La recomposition silencieuse du vote gay

Ce dimanche matin, un vent furieux traverse Lechiagat et vient gifler les vitres du Bar des Brisants. Les habitués entrent en secouant leurs cirés comme on écarte la poisse, et j’observe ce petit théâtre familier en enveloppant mes doigts autour d’une tasse brûlante. A quelques pas de moi, deux hommes d’âge mûr conversent à voix basse, silhouettes bien mises, figures de ce double income no kids devenu si courant dans les bourgs bretons. Cette vision, presque anodine à force d’habitude, formait pourtant un contrechant intrigant à l’article que je lisais sur ma liseuse, une enquête du magazine Elle consacrée à l’attirance croissante d’une partie de l’électorat homosexuel pour le Rassemblement national. Les Brisants devenaient ainsi le balcon idéal pour contempler ce décalage entre la France réelle et celle que certaines rédactions persistent à imaginer.

L’article, signé Hicham Zemrani, étouffe sous les précautions. On y sent cette respiration coupée propre aux journalistes qui pressentent que la réalité contredit leur grille de lecture, mais qui doivent malgré tout tenir compte des règles implicites de leur milieu. Le ton est feutré, la peur de mal faire tangible, l’embarras perceptible dans chaque phrase. Ce ne sont pas les étranglements rageurs de Libération ou de Mediapart, mais une autre forme de strangulation, discrète, presque mondaine, comme si la vérité sociale du moment exigeait d’être évoquée du bout des lèvres.

Ce qui manque surtout à l’article, c’est l’intelligence du phénomène interne au RN. Le journaliste suppose que l’ascension de cadres homosexuels serait une sorte de ruse stratégique ou de vanity politics. Il ignore que ce mouvement n’a pas débuté avec Jean Marie Le Pen, dont le pragmatisme bourru toléra toujours davantage qu’on ne le dit, mais bien avec sa fille Marine. Pour comprendre ce basculement, il faut s’intéresser à sa psychologie, au monde intérieur où elle évolue, à ce mélange d’indolence, d’adaptation et de flottement idéologique qui constitue le socle de sa personnalité politique. C’est une femme sans convictions profondes. Elle pense comme la télévision, comme l’air du temps, comme les nécessités concrètes de sa vie qui s’est organisée autour d’une maternité marginalisée, d’un chat, d’une colocataire, d’un mode de vie presque boisé dans ses habitudes. Ce n’est pas un reproche, seulement une donnée de caractère. Cette absence de dogme l’a rendue indifférente aux questions de moeurs et donc très disposée à confier des responsabilités à ceux qui se présentaient, pourvu qu’ils fussent compétents.

Philippot, Chenu, Tanguy, pour ne citer que les figures les plus visibles, ont apporté avec eux un mélange rare de finesse, de disponibilité hors norme, d’entre genre social et d’intelligence vive qui caractérise souvent les hommes homosexuels dans la vie publique. Leur présence rassurait Marine Le Pen parce qu’elle n’intimidait pas sa féminité, et elle ne voyait en eux ni rivaux ni dangers. Ils combinent empathie, endurance psychologique, talent relationnel et un sens inné du politique que d’autres peinent parfois à égaler. Ce n’est donc pas un hasard si, autour d’eux, s’est constitué au fil des années un réseau dense de collaborateurs, souvent issus des mêmes milieux, des mêmes sociabilités, parfois des mêmes soirées. Louis Aliot, alors compagnon de Marine Le Pen, avait résumé la situation d’un rire franc en déclarant qu’il était le seul hétérosexuel à l’étage de direction du siège du parti. L’anecdote dit tout. Une sociologie politique, comme un estuaire breton, suit toujours le lit naturel que lui ouvre la pente.

Face à cela, l’article d’Elle demeure aveugle. Il compile quelques citations prudentes puis se tourne vers un unique opposant, Pierre Yves Cadalen, député LFI de Brest, dont les arguments touchent parfois à l’indigence. Il voudrait refaire l’histoire des luttes LGBT, repolitiser la question, réactiver le militantisme perdu, mais il évolue dans une formation où les homosexuels sont rarissimes et où les nouveaux tabous progressistes rendent ce genre de discours inaudible. Sa position ressemble à celle d’un guetteur resté seul dans un phare éteint, qui réclamerait encore des signaux que plus personne n’envoie.

Au Bar des Brisants, pendant ce temps, les deux hommes près de moi discutent de voyages, de projets, l’un est architecte, l’autre, jeune retraité, est  passionné de musique. Leur vie, solide et tranquille, semble infiniment plus réelle que les théories sociologiques que l’on projette sur leur catégorie. C’est que les homosexuels ne sont plus ceux que l’ancienne gauche voulait qu’ils demeurent, minorité sacrée, classe morale, troupe auxiliaire du progrès automatique. Les évolutions démographiques, l’insécurité, l’épuisement du discours victimaire ont changé la donne. Ils votent désormais pour défendre un mode de vie, un espace social, une liberté personnelle conquise de haute lutte.

Ce que le magazine Elle prend pour une anomalie est en réalité une maturation profonde du corps social. Le pays change de peau, comme ces crabes verts que l’on ramasse parfois sur l’estran de Lechiagat, encore mous et vulnérables, mais déjà porteurs d’une nouvelle carapace. Les appartenances figées de la vieille gauche se dissolvent et la politique ne s’organise plus autour des liturgies progressistes, mais autour de questions vitales. Qui protège. Qui voit juste. Qui nomme les périls au lieu de les travestir.

Je repensais en lisant ces lignes aux intuitions de Guillaume Faye, lorsqu’il annonçait que les clivages de demain ne passeraient plus entre droite et gauche, mais entre ceux qui défendent la survie des formes de civilisation européennes et ceux qui se perdent dans l’illusion humanitaire. Jünger, lui, évoquait la nécessité de regarder le monde comme un champ de forces où seuls les lucides trouvent leur voie. Spengler parlait de ces moments où une culture, épuisant ses mythes, laisse remonter du dessous des réalités plus anciennes, plus sévères, plus impératives.

Nous y sommes. Les homosexuels, comme tant d’autres groupes, ne votent plus selon les prescriptions d’un clergé médiatique, mais selon les exigences de leur existence concrète, de leur sécurité, de cette liberté quotidienne qu’ils savent fragile. La Bretagne, dans ses tempêtes de décembre, en offre une image plus nette que n’importe quelle étude d’opinion. Les marées n’ont que faire des dogmes. Elles sculptent, elles révèlent, elles déposent sur la grève ce que l’époque croyait pouvoir enfouir.

Balbino Katz

Chroniqueur des vents et des marées
[email protected].

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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