Trente-quatre ans après les faits, la Croatie a enfin pu identifier les restes de Jean-Michel Nicolier, jeune Français tombé en novembre 1991 lors du siège de Vukovar, l’un des épisodes les plus tragiques de la guerre d’indépendance croate. Né à Vesoul en 1966, Nicolier avait rejoint, à 25 ans, les rangs des défenseurs croates contre l’armée fédérale yougoslave et les milices serbes.
Son corps, longtemps porté disparu, a été retrouvé en septembre 2025 dans une fosse commune près de la ferme d’Ovčara, lieu du massacre de 264 prisonniers croates exécutés après la chute de Vukovar. L’annonce de son identification, confirmée par analyse ADN, a bouleversé la Croatie et ému la France. Le ministre croate des anciens combattants, Tomo Medved, a salué « un homme né ailleurs mais qui a laissé son cœur en Croatie ».
Un volontaire venu de France
Jean-Michel Nicolier n’était ni soldat de métier, ni aventurier. Selon ses proches, il était un jeune homme idéaliste, passionné par la liberté et révolté par les images de guerre qui déchiraient l’Europe de l’Est en 1991. En juillet de cette année-là, il décide de rejoindre les rangs de la garde nationale croate. Il arrive à Vukovar en septembre, alors que la ville est déjà encerclée par les troupes serbes et les chars de la JNA (Armée populaire yougoslave).
Les défenseurs, environ 1 800 hommes, sont mal équipés, parfois sans uniforme, mais galvanisés par leur détermination. Face à eux, près de 36 000 soldats, appuyés par l’artillerie lourde et l’aviation, bombardent sans relâche la cité. Jusqu’à 12 000 obus par jour s’abattent sur la ville, réduisant les hôpitaux, écoles et immeubles en ruines.
Malgré la faim, la soif et la fatigue, Nicolier reste aux côtés des Croates. Il participe à la défense de plusieurs quartiers et aide à protéger les civils piégés dans les sous-sols. Le 9 novembre 1991, il est gravement blessé lors d’un bombardement et transporté à l’hôpital de Vukovar, déjà saturé de blessés.
Le massacre d’Ovčara
Le 18 novembre 1991, après 87 jours de siège, Vukovar finit par tomber. Les combattants croates, épuisés, déposent les armes, convaincus qu’ils seront évacués sous la protection du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Mais l’accord est trahi. Deux jours plus tard, 264 personnes — blessés, médecins, infirmières et volontaires, dont Jean-Michel Nicolier — sont extraites de l’hôpital par les forces serbes.
Transportés à la ferme d’Ovčara, à quelques kilomètres, ils sont battus, torturés, puis exécutés dans des fosses communes. C’est l’un des pires massacres de la guerre de Croatie. Nicolier, alors prisonnier, aurait été frappé à mort après avoir refusé de renier son engagement pour la liberté croate.
Son corps ne sera jamais retrouvé — jusqu’à cette année 2025, où les fouilles menées près d’Ovčara ont permis d’identifier ses restes parmi ceux de trois autres victimes.
Le siège de Vukovar : Stalingrad des Balkans
Le siège de Vukovar (25 août – 18 novembre 1991) reste l’un des épisodes les plus violents de la guerre d’indépendance croate. Située sur le Danube, la ville symbolisait avant-guerre la coexistence pacifique entre Croates et Serbes. En 1991, elle devient le théâtre d’un affrontement total.
Les forces serbes, soutenues par Belgrade, pilonnent sans répit la ville, provoquant la mort de plus de 1 100 civils et 2 600 combattants, ainsi que la fuite de 25 000 habitants. Quand les troupes de Vojislav Šešelj pénètrent enfin dans les ruines, Vukovar n’est plus qu’un champ de cendres.
Les survivants sont séparés : les hommes envoyés dans des camps ou exécutés, les femmes et enfants déportés. La ville restera sous contrôle serbe jusqu’en 1998, date à laquelle elle sera pacifiquement réintégrée à la Croatie par l’accord d’Erdut.
En Croatie, Jean-Michel Nicolier est depuis longtemps un symbole. Le président Ivo Josipović lui a décerné en 2011 la médaille du courage à titre posthume. En 2014, un pont de Vukovar a été baptisé en son honneur. Lors du match Croatie–France de 2025, les supporters croates ont brandi des banderoles à sa mémoire : “Merci Jean-Michel”.
Il fait partie des 480 volontaires étrangers venus défendre la Croatie, issus de 35 pays. Soixante-douze y ont trouvé la mort. Son nom est inscrit au mémorial d’Ovčara, aux côtés de ceux de ses frères d’armes croates.
Sa mère, Lyliane Fournier, a consacré sa vie à retrouver son fils et à témoigner de son engagement. Présente à Vukovar lors de l’annonce officielle de l’identification, elle a déclaré : « Mes pensées vont à toutes les familles qui n’ont pas encore retrouvé leurs proches. J’espère qu’elles connaîtront un jour la vérité. »
Vukovar reste aujourd’hui une ville martyre, reconstruite mais marquée par ses cicatrices. Les tours d’eau criblées de balles, le musée-mémorial et les cérémonies du 18 novembre rappellent chaque année le prix de la liberté.
Pour de nombreux Croates, Jean-Michel Nicolier incarne cette fraternité européenne des peuples face à la tyrannie. Il est, à leurs yeux, le visage français d’un combat pour la dignité, la fidélité et la foi dans une Europe enracinée.
Son histoire, désormais complète, rejoint celle des grands volontaires européens tombés loin de chez eux pour défendre une cause juste.