Il fut un temps où les dimanches d’octobre avaient un goût de fin du monde. Les feuilles tombaient, les coureurs s’épuisaient, et quelque part entre Côme et Bergame, on croyait encore que la beauté du cyclisme résidait dans l’incertitude. On guettait un éclat, une erreur, un homme plus fou que les autres. On parlait de panache, de bravoure, de révolte. Et puis, un jour, tout cela s’est éteint.
Ce samedi, Tadej Pogacar a remporté son cinquième Tour de Lombardie consécutif. Cinq d’affilée. Sans frisson, sans rival, sans histoire. Une attaque à trente-six kilomètres de l’arrivée, un écart qui grimpe comme un électrocardiogramme débranché, et un peloton résigné à lui servir de comité d’honneur. Même les caméras semblaient s’ennuyer, comme si elles filmaient un spectacle déjà joué. Alors non, nous ne rendrons pas compte du Tour de Lombardie. Pas cette fois.
Une saison confisquée
Depuis des mois, le cyclisme ne tourne plus qu’autour d’un seul nom : Pogacar.
Il ne court pas, il colonise.
Il ne gagne pas, il écrase.
Chaque course devient un rituel identique, un scénario immuable : attaque, solitude, victoire.
Il ne reste plus rien à raconter.
Le Slovène a tout pris. Les classiques, les monuments, le Tour, les championnats du monde, l’Europe. Et quand il ne gagne pas, son équipe — l’armée d’UAE — s’en charge pour lui, histoire que personne n’oublie où se trouve le pouvoir. On en viendrait presque à regretter les époques troubles, celles où les champions trichaient au moins avec panache, avant de tomber de haut. Aujourd’hui, la perfection s’est industrialisée : calibrée, clinique, sponsorisée.
Les commentateurs comme les fossoyeurs
Autrefois, les journalistes flairaient le soufre. Aujourd’hui, ils comptent les records. On ne s’interroge plus : on s’émerveille.
Le soupçon, ce vieux compagnon du cyclisme, a disparu avec le courage d’enquêter. Les consultants, souvent payés par les mêmes marques qui habillent les coureurs, se contentent d’égrener les superlatifs comme des cierges à la gloire du champion. Certains en sont réduits à calculer la distance de ses échappées victorieuses : 40 kilomètres ? 60 ? 100 ? Comme si la longueur du miracle en faisait la vérité.
Le peloton, lui, s’est tu. On ne conteste plus, on survit. Les coureurs se battent pour les miettes — une deuxième place, un top 10, quelques points UCI. La résignation s’est installée, polie, muette, presque administrative.
Le cyclisme n’est plus une lutte : c’est un organigramme.
Screenshot
L’ombre de l’US Postal
On a connu d’autres empires : Banesto, US Postal, Sky. Ils dominaient, certes, mais laissaient parfois entrevoir une faille, une faiblesse, un jour sans. Là, rien. UAE s’étend comme une nappe d’huile sur le calendrier. Ses coureurs gagnent les courses que Pogacar ne daigne pas courir, histoire d’entretenir le mythe d’une équipe toute-puissante, invincible, propre jusqu’à la caricature.
Et quand on ose évoquer les ressemblances avec d’autres ères de domination — celles qui finirent devant les tribunaux —, on nous oppose le sourire et la jeunesse, l’entraînement et la science. Le refrain est connu. On sait comment ce genre d’histoires se termine.
Paris-Tours, le lendemain, offrait un tout autre spectacle : deux jeunes Français se sabordant dans le dernier kilomètre, un vieux briscard surgissant de nulle part pour leur voler la victoire. De l’erreur, du doute, de la vie.
Le genre de bêtise humaine qui fait encore battre le cœur du cyclisme. Mais ici, en Lombardie, il n’y eut rien de tout cela. Juste un homme et ses watts, son sourire d’ange et son équipe de soldats.
Le spectacle parfait, donc désespérant.
On pourrait continuer à feindre l’enthousiasme, à relayer les communiqués, à se gargariser de superlatifs. Mais ce serait trahir ce sport qu’on aime encore, malgré tout. Rendre compte du Tour de Lombardie 2025, ce serait participer à une mise en scène où tout est écrit d’avance.
Nous préférons le silence au mensonge.
Il viendra peut-être un jour où Pogacar chutera, fatigué de sa propre lumière, ou victime de vraies enquêtes journalistiques, ou bien un autre, plus jeune, plus fou, osera le défier. Ce jour-là, nous reprendrons la plume avec plaisir. En attendant, nous gardons nos mots pour les courses où l’imprévisible existe encore, où les hommes se trompent, où la gloire se gagne à la pédale et se perd dans un virage mal négocié.
A l’année prochaine !
YV
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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