Il faut d’abord rappeler qui parle. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, est sans doute le meilleur cartographe du pays réel. Il ausculte les failles électorales, les fractures culturelles, les silences géographiques. Son livre L’archipel français fut un pavé dans la mare du vieux jacobinisme, et ses enquêtes successives ont documenté la lente dissolution de l’unité nationale. Lorsqu’il s’exprime, ce n’est ni pour caresser ni pour séduire. C’est pour mesurer le pays tel qu’il est, non tel que d’aucuns le rêvent.
Dans l’entretien qu’il a accordé au Figaro le 11 juillet, il revient sur une polémique en apparence dérisoire. Sophia Chikirou, députée de La France insoumise, s’est gaussée d’une photographie montrant Fabien Roussel, le communiste au parler dru, applaudir la 2CV de la marque Cochonou lors du passage du Tour de France. Il n’en fallait pas plus pour que l’univers mental de LFI se dévoile en pleine lumière.
À travers cette moquerie, commente Fourquet, se dit un mépris de classe et une rupture plus profonde encore : celle qui sépare la gauche insoumise de ce que lui appelle la « France périphérique », celle des kermesses, du saucisson à l’apéro, des 14-Juillet et des majorettes. Non seulement LFI ne comprend pas cette France-là, mais elle l’exècre. Elle n’y voit qu’un résidu honteux, un marais réactionnaire, une province stagnante et rance, selon le terme de Philippe Sollers que Fourquet cite avec à-propos.
Or ce que ce mépris révèle est plus grave encore : il est un refus du réel français. Le Tour de France, la 2CV, le pique-nique sur la nappe à carreaux, ce sont les formes concrètes par lesquelles s’est jadis incarnée la promesse républicaine. En s’en moquant, LFI ne combat pas une idéologie, elle dénigre un peuple. Elle ne récuse pas une politique, elle ridiculise un mode d’existence.
Pour autant, ce rejet n’est pas un nihilisme. Il est sélectif. LFI n’abandonne pas tout réel, elle en adopte un autre. Celui des autres. Le réel des minorités, des quartiers, des diasporas, des « créolisés ». Fourquet rappelle que la stratégie de Mélenchon consiste à miser sur une France reconfigurée, métropolitaine, post-nationale, où la cause palestinienne, l’anti-racisme militant et les mobilisations intersectionnelles deviennent les nouveaux vecteurs d’adhésion. Il ne s’agit pas de rassembler la France, mais d’en choisir une et de rayer l’autre.
C’est pourquoi le conflit entre LFI et le PCF ne relève pas d’un débat idéologique, mais d’un divorce anthropologique. Roussel et Ruffin persistent à croire qu’il faut parler à la France des bourgs, aux ouvriers, aux retraités, aux buveurs de bière et mangeurs de saucisson. Mélenchon, Chikirou et consorts pensent que cette France est perdue pour la cause, qu’elle pue l’alcool, l’obésité et l’ennui. Leur France à eux est celle des cafés sans alcool, des drapeaux étrangers aux fenêtres, des concerts de slam et des slogans rédigés en écriture inclusive.
Ce que Fourquet dessine ici, sans emportement, mais avec une précision d’arpenteur, c’est la substitution d’un peuple à un autre. Non pas une extension du peuple, mais une redéfinition. LFI n’est pas en guerre contre les dominants, elle est en rupture avec la France majoritaire. Ce qui, dans une démocratie, est peut-être plus radical encore.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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