Kneecap : le trio rap irlandais de Belfast qui cartonne, entre satire, militantisme et polémiques

Né dans les quartiers populaires de Belfast, le trio Kneecap s’impose depuis 2017 comme l’un des phénomènes musicaux les plus discutés d’Irlande du Nord. Alliant hip-hop, électro-rock, satire politique, culture républicaine, antifa également, et promotion de la langue gaélique irlandaise, le groupe composé de Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí oscille entre humour provocateur et engagement revendiqué.

Leur trajectoire artistique, ponctuée de concerts polémiques, d’un film acclamé et de prises de positions pro-palestiniennes, suscite autant l’admiration d’un jeune public que l’indignation de nombreuses figures politiques britanniques.

En France, la ville de Saint-Cloud (Hauts de Seine) a décidé de retirer sa subvention de 40.000 euros au festival Rock en Seine en raison de la participation du groupe, engagé pour la cause palestinienne et accusé de soutenir le Hezbollah, tandis que l’un des membres est inculpé en Grande-Bretagne d' »infraction terroriste ».  Retour sur l’histoire de ce groupe qui cartonne actuellement Outre-Manche.

Une ascension fulgurante dans le sillage du militantisme culturel

Kneecap débute en 2017 avec le single « C.E.A.R.T.A. » (droits), inspiré d’un acte de désobéissance civique sur fond de défense de la langue irlandaise. Très vite, le trio gagne en visibilité grâce à son usage audacieux du gaélique mêlé à l’anglais, et à ses textes dénonçant les injustices sociales dans les quartiers populaires de Belfast. Leur premier album 3CAG (2018) et le second Fine Art (2024) leur ouvrent les portes des scènes internationales, tout en renforçant leur ancrage local auprès d’une jeunesse marginalisée, catholique ou protestante.

Leur musique, décrite comme « auto-parodique et subversive », évoque l’univers des dealers, les tensions communautaires, la dépression, l’addiction et les rêves d’émancipation. Derrière la provocation se cache un message de solidarité de classe, au-delà des clivages confessionnels (les membres du groupe, affiliés pourtant aux Républicains, ont même récemment déclaré avoir plus de points communs avec des supporteurs des Rangers issus de la classe ouvrière qu’avec des bourgeois du Celtic).

Une imagerie controversée entre républicanisme, satire et violences symboliques

Le nom du groupe, Kneecap (« coup de genou »), fait à la fois référence aux pratiques punitives des groupes paramilitaires républicains et à un jeu de mots en irlandais (« ní cheapaim » – « je ne pense pas »). Le ton est donné : celui d’une ironie grinçante sur les violences du passé, au service d’une critique du présent.

Le groupe s’est souvent affiché avec des slogans tels que « RUC not welcome » ou « England get out of Ireland », a chanté « Brits out » en concert, et multiplie les références à l’IRA, souvent pour mieux en moquer les tabous. DJ Próvaí porte une cagoule aux couleurs du drapeau tricolore irlandais, inspirée de l’esthétique paramilitaire.

Malgré leurs thèmes républicains, Kneecap affirme que les paramilitaires républicains leur auraient infligé des punitions par balle pour certaines des choses dont ils parlent dans leurs chansons. Ils encouragent une plus grande utilisation et un plus grand soutien de la langue irlandaise en Irlande du Nord. Kneecap se dit anti-sectaire et souhaite favoriser la solidarité entre les catholiques et les protestants de la classe ouvrière en Irlande du Nord. Mo Chara a déclaré : « Peu importe qui vous êtes, d’où vous venez. Ce n’est pas parce que nous rappons en irlandais et que nous ne partageons peut-être pas vos opinions politiques que nous ne pouvons pas être amis avec des gens qui ne partagent pas nos opinions politiques (…) Nous sommes politiques, mais c’est très ironique. Nous voulions enlever le côté sérieux et provocateur et y intégrer des éléments de la vie que nous apprécions en tant que jeunes, comme faire la fête et prendre des drogues dures… Nous sommes politiques avec un petit ». Faisant référence aux divisions sectaires à Belfast, il a déclaré que « les deux communautés de Falls Road [catholique] et Shankill [protestante] souffrent en grande partie des mêmes problèmes : banques alimentaires, pauvreté, suicide… Malheureusement, le mur n’empêche pas ces problèmes de passer d’une communauté à l’autre… Je pense que beaucoup de politiciens du Nord préfèrent que les gens se concentrent sur certains aspects de notre vie pour créer des divisions, mais nous avons beaucoup plus en commun »

La police a également enquêté sur une vidéo datant de novembre 2024 montrant Mo Chara scandant « Vive le Hamas, vive le Hezbollah » drapé dans un drapeau du Hezbollah. En février 2025, le groupe a tweeté une image d’un de ses membres lisant un livre contenant des déclarations de Hassan Nasrallah, alors chef du Hezbollah.  En vertu de la loi de 2000 sur le terrorisme, exprimer son soutien à ces groupes constitue un délit au Royaume-Uni.

En 2024, le groupe se produit à Coachella avec des slogans appelant à la « libération de la Palestine » et accusant Israël de « génocide« , suscitant des réactions outrées jusqu’aux États-Unis. Lors d’un concert à Glastonbury en 2025, le groupe s’est de nouveau retrouvé au coeur de la polémique, en contribuant c’est vrai (mais ce n’est pas le seul groupe à l’avoir fait) un festival de musique en tribune politique pro palestinienne.

Le gouvernement britannique a tenté de bloquer une subvention publique au groupe, qui a contre-attaqué et remporté le procès, redistribuant l’argent à des associations œuvrant dans les communautés catholiques et protestantes de Belfast.

Un film autobiographique primé et une stratégie de contre-feu médiatique

Le film Kneecap, sorti en 2024 et sélectionné pour représenter l’Irlande aux Oscars, raconte la genèse du groupe dans le quartier gaélique de Belfast. Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí y jouent leurs propres rôles aux côtés de Michael Fassbender. Le film, salué au festival de Sundance, marque une consécration artistique tout en cristallisant les critiques contre un usage jugé « subversif » de fonds publics.

Malgré les controverses, Kneecap demeure un phénomène culturel de premier plan en Irlande du Nord, en Irlande, et dans tout le Royaume-Uni, bousculant les normes politiques et linguistiques, assumant un héritage républicain tout en le tournant en dérision, et incarnant une forme nouvelle d’expression identitaire radicale — à mi-chemin entre le happening punk et la chronique sociale.

Crédit photo : DR
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