Elsa Trochet-Macé : « L’ANJ a placé la réduction du jeu excessif et des dommages sociaux qu’il engendre ainsi que la protection des mineurs au centre de son action » [Interview]

À l’heure où les jeux d’argent en ligne explosent, où les publicités pullulent et où les risques d’addiction inquiètent, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) joue un rôle central mais encore méconnu du grand public. Elsa Trochet-Macé, sa directrice de la communication, nous éclaire sur le fonctionnement, les missions et les orientations de cette autorité indépendante chargée de réguler un marché aussi lucratif que sensible. Agréments, protection des mineurs, encadrement des paris sportifs, lutte contre le jeu excessif ou encore avenir des casinos en ligne : un entretien complet pour comprendre les enjeux d’une régulation sous tension.

Breizh-info.com : Pouvez vous nous rappeler en quoi consiste l’ANJ et quelle est son activité principale , son budget, son fonctionnement ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ :  L’ANJ est une autorité administrative indépendante créée en 2020, chargée de la régulation des jeux d’argent et paris autorisés.  L’ANJ régule les jeux et paris autorisés en ligne, en points de vente et dans les hippodromes ; elle contrôle la politique de jeu responsable des casinos. Elle s’assure que les opérateurs autorisés à exercer sur le marché français respectent leurs obligations.

Elle protège les joueurs et à ce titre gère les inscriptions au fichier des interdictions volontaires de jeux.  L’ANJ combat les sites illégaux, le blanchiment de capitaux et participe, dans la mesure de ses compétences à la lutte contre les manipulations sportives.

L’ANJ travaille en étroite coopération avec ses homologues européens et internationaux.

L’ANJ compte 80 collaborateurs et dispose d’un budget de 12 millions de€

Breizh-info.com : Quels sont aujourd’hui les critères précis d’attribution ou de refus d’une licence pour opérer des paris sportifs ou de poker en ligne en France ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Un demandeur qui souhaite commercialiser des jeux et des paris en ligne (jeux de cercle, paris sportifs et paris hippiques) doit déposer une demande d’agrément par catégorie de jeu ou de pari auprès de l’ANJ. La décision d’octroi ou de refus de l’agrément est prise par le collège de l’ANJ. L’agrément est délivré par l’ANJ pour une période de cinq ans et il est renouvelable.

L’agrément peut être demandé par toute personne morale ou physique (société en participation) établie dans un Etat-membre de l’Union européenne souhaitant commercialiser en France des jeux de cercle en ligne, des paris sportifs en ligne et/ou des paris hippiques en ligne.

Seules trois catégories de jeux ou de paris en ligne peuvent donner lieu à la délivrance d’un agrément par l’ANJ :

  • les paris hippiques en ligne, autorisés uniquement sous la forme mutuelle ;
  • les paris sportifs en ligne, sous la forme mutuelle ou à cote fixe ;
  • les jeux de cercle en ligne (poker en ligne).

Les jeux de casinos en ligne restent strictement interdits.

Le dossier de demande détaille les moyens et procédures que le demandeur entend mettre en place pour respecter ses obligations notamment en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Même s’il s’accompagne d’un certain nombre de pièces justificatives, le dossier demeure, au stade de la demande initiale, essentiellement « déclaratif ».

Le respect par l’opérateur des éléments annoncés dans son dossier sera vérifié après le lancement de son activité, à travers un enregistrement continu de l’ensemble des transactions de jeu et la vérification régulière des obligations (conformité des offres de jeu, mentions et messages devant figurer sur les sites, respect des mécanismes de prévention du jeu excessif, etc.). S’agissant de la sécurité des systèmes d’information, une certification est effectuée annuellement par des auditeurs externes à l’opérateur.

Dans certains cas, l’ANJ peut décider de retirer un agrément :

  • Si l’opérateur ne remplit plus les conditions de son agrément (par exemple changement de siège social ou changement d’actionnariat qui ne lui permet plus de disposer d’une surface financière suffisante, le collège de l’ANJ peut abroger l’agrément ;
  • Si l’opérateur n’a pas exploité son agrément au-delà d’une certaine durée (12 mois d’inexploitation pour un nouvel agrément, 6 mois de suspension d’activité pour un agrément en cours) ;
  • En cas de manquement d’un opérateur agréé à ses obligations, la commission des sanctions peut décider du retrait d’agrément.

Breizh-info.com : Certains parieurs s’interrogent sur l’interdiction de certains types de paris (sur des divisions inférieures, des statistiques individuelles, ou des sports spécifiques). Sur quels fondements ces restrictions sont-elles décidées ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Seuls peuvent être proposés les paris sportifs portant sur des compétitions ou manifestations sportives expressément autorisées par l’ANJ au regard notamment des risques de manipulation qu’elles présentent. Il en va de même pour les phases de jeux et les types de résultats pouvant servir de support à ces paris.

L’ANJ tient donc à jour à cet effet la liste des supports de paris sportifs autorisés ou « liste sport ».

Lors de son analyse, l’ANJ vérifie notamment que certains critères sont remplis pour pouvoir figurer sur la « liste sport », tels que :

– un événement sportif régulièrement organisé ;

– l’accessibilité du règlement et la présence au sein de celui-ci de dispositions relatives à la publicité des résultats ;

– la notoriété et l’enjeu de l’événement ;

– l’âge des participants admis dans ces compétitions, afin d’écarter les joueurs mineurs réputés plus facilement manipulables ;

– l’objectivité des résultats, qui doivent traduire des performances objectives et quantifiables et qui ne doivent donc dépendre du pur hasard (interdiction des paris sur le nombre pair ou impair des buts marqués pendant le match).

Breizh-info.com : Peut-on aujourd’hui parler de transparence sur les marges réelles ou les commissions prélevées par les sites de paris sportifs ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Il faut savoir que le marché des jeux d’argent français est très encadré.

Il existe par exemple des obligations relatives au TRJ (taux de retour joueurs). Le taux de retour joueur est encadré pour la plupart des jeux d’argent et de hasard mais selon des régimes différents : la réglementation impose une proportion maximale (85%) pour les paris sportifs en ligne – ou au contraire minimale – par exemple pour les machines à sous dans les casinos dont le taux de retour ne pas être inférieur à un taux de 85%.

Ce secteur fait aussi l’objet d’une fiscalité particulière qui a encore été revue récemment dans le cadre du PLFSS notamment.

Voici comment est redistribuée la fiscalité (tableau ne tenant pas compte des derniers changements) : https://anj.fr/sites/default/files/2022-12/Tableau%20fiscalit%C3%A9%202022.pdf

Breizh-info.com : La taxation sur les publicités, prévue pour juillet 2025, pourrait-elle faire évoluer les pratiques commerciales vers moins d’incitation au jeu intensif ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Les évolutions de la fiscalité des jeux d’argent décidées dans le cadre du PLFSS, qui entreront en vigueur au 1er juillet, pourraient toutefois impacter l’activité du marché en ligne en 2025. Il conviendra notamment de savoir si la nouvelle taxe à hauteur de 15% des dépenses des communications commerciales des opérateurs de paris sportifs en ligne aura des incidences sur le montant réel des investissements engagés au deuxième semestre.

Breizh-info.com : Les casinos en ligne sont aujourd’hui interdits en France. Le cadre juridique pourrait-il évoluer à moyen terme, comme cela s’observe dans d’autres pays européens ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Le choix d’ouvrir le marché des casinos en ligne revient au législateur. L’ANJ a participé aux premières réflexions engagées par le gouvernement Barnier sur la question de l’ouverture éventuelle des casinos en ligne, réflexions qu’elle avait appelées de ses vœux.

Elle considère en effet qu’une telle ouverture doit être soigneusement considérée compte tenu du caractère très addictif de cette offre en ligne et du fait que marché potentiel de cette ouverture serait comparable à celui de 2010. Compte tenu des risques importants en matière de santé publique et des impacts économiques, une approche très contrôlée de la régulation devrait donc être retenue. Dans le cadre de la mise en place des groupes de travail, l’ANJ a travaillé sur les exemples étrangers d’ouverture des casinos en ligne et de leurs impacts en termes économiques et de santé public, en vue d’approfondir nos travaux de modélisation de l’impact sur le marché français. Si le gouvernement souhaitait poursuivre ces réflexions, l’ANJ sera en mesure d’esquisser les contours d’un cadre de régulation équilibré.

A noter une spécificité du marché français qui compte le plus grand nombre de casinos terrestres, soit plus de 200.

Breizh-info.com : L’expérimentation prévue sur les jeux à objets numériques monétisables (JONUM) suscite des interrogations. Où placer la frontière entre innovation ludique et dérive vers le jeu d’argent déguisé ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Dans le cadre de l’expérimentation sur l’encadrement des JONUM qui devrait débuter en septembre 2025, après la publication des différents décrets, l’ANJ sera particulièrement vigilante au strict respect des frontières avec les jeux d’argent.

Breizh-info.com : De nombreux jeunes sont aujourd’hui exposés très tôt aux publicités de sites de paris sportifs, souvent dans des contextes sportifs. Est-ce compatible avec l’objectif de protection des mineurs ? Interdire l’inscription aux mineurs tout en autorisant les campagnes publicitaires ciblant les fans de football ou de basketball adolescents, n’est-ce pas une forme d’hypocrisie ? Que pensez-vous de la multiplication des partenariats entre sites de paris et clubs professionnels, qui banalisent le jeu d’argent dans le paysage sportif ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Dans le cadre de son plan stratégique 2024/2026, l’ANJ a placé la réduction du jeu excessif et des dommages sociaux qu’il engendre ainsi que la protection des mineurs au centre de son action. Pour atteindre cet objectif ambitieux qui témoigne d’un problème non plus individuel mais social, l’ANJ appelle l’ensemble des acteurs économiques et institutionnels concernés à se mobiliser à ses côtés.

Concernant la publicité, l’ANJ a précisé le contenu des messages autorisés et elle peut demander le retrait d’une publicité qui ne respecterait pas les obligations en la matière.

Concernant le volume et la pression publicitaire, à droit constant, l’ANJ ne peut aller plus loin pour limiter le volume. Elle a fait des propositions au législateur pour contraindre davantage la publicité pour les jeux d’argent en interdisant par exemple les spots publicitaires avant, pendant et après les diffusions télévisées des grands événements sportifs (whistle to whistle ban) et en interdisant limitant le sponsoring. D’autres mesures de protection renforcée visant spécifiquement les jeunes de 18 à 25 ans pourraient être envisagées comme la fixation d’un plafond de mises et de pertes.

En septembre 2024, l’ANJ a initié des campagnes de prévention pour sensibiliser le sport amateur aux risques d’addiction. Cette campagne de prévention rappellait les bonnes pratiques à suivre pour que le pari sportif reste maîtrisé et ne vienne pas prendre le dessus sur le sport.

Dans la continuité de cette première action, l’ANJ prévoit, à partir de septembre 2025, de mobiliser des clubs amateurs ambassadeurs qui seront le relais sur le terrain de ces messages de sensibilisation et de prévention.

Breizh-info.com : L’ANJ évoque la nécessité de limiter l’intensité des pratiques. Quels outils sont mis à disposition pour identifier les joueurs à risques et prévenir les dérives ?

Elsa Trochet-Macé, Directrice de la communication de l’ANJ : Depuis l’ordonnance de 2019, les opérateurs de jeux d’argent doivent soumettre chaque année à l’approbation de l’ANJ leur plan d’actions en vue de prévenir le jeu excessif et le jeu des mineurs. Cette obligation est l’occasion d’un dialogue régulier entre le régulateur et les opérateurs et de formulation par l’ANJ de prescriptions.

A l’occasion de l’examen annuel des stratégies promotionnelles des opérateurs, l’ANJ s’assure que les communications commerciales programmées ne sont pas susceptibles de conduire à une pratique excessive des jeux d’argent et à susciter ou stimuler l’appétence des mineurs pour le jeu.

L’ANJ mène régulièrement des campagnes pour sensibiliser le grand public et prévenir le jeu excessif. Elle a aussi conçu Evalujeu, qui est un dispositif de prévention du jeu excessif. Il propose aux joueurs de tester leur pratique de jeu en répondant à un questionnaire. Ce dernier, basé sur l’ICJE (Indice Canadien du Jeu Excessif), permet de déterminer le niveau de risque du joueur. Selon le résultat affiché, des conseils personnalisés sont formulés pour aider le joueur à maintenir une pratique récréative ou reprendre le contrôle sur son jeu.

Le site propose également des outils pour garder la main sur sa pratique de jeu et des contacts utiles pour se faire aider, selon que l’on est joueur ou que l’on fait partie de l’entourage d’un joueur problématique.

Enfin, les joueurs qui rencontrent des difficultés avec le jeu peuvent faire une demande d’interdiction volontaire de jeux auprès de l’ANJ. Cette interdiction, qui est une démarche strictement personnelle, a pour conséquence de se voir interdire :

  • d’entrer dans un casino ou un club de jeux,
  • d’accéder à un site de jeux en ligne agréé par l’ANJ (paris sportifs, paris hippiques et poker)
  • d’accéder aux jeux de la FDJ et du PMU réalisés avec un compte joueur

Cette inscription est valable pour une durée de trois ans minimum. Après cette durée, la personne peut demander la levée de cette interdiction.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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