Je suis assis au bar des Brisants, à la pointe de Lechiagat, dos au mur, face à l’entrée, comme souvent. La mer est basse, le vent sec, et le lieu a cette acoustique particulière qui mêle les conversations aux claquements de verres. Près de ma table, un homme d’un certain âge, un de ces boomers bretons que l’on reconnaît à leur manière d’habiter l’actualité comme un deuil permanent, lit Mediapart sur son téléphone. Il soupire. Il se lamente. Le Chili, dit-il, serait retombé dans ses vieux démons. Kast aurait gagné, et avec lui, l’ombre de Pinochet planerait à nouveau sur la Cordillère.
Je jette un œil à l’article que Mediapart consacre à l’élection de José Antonio Kast. Le procédé est immédiatement reconnaissable. Le texte est long, saturé de références mémorielles, et pourtant étonnamment pauvre sur l’essentiel. Tout est expliqué par le passé, rien ne l’est par le présent. Le Chili voterait Kast par amnésie, par inconscience, par persistance d’un « néolibéralisme » fantomatique. La gauche, elle, n’aurait échoué que par excès de vertu, entravée par des institutions héritées de la dictature et par un monde soudain devenu hostile.
Ce que Mediapart se garde bien d’analyser, ce sont les raisons concrètes, matérielles, quotidiennes, du rejet massif de la gauche chilienne. L’insécurité, devenue centrale dans un pays longtemps épargné. L’immigration incontrôlée, notamment venue d’Haïti et du Venezuela, qui a bouleversé en quelques années l’équilibre social et urbain. Le sentiment d’abandon des classes moyennes, prises en étau entre un État impuissant et des promesses progressistes jamais tenues. Sur ces sujets, le journal reste flou, presque gêné, comme si nommer ces réalités revenait à trahir une ligne morale.
La comparaison avec La Nación est éclairante. Là où Mediapart dissout l’événement dans un récit moral, le quotidien argentin s’attache aux faits. Et les faits sont massifs. La victoire de Kast n’est ni étroite ni ambiguë. Elle est nette, ample, structurée. Kast s’impose avec une avance à deux chiffres, bien au-delà de ce que l’on pourrait qualifier de vote sanction ou d’alternance par défaut. C’est une adhésion majoritaire, exprimée dans un scrutin à forte participation, ce qui confère à ce résultat une légitimité politique pleine et entière.
Plus révélateur encore est le dessin territorial du vote. Kast l’emporte non seulement dans les régions traditionnellement conservatrices, mais aussi dans des zones longtemps acquises à la gauche ou au centre-gauche. Les régions du centre et du sud, frappées par l’insécurité, l’immigration récente et les conflits liés aux terres que réclament les organisations d’extrême-gauche mapuches, ont voté massivement pour lui. À Santiago même, La Nación souligne la progression spectaculaire du vote Kast dans des communes populaires et de classes moyennes, là où la gauche gouvernait hier sans partage. Ce basculement sociologique dit beaucoup plus que tous les éditoriaux indignés.
Ce mécanisme d’évitement médiatique est désormais bien connu. De la même manière que Libération contourne systématiquement la question de l’islam lorsqu’il traite d’attentats islamistes, Mediapart refuse d’examiner frontalement les causes sociologiques et culturelles de l’effondrement de la gauche chilienne. Tout est ramené à un combat symbolique, à une guerre de récits, à une bataille mémorielle. La politique réelle, celle qui touche à la sécurité, à l’ordre, aux frontières, est reléguée au rang de fantasme réactionnaire.
L’ampleur de la victoire de Kast annonce autre chose encore, l’effacement définitif d’une droite libérale molle, persuadée que la politique se réduit à la bonne gestion économique et au respect des normes internationales. Cette droite-là, au Chili comme en Europe, n’a plus rien à dire aux peuples. Kast n’a pas gagné en promettant une meilleure administration, mais en réaffirmant la primauté du politique, de l’ordre et de la souveraineté. Les Chiliens l’ont compris, et ils l’ont dit sans détour.
Cette élection est de bon augure, non seulement pour le Chili, mais pour l’ensemble du continent sud-américain. Elle ouvre aussi une page nouvelle dans les relations entre le Chili et l’Argentine. Avec Milei à Buenos Aires et Kast à Santiago, deux pays longtemps enfermés dans des oppositions idéologiques stériles pourraient renouer avec une lecture plus réaliste de leurs intérêts communs, sécurité des frontières, contrôle migratoire, coopération stratégique dans le Cône Sud. Là encore, Mediapart n’en dit mot, trop occupé à convoquer les fantômes du XXᵉ siècle pour voir les lignes de force du XXIᵉ.
Au bar des Brisants, mon voisin repose son téléphone et secoue la tête. Il ne comprend pas. Ou plutôt, il ne veut pas comprendre. Le monde avance pourtant sans demander la permission aux rédactions parisiennes bien-pensantes. Le Chili vient de rappeler une vérité simple, quand la gauche cesse de protéger les peuples, les peuples cessent de voter pour elle. Ce rappel, tôt ou tard, atteindra aussi nos rivages.
Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected]
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
2 réponses à “Au Chili, Kast gagne largement pendant que Mediapart regarde ailleurs”
Chronique d’un autre peuple qui ne veut pas mourir sous les coups de boutoir des marxistes et de leurs sbires du pays ou importés par milliers par la mafia régnante. Que Dieu protège ce pays et ce peuple qui veulent vivre ! Si tout va bien nous pourrons l’ajouter à la liste des nations éligibles pour un exil rendu nécessaire.
en France beaucoup de gauchistes considèrent encore Allende comme un martyr de la lutte contre le facsisme.Et ils ne vont pas plus loin, imperméables tant à la réalité historique qu’a la réalité du monde.