Il est une loi non écrite mais invariable de l’histoire politique : la démographie finit toujours par se traduire dans les urnes. C’est une vérité élémentaire, mais qu’aucune classe dirigeante n’aime regarder en face. En France comme en Angleterre, l’on s’obstine à croire que les flux migratoires massifs ne produiraient que des effets économiques ou culturels. Pourtant, les bulletins de vote, tout comme les naissances, ont leur arithmétique. Et c’est cette évidence que rappelle, avec son style incisif et désabusé, Richard North dans un article récent intitulé Politics: a party of Islam.
Zarah Sultana, jeune députée travailliste de Coventry, d’origine pakistanaise, a claqué la porte du Labour pour annoncer la création d’un nouveau parti, aux côtés de Jeremy Corbyn. Surprise : Corbyn, figure quasi messianique de la gauche anglaise radicale, n’avait pas été prévenu. Furieux, dit-on. Mais l’essentiel n’est pas là. Ce nouvel attelage politique, qu’on habillera de mots nobles — justice sociale, égalité, paix — n’est rien d’autre, dans les faits, qu’une traduction politique directe du poids croissant de l’électorat musulman dans certaines circonscriptions du Royaume.
À ce titre, le parallèle avec la situation française est éclairant. Comme Jean-Luc Mélenchon, Corbyn fut longtemps la figure totem d’un gauchisme rhétorique et moral, dont l’utilité principale était de canaliser le vote des populations immigrées sous une bannière universaliste. Mais à mesure que le nombre crée la puissance, cette alliance se défait. L’électorat musulman n’a plus besoin d’un tuteur. Il se dote de ses propres représentants, de ses propres structures, de ses propres revendications. Ainsi s’est formée, en France, l’aile confessionnelle de La France Insoumise. Ainsi naît, en Angleterre, un embryon de « parti musulman » sous couvert d’altermondialisme et de solidarité palestinienne.
Ce que décrit Richard North avec une lucidité cruelle, c’est ce moment où la fiction d’un multiculturalisme harmonieux s’effondre. Dans une langue châtiée mais sans fard, il souligne que ce mouvement n’a rien à voir avec une simple fracture de la gauche. Il s’agit d’un basculement ethno-confessionnel. Les nouveaux députés issus du mouvement The Muslim Vote — Shockat Adam, Ayoub Khan, Adnan Hussain, Iqbal Mohamed — ne se sont pas fait élire pour défendre les mineurs du Yorkshire ou les retraités du Kent. Leur mandat est communautaire, leur agenda est identitaire, et leurs priorités, résolument tournées vers l’islam et la politique étrangère du Proche-Orient.
Cela n’a rien d’illégitime. C’est dans l’ordre des choses. Tout groupe humain suffisamment dense cherche, à terme, à défendre ses intérêts propres. Ce qui interroge, ce n’est pas qu’un « parti musulman » voie le jour, c’est que tant de voix s’en étonnent. Que croyait-on ? Que des millions de citoyens britanniques, nés de l’immigration indo-pakistanaise ou maghrébine, allaient indéfiniment voter selon les catégories héritées des syndicats ouvriers blancs ? La démographie n’est pas qu’une statistique, c’est une destinée politique. Oswald Spengler l’avait formulé avec son tranchant d’outre-Rhin : « La politique est la forme que prend l’instinct vital d’un peuple dans l’histoire. »
Richard North rappelle utilement que lors des dernières élections générales, The Muslim Vote a obtenu autant de sièges que le très médiatisé parti de Nigel Farage. Dans une cinquantaine de circonscriptions, le vote musulman peut désormais faire basculer l’issue du scrutin. Et si une structure unifiée émerge, disciplinée, militante, portée par un programme explicite — défense des musulmans à l’étranger, droits communautaires à l’intérieur, opposition à l’islamophobie présumée — alors le Labour pourrait bien payer le prix de son calcul cynique.
Car le Labour, tout comme le Parti socialiste français en son temps, a longtemps cru pouvoir s’appuyer sur l’électorat musulman sans jamais lui céder autre chose que des symboles. Il découvre aujourd’hui, comme le PS hier, qu’il ne suffit pas de tendre le micro aux imams progressistes et d’envoyer quelques tweets sur Gaza pour acheter le silence des ambitions nouvelles.
L’arrivée de ce nouveau parti musulman ne détruira pas le système politique britannique. Elle l’obligera simplement à sortir de l’hypocrisie. À constater qu’une société multiculturelle ne produit pas une unité arc-en-ciel, mais un archipel de clientèles, chacune défendant ses propres marqueurs : ethniques, religieux, mémoriels. L’Angleterre de demain, comme la France, ne sera pas celle de l’intégration universelle, mais celle de la coexistence concurrentielle. La République une et indivisible a vécu, y compris, paradoxalement, à Westminster.
Le mérite de Richard North est de dire tout haut ce que chacun observe tout bas : que les communautés qui ne s’assimilent pas finissent toujours par s’organiser. Non dans l’ombre, mais au grand jour. Avec bulletins de vote, attachés parlementaires, budgets publics, et bientôt, qui sait ?, ministères.
Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
5 réponses à “Le fruit mûr de la démographie : vers un parti musulman au Royaume-Uni ?”
Deja supprimer le droit du sol.
Et interdire aux binationaux l’accès aux fonctions électives et fonctionnariat ..
Comme le font leurs pays d’origine
Un Parti Musulman en Grande Bretagne ?….
Ils ont pourtant l’experience de la France et son bordel face à eux !…
C Q F D
C’était tellement prévisible que je ne prends même pas la peine de commenter…
Lisez Soumission de Houelbecq, tout y est notamment la lâcheté des élites politiques et surtout intellectuelles et universitaires.
Nous y allons tout droit dans le mur, nous le savons tous, et nous ne ferons rien. Suicide collectif.