En 2025, un rapport inédit révèle l’ampleur du travail forcé dans les prisons cubaines. À l’origine de cette enquête exhaustive, Javier Larrondo, président de l’ONG Prisoners Defenders, qui dénonce un système d’exploitation institutionnalisé touchant des dizaines de milliers de détenus. Dans cet entretien, il revient sur les méthodes d’enquête, les témoignages recueillis et les implications internationales de ce qu’il qualifie de crimes contre l’humanité.
Breizh-info.com : Pourquoi avoir décidé de publier ce premier rapport exhaustif sur le travail forcé dans les prisons cubaines en 2025 ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : En 2024, le Rapporteur spécial des Nations unies contre l’esclavage nous a fait part de son intérêt pour le travail forcé dans les prisons à travers le monde. Nous avons présenté un rapport sur le travail forcé des prisonniers politiques à Cuba, qui a été adopté et référencé dans le rapport du Rapporteur spécial au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Dans ce travail, nous avons découvert non seulement des détails sordides sur ces travaux forcés, mais aussi des informations qui nous ont poussés à vouloir couvrir l’ensemble des travaux forcés à Cuba dans les prisons et les centres de travail forcé.
Breizh-info.com : Comment avez-vous réussi à recueillir des témoignages crédibles malgré la censure et la répression du régime ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Avant le 11 juillet 2021, il y avait environ 150 prisonniers politiques à Cuba. Il s’agissait d’activistes que le régime isolait et contrôlait. Cependant, lorsque le 11 juillet 2021, le régime a décidé d’emprisonner plus de 1 500 personnes, tout a changé. Les informations ont commencé à affluer massivement. Au fil du temps et grâce à notre accompagnement de plus de 1 500 familles, nous avons gagné leur confiance et aujourd’hui, il nous suffit de leur demander des informations pour que les réseaux de ces familles nous fournissent une multitude de données et d’informations sur les événements qui se déroulent derrière les murs des prisons.
Breizh-info.com : Votre rapport estime à environ 60 000 le nombre de prisonniers soumis au travail forcé. Comment arrivez-vous à ce chiffre et en quoi est-il significatif ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Ce chiffre provient de deux sources différentes, qui coïncident. L’une est la documentation du régime lui-même, qui a permis au World Prison Brief de publier en janvier 2024 le chiffre de 90 000 prisonniers derrière les barreaux à Cuba. Ces documents contenaient bien plus d’informations que ce chiffre. Des informations très détaillées sur les condamnations et le système pénal. L’autre est la confirmation, par 160 victimes, des données relatives aux prisonniers de droit commun et aux prisonniers politiques dans 40 prisons, que nous avons extrapolées aux 242 prisons présentes à Cuba. Les deux chiffres coïncidaient, dans leur fourchette inférieure, avec environ 60 000 prisonniers effectuant des travaux forcés, et le chiffre supérieur était de plus de 70 000. Nous avons pris le chiffre le plus bas possible, c’est pourquoi nous pensons ne pas nous tromper du tout.
Breizh-info.com : Peut-on parler d’un système d’exploitation économique d’État, et non de simples abus locaux ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Les prisonniers emballent le charbon de bois dans tout le pays dans des sacs destinés à l’exportation. De même, les prisonniers fabriquent des cigares avec pour consigne que ceux qui passent le contrôle qualité pour être exportés leur seront remis. Les vitoles Cohíba et Mareva, par exemple, sont utilisées dans la prison de Boniato, à Santiago de Cuba, pour l’exportation. Des milliers de prisonniers à travers le pays produisent du charbon de bois et des cigares havanes au moyen du travail forcé.
Breizh-info.com : Vous documentez des témoignages bouleversants de détenus privés de soins, exposés à des conditions inhumaines, parfois au prix de leur santé. Pouvez-vous nous donner un exemple particulièrement marquant ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : L’un d’eux reflète le niveau d’impuissance auquel sont soumises les mères de jeunes enfants. Une femme s’est cassé la jambe en travaillant. Elle l’a signalé à l’agent pénitentiaire, qui lui a répondu de se taire sous peine de perdre le droit de recevoir la visite de ses enfants mineurs. La femme a donc dû se taire. Une famille nous a également fait part, en pleurant, de son inquiétude pour un jeune membre de la famille contraint au travail forcé dans l’agriculture, avec des journées interminables sous le soleil alors qu’il souffre de la dengue, une maladie très grave qui peut entraîner la mort. La dernière nouvelle qu’ils ont eue de lui, c’est qu’il était squelettique et qu’il dépérissait en travaillant dans les champs. La famille craint qu’il ne meure. La réalité est que des centaines de prisonniers meurent chaque année à Cuba et que l’État cache les causes de leur décès à leurs familles.
Breizh-info.com : Les femmes détenues et les Afro-Cubains apparaissent comme des cibles spécifiques d’exploitation et de violence. Pouvez-vous détailler cette dimension genrée et raciale ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Les hommes, en général, subissent davantage de violences physiques (environ 50 % d’entre eux). Les femmes un peu moins, mais la répression dont elles font l’objet est davantage centrée, par rapport aux hommes, sur leurs enfants et leur famille, en leur coupant les appels téléphoniques, les visites à la prison ou les permissions de sortie. Cela affecte tout particulièrement les femmes. Mais en outre, 50 % d’entre elles nous ont avoué subir des harcèlements sexuels récurrents de la part des autorités et des détenus de droit commun eux-mêmes, avec l’assentiment des autorités.
Breizh-info.com : Le rapport démontre que le charbon et les cigares produits par les prisonniers cubains sont exportés en Europe, notamment en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Italie et en France. Quels volumes cela représente-t-il concrètement ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : En 2023, cela représentait environ 62 millions de dollars, dont la plupart ont été importés par ces pays.
Breizh-info.com : Peut-on dire que l’Europe est complice, même involontairement, de ce système esclavagiste en continuant d’importer ces produits
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : La responsabilité de surveillance des autorités européennes a été absente dans cette affaire. Certains dirigeants européens continuent de penser que normaliser les relations politiques et commerciales avec un système qui asservit son peuple est quelque chose d’inoffensif. Mais non, cela aggrave la tragédie du peuple cubain, ce qui nous rend en partie responsables de ce qui se passe.
Breizh-info.com : En termes de droit international, est-ce que cela pourrait être qualifié de crime contre l’humanité ? Quelles suites juridiques attendez-vous au niveau de l’ONU, de l’OIT ou de la Cour pénale internationale ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Sans aucun doute, cela est prévu à l’article 7 du Statut de Rome. Le régime commet deux crimes contre l’humanité à l’encontre de sa population pénale : l’esclavage et les traitements inhumains.
Breizh-info.com : Quelles mesures juridiques attendez-vous de la part de l’ONU, de l’OIT ou de la Cour pénale internationale ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Cela dépend d’eux, mais je sais que les deux premières organisations sont en train de travailler sur la question. Nous attendons des condamnations fermes concernant cette situation. La Cour pénale internationale est malheureusement devenue un cirque avec le procureur Karim Khan, qui a déjà été démis de ses fonctions à la suite de plusieurs scandales. L’ancienne procureure n’était pas meilleure. Cependant, aucun d’entre eux n’a pu classer l’affaire en cours contre l’esclavage auquel Cuba soumet les travailleurs cubains à l’étranger, tels que les médecins et les infirmières, dont le numéro de dossier est OTP-CR-208/19. En effet, il s’agit de crimes commis sur le territoire d’États signataires du Statut de Rome. Toutefois, pour les crimes contre l’humanité commis à Cuba et contre des Cubains, tels que le travail forcé dans les prisons, la Cour n’a ni juridiction ni compétence.
Breizh-info.com : Que devraient faire concrètement les pays européens qui importent du charbon ou des cigares cubains ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : C’est simple et obligatoire selon nos lois : empêcher la commercialisation jusqu’à ce que Cuba prouve qu’elle a éradiqué le travail forcé dans les prisons pour produire des cigares cubains ou du charbon de bois.
Breizh-info.com : Avez-vous déjà alerté officiellement les autorités françaises et européennes ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Les autorités françaises et européennes disposent du rapport complet avec tous les détails.
Breizh-info.com : Quelle a été leur réponse ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Le silence.
Breizh-info.com : Enfin, si vous aviez un message direct à adresser au gouvernement cubain, quel serait-il ?
Javier Larrondo (Prisoners Defenders) : Votre temps et le mensonge consistant à dissimuler un système national-socialiste et fasciste sous le halo d’un système égalitaire et socialiste sont révolus. Cela fait déjà 67 ans que vous mentez, et soit vous cherchez un moyen de sortir de cette situation en opérant une transition vers la démocratie, soit les conséquences pour vous seront pires que vous ne pouvez l’imaginer. On peut demander à un peuple de supporter un mauvais gouvernement, mais pas de supporter des crimes contre l’humanité qui touchent l’ensemble du peuple, sans que celui-ci réagisse.
Propos recueillis par YV
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