Corse : l’autonomie n’est pas pour demain

Les institutions en Corse sont différentes de celle de la France continentale. Chez Simeoni, on a affaire à l’« Assemblée de Corse », chez Chesnais-Girard au « conseil régional de Bretagne » – ce qui ne donne pas les mêmes compétences. Avec  l’« autonomie », la première verrait sa marge de manœuvre notablement améliorée.

Pendant le règne de François Mitterrand, Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, avait défendu en 1990 un texte visant  à accorder à la Corse des « libertés » ; la grande innovation du projet consistait à reconnaître l’existence d’un « peuple corse » composante du « peuple français ». Evidemment, le Conseil constitutionnel s’est empressé de censurer cette innovation juridique. Prochainement, toujours à propos de la Corse, il aura à plancher sur le terme « communauté », ainsi que sur le « lien singulier à sa terre », deux notions qui n’existent pas en droit constitutionnel.

Bien entendu, au Parlement, les jacobins de tous poils (LFI, RN, droite) s’opposeront au « Projet de loi constitutionnelle pour une Corse autonome au sein de la République ». A tout seigneur, tout honneur, nous commençons par exposer les arguments  développés par les opposants au texte. Avec Julien Aubert, vice-président des Républicains et ancien député du Vaucluse, nous avons d’abord droit à une bonne explication de l’affaire : « Le texte sur la Corse introduit un nouvel article 72-5 dans la Constitution, conférant à la collectivité de Corse un pouvoir normatif propre. L’objectif affiché : permettre à l’île d’adapter les lois et règlements à ses réalités spécifiques, sans porter atteinte aux principes fondamentaux de la République. Il y est écrit : “La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre“. » (Valeurs actuelles, 13 août 2025)

L’exercice pédagogique achevé, Aubert passe au réquisitoire. « Le projet républicain n’est pas un projet ethnique ; il est civique. Il ne connaît qu’une seule communauté : la communauté  nationale, fondée sur l’adhésion à un socle commun de valeurs et de droits. Etre français, c’est partager un passé et une culture, et surtout vouloir construire un avenir commun. Les indépendantistes, eux, prétendent que plus rien ne nous unit, que la langue ou la culture locale suffisent à légitimer la séparation. C’est une logique périlleuse : appliquée strictement, elle pourrait justifier l’émancipation  de la Bretagne, de l’Alsace ou de la Provence. » (Valeurs actuelles, 13 août 2025)

La Corse demande la même chose que la Sardaigne

Du côté des défenseurs du projet, on trouve évidemment François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire, qui porte le texte. Pour lui, « si on en est là aujourd’hui, c’est parce que la collectivité de Corse a ressenti, pendant vingt-cinq ans, une forme de mépris de la part des gouvernements français successifs, qui n’ont répondu à aucune de sa cinquantaine de demandes d’adaptation. Cela a de quoi exaspérer. (…) Ramener la paix en Corse  est indispensable pour nous. Cela n’empêche pas de lutter contre les mafias et le crime organisé sur place» (La Tribune Dimanche, 3 août 2025).

On trouve même chez les Normands des défenseurs du projet. C’est le cas de Hervé Morin (centriste), président de la région Normandie : « Je suis favorable à l’autonomie de la Corse. Elle a une identité propre et elle est la seule île de Méditerranée à ne pas bénéficier d’un tel statut. On agite souvent la peur du laxisme, notamment sur l’urbanisme. Mais pardon : les Corses ont bien mieux protégé leur littoral que les Alpes-Maritimes ! Il faut leur faire confiance. De Gaulle l’avait compris dès 1969 : la France ne s’affaiblira jamais en décentralisant intelligemment. » (Le Journal du dimanche, 3 août 2025)

En Bretagne, nous avons un juriste qui s’intéresse à la question : Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice et professeur de droit public à l’université de Brest. Pour lui, le statut d’autonomie n’est pas synonyme de détricotage du pays : « Le terme “autonomie“ n’a rien d’un monstre juridique. Il est même déjà inscrit dans notre Constitution, précisément dans son article 74, pour encadrer les collectivités d’outre-mer. En effet, depuis 2003, la République accepte, et organise, une pluralité de régimes juridiques. C’est donc un fait : l’unité de la nation ne s’oppose pas à la diversité des statuts. Ainsi, Saint-Pierre et Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et la Polynésie française sont toutes des collectivités françaises mais leur seul point commun est justement leur différence. A titre d’exemple, la Polynésie peut adopter des “lois de pays“ soumises au contrôle du Conseil d’Etat, Wallis-et-Futuna ignore jusqu’à la forme communale. Quant à Saint-Barthélemy, elle vit sans impôt sur le revenu ni TVA. » (Le Télégramme, jeudi 31 juillet 2025) Notons que l’article 74 de la Constitution dispose que « les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République. »

« Faire semblant » avec la « patate chaude »

Au final, c’est la politique – et surtout la politique politicienne – qui décidera du sort de ce projet de loi constitutionnelle.  « En octobre, le projet de loi arrivera au Sénat, puis à l’Assemblée nationale : les deux chambres doivent l’adopter dans les mêmes termes, à la virgule près. Suivra la réunion du Congrès à Versailles, avec une nécessaire majorité des trois cinquièmes pour adopter le texte. Autant dire mission impossible, au regard du cirque politique actuel. Alors, pourquoi l’exécutif s’entête-t-il ? Sans doute parce qu’il connaît déjà le résultat, mais pourra en rejeter la faute sur les parlementaires à qui il revient de refiler la patate chaude… » (L’Express, 7 août 2025)

On retrouve le même son de cloche chez Pascal Praud : « A l’automne, un projet de loi sera discuté au Parlement pour modifier la Constitution de 1958 et consacrer le statut d’autonomie de la Corse. Ce projet est mort-né. Le Rassemblement national est contre. Les Républicains sont contre. La France insoumise et le bloc central sont divisés. Il y a peu de chances que l’Assemblée national et le Sénat votent le texte dans les mêmes termes. Rappelons que trois cinquièmes des parlementaires réunis en congrès à Versailles  doivent valider le choix des assemblées pour changer la Constitution. Tout cela paraît improbable. Alors pourquoi jouer à faire semblant ? » (Le Journal du dimanche, 24 août 2025)

« Nous allons écrire une nouvelle page de l’histoire de notre peuple », affirme Gilles Simeoni, le président de l’exécutif corse. « Une page  – si elle se traduit par une loi constitutionnelle – qui ne comportera pourtant pas la notion juridique de peuple corse. » (Le Monde, dimanche 24-lundi 25 août 2025). La mention de « peuple corse » entraînerait immédiatement la censure du Conseil constitutionnel ; il ne veut connaître que le « peuple français », simple notion juridique reconnue par la Constitution de 1958.

Bernard Morvan

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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