les juges ont abandonné le terrain judiciaire pour entrer sur celui de la politique.
A coup sûr, les articles 10 et 13 de la loi du 16 au 24 août 1790 mériteraient de figurer dans la Constitution ; ils concernent l’organisation judiciaire. Le premier : « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture. » Le second : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions législatives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. » La séparation des sphères judiciaires, d’une part, législative et administrative de l’autre est confirmée par le décret du 16 fructidor an III : « Défenses itératives sont faires aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient. »
Voilà qui va dans le sens d’une récente analyse donnée par Alain de Benoist : « En déclarant Marine Le Pen inéligible, les juges ont dynamité la présidentielle deux ans avant qu’elle ne se tienne, en ayant recours à deux procédés scandaleux : l’inéligibilité d’abord (il n’est pas normal qu’un tribunal pénal puisse prononcer des sanctions politiques), et surtout l’exécution provisoire, car elle revient à anticiper sur le résultat de la procédure d’appel.
Mais il ne faut pas s’y tromper : rendre Marine Le Pen inéligible n’était qu’un moyen, le but véritable était d’empêcher les citoyens de voter pour elle, au moment même où les sondages, en lui attribuant 37 % au premier tour, lui donnaient de fortes chances de l’emporter au second. A travers Marine Le Pen, c’est la masse considérable de ses douze ou quinze millions d’électeurs qui ont été sanctionnés au premier chef.
Les juges font de la politique
Or, ce n’est pas au juge de décider de qui peut briguer les suffrages des électeurs, c’est-à-dire pour qui les citoyens peuvent voter. Les magistrats n’ont pas le droit de fixer ce qui est à leurs yeux idéologiquement et démocratiquement acceptable, ce droit revenant à en priver le peuple, seul et unique titulaire de la liberté d’élire qui il veut. En pesant sur l’élection présidentielle, c’est-à-dire sur l’orientation de la vie politique du pays, les juges s’érigent en arbitre électoral, ce qui n’est pas leur rôle. C’est une illustration de plus du mépris des élites pour le peuple, et surtout de leur volonté de gouverner contre lui. »
(…) A ceux qui s’agitent comme des cabris en entonnant, sur le mode litanique, le grand air de l’Etat de droit comme s’il s’agissait d’un credo, il faut rappeler : 1) que la démocratie ne repose pas sur la notion de “droits fondamentaux“ – la revendication de faire du désir individuel de chacun une règle pour tous et le refus de toute “discrimination“ -, mais sur celle de souveraineté du peuple, condition première pour que puisse être formulé un intérêt commun, lequel implique une distinction entre les citoyens et les non-citoyens ; 2) que les juges ne doivent pas juger au nom des droits, mais au nom du peuple ; 3) que la démocratie des droits conduit à la désagrégation sociale, tandis que la démocratie véritable consacre le pouvoir de la communauté populaire, à commencer par celui de changer la loi, même si ce changement porte atteinte à certains droits.
En mettant la démocratie sous tutelle, le libéralisme donne le dernier mot aux juges. Les juges font de la politique, ce qui montre que la séparation des pouvoirs ne garantit pas leur indépendance idéologique. Mais qui jugera les juges ? » (Alain de Benoist, éditorial, Eléments, juin-juillet 2025)
Evidemment, Jean-Jacques Urvoas, professeur en droit public à l’Université de Bretagne occidentale, voit les choses autrement : « Dans un Etat de droit, quand on délégitime l’action du juge, on discrédite un contre-pouvoir dont on méconnaît l’importance (…) Le juge par essence – je ne dis pas le Parquet – doit être protégé en son indépendance. Il est la seule garantie que l’on puisse vivre ensemble sans la brutalité. » (Le Télégramme, vendredi 31 janvier 2025) Dans son récent ouvrage “Antimanuel de droit constitutionnel“ (Odile Jacob, janvier 2025), Jean-Jacques Urvoas approfondit la question : « Contrairement aux pouvoirs exécutif et législatif qui peuvent prendre des décisions, adopter des lois et agir de manière autonome, la justice ne dispose pas de cette capacité. L’existence du juge se limite à l’exercice de ses fonctions, et son autorité s’évanouit dès la décision est prise. Enfin, la crainte du corporatisme judiciaire et la perception d’une certaine irresponsabilité des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions font figure pour les parlementaires, d’obstacles majeurs à toute évolution.
Le Conseil constitutionnel vient au secours des juges
Cette frilosité est-elle réellement préjudiciable ? Juridiquement heureusement non, le Conseil constitutionnel ayant confirmé l’essentiel, c’est-à-dire l’indépendance de la justice dans sa décision n° 89-119 DC du 22 juillet 1980, en affirmant qu’il “n’appartient ni au législateur, ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions ou de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence“. ll conforta ainsi utilement la proclamation solennelle de l’article 64 : “Le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire“ et opposa implicitement l’existence d’un pouvoir judiciaire aux deux autres pouvoirs. »
Un autre professeur de droit public, Anne-Marie Le Pourhiet (Université Rennes 1), étend la question au niveau supranational ; elle constate que la souveraineté populaire, incarnée par des hommes politique élus ou par des exécutifs responsables devant les élus, doit souvent plier devant le pouvoir du juge. Elle explique : « Si le droit que l’on prétend appliquer n’a pas sa source dans la démocratie et la souveraineté populaire et ne reflète que les diktats d’une oligarchie voulant imposer ses propres choix idéologiques aux nations, contre leur volonté collective, alors ce droit n’est pas légitime. Les juges n’ont pas à se prévaloir de leurs propres idéologies ou celles des groupes de pression, comme les ONG, qui les instrumentalisent. ». (Le Figaro, 28 décembre 2020)
Terminons avec une définition du « gouvernement des juges » donnée par le doyen Georges Vedel. « Le gouvernement des juges commence quand ceux-ci ne se contentent pas d’appliquer ou d’interpréter les textes, mais imposent des normes qui en sont en réalité les produits de leurs propre esprit. « (« Neuf ans au Conseil constitutionnel », Le Débat, n° 55, mai-août 1989).
Bernard Morvan
Illustration : DR
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2 réponses à “Jean-Jacques Urvoas ne croit pas au « gouvernement des juges »”
Urvoas est clairement proche des frères la gratouille de l’état profond : comme d’autres dans le mouvement breton devenu socialiste après avoir abandonné le nationalisme traditionnel, il a été nommé à l’UBO comme son ami socialiste le lendemain où il avait été vidé de la présidence de Diwan après avoir essayé de le vendre à Jack Lang alors ministre de L’EN.
Et cela se dit défendre la Bretagne !
et pourtant elle tourne … et continue à nous suicider