Les archives nationales britanniques viennent de lever le voile sur des propositions étonnantes formulées au début des années 2000 pour tenter de mettre fin définitivement à la campagne armée de l’IRA provisoire. Parmi elles : l’idée de convertir l’organisation républicaine en une sorte de « ligue des anciens combattants » et même de la rendre légale, afin de débloquer le processus politique.
L’ambassadeur qui voulait une « retraite honorable » pour les Provos
Un document daté du 4 février 2002 et marqué « personnel et confidentiel » révèle que Sir Ivor Roberts, alors ambassadeur britannique en Irlande, avait suggéré aux gouvernements britannique, irlandais et américain de pousser l’IRA à se transformer en organisation d’anciens combattants. Dans une note adressée à Sir Bill Jeffrey (NIO) et transmise au chef de cabinet de Downing Street, Jonathan Powell, le diplomate exprimait son scepticisme vis-à-vis du processus de désarmement : « Fianna Fáil n’a jamais désarmé, ils se sont contentés d’enterrer leurs armes et de mettre leur armée en sommeil », rappelait-il, estimant que cette approche aurait pu s’appliquer à l’IRA.
Selon lui, deux facteurs rendaient ce scénario envisageable :
- Le changement radical du contexte international après les attentats du 11 septembre 2001, qui rendait toute tolérance envers le terrorisme plus difficile, y compris aux États-Unis.
- La possibilité pour le mouvement républicain d’accéder pleinement au jeu politique, l’Irlande interdisant toute autre armée que celle de l’État.
Roberts évoquait ainsi « un retrait honorable » de l’IRA, qui permettrait à ses membres de s’investir dans la construction gouvernementale, tout en évitant un nouveau blocage institutionnel lié à l’absence de gestes concrets sur le désarmement.
Trimble et l’idée d’une IRA légale
Un an et demi plus tard, en juillet 2003, alors que les négociations s’enlisaient, David Trimble, chef du Parti unioniste d’Ulster (UUP), proposa à son tour une idée jugée « imaginative » par Jonathan Powell : rendre l’IRA légale et transparente. Trimble ne demandait pas sa dissolution, mais, dans le contexte d’une future dévolution de la justice criminelle, la levée de son interdiction (de-proscription). Cette légalisation supposait que les dirigeants de l’IRA apparaissent publiquement, pour symboliser la fin définitive de la lutte armée.
Cette proposition visait à débloquer un accord global comprenant :
- une déclaration de l’IRA,
- un acte concret de désarmement,
- et la tenue d’élections à l’automne 2003.
Cependant, Powell mettait en garde : légaliser l’IRA sans changement fondamental exposerait Londres aux critiques, et impliquerait de faire de même avec les groupes loyalistes, ne laissant que les factions dissidentes (RIRA, CIRA, LVF) sur la liste des organisations interdites.
Selon une note ultérieure envoyée à Tony Blair, Gerry Adams et Martin McGuinness rejetèrent la proposition de Trimble, ne la prenant « pas au sérieux ». L’idée d’une IRA officiellement reconnue, même transformée, resta donc lettre morte.
Ces révélations illustrent les marges de manœuvre parfois explorées, y compris les plus audacieuses, pour arracher un compromis dans le cadre du processus de paix nord-irlandais. Elles montrent aussi jusqu’où certains responsables étaient prêts à aller pour tourner la page d’un conflit qui, malgré l’Accord du Vendredi Saint (1998), restait fragile au début des années 2000.
Crédit photo : Wikipedia (cc)
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