Le 12 mai 2025, dans l’indifférence presque générale des grands médias européens, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a officiellement annoncé sa dissolution. Fondé en 1978 et considéré comme organisation terroriste par la Turquie, les États-Unis et l’Union européenne, le PKK tourne ainsi la page de plus de quarante ans de lutte armée contre l’État turc. Un tournant historique pour le peuple kurde, mais aussi pour une région déchirée depuis des décennies par les conflits ethniques et les ambitions géopolitiques des puissances régionales.
Qu’est-ce que le PKK ?
Le PKK est né dans la Turquie des années 1970, dans un contexte d’instabilité politique, de répression ethnique et de montée des idéologies révolutionnaires. Son fondateur, Abdullah Öcalan, étudiant en sciences politiques à Ankara, réunit autour de lui un noyau d’intellectuels marxistes issus de la gauche turque. Leur objectif initial n’est pas uniquement l’indépendance kurde, mais une révolution socialiste dans l’ensemble du pays. Très vite, le PKK se distingue de la myriade de groupes révolutionnaires de l’époque par sa structuration rigoureuse, son ancrage territorial dans le Sud-Est kurde et sa capacité à mêler activisme politique, propagande et action armée.
Le 27 novembre 1978, lors d’un congrès clandestin à Fis, le mouvement devient officiellement le Parti des travailleurs du Kurdistan. Dès lors, il entre dans une logique de confrontation violente avec l’État turc. Après le coup d’État militaire de 1980, le PKK se replie en Syrie, dans la vallée de la Bekaa, puis en Irak, où il bénéficie de la bienveillance — parfois intéressée — de régimes hostiles à Ankara.
La guerre ouverte débute en 1984 avec des attaques contre l’armée turque dans les zones kurdes. S’ensuivent des décennies de guérilla, ponctuées de cessez-le-feu, d’intenses répressions, de négociations avortées et d’attentats. Le conflit a causé la mort de plus de 40 000 personnes selon les estimations officielles, dont une majorité de civils.
Öcalan : du marxisme-léninisme au confédéralisme démocratique
Capturé en 1999 au Kenya dans une opération orchestrée par les services turcs avec l’aide de la CIA, Abdullah Öcalan est depuis détenu sur l’île-prison d’Imrali. De sa cellule, il entame une lente mutation idéologique. Abandonnant les dogmes du marxisme-léninisme, il développe le concept de « confédéralisme démocratique » — une forme de démocratie locale et communautaire, inspirée des théories du penseur américain Murray Bookchin.
Ce virage idéologique accompagne une série d’initiatives de paix. En 2013, un cessez-le-feu est proclamé. Mais en 2015, la reprise des hostilités sonne la fin de l’éphémère processus de paix. Depuis, le PKK mène une guerre d’usure, affaibli mais jamais totalement vaincu.
Le Kurdistan : une nation sans État
Le mot « Kurdistan » désigne une région culturelle et historique habitée par les Kurdes, peuple indo-européen estimé à 30 millions d’individus, répartis entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Longtemps ignorée ou niée, leur identité a été durement réprimée par les États-nations issus du démantèlement de l’Empire ottoman.
En Turquie, où vivent environ 15 à 20 millions de Kurdes, la politique d’assimilation forcenée (interdiction de la langue, déni d’existence ethnique, répression politique) a nourri un ressentiment durable. Le PKK s’est présenté comme le fer de lance de la résistance à cette oppression, se posant en défenseur des droits culturels, politiques et sociaux des Kurdes.
La fin de la lutte armée : réel tournant ou changement de façade ?
La dissolution annoncée du PKK intervient quelques mois après un appel de son leader historique, Abdullah Öcalan, le 27 février dernier. Elle fait suite à une médiation initiée par le parti pro-kurde DEM, avec l’aval du nationaliste turc Devlet Bahçeli, allié du président Erdogan. Un cessez-le-feu avait été proclamé en mars, prélude à ce tournant majeur.
Officiellement, le PKK cesse la lutte armée et dissout sa structure. Officieusement, des interrogations demeurent. Qu’adviendra-t-il de ses milliers de combattants, de ses ramifications à l’étranger, de son influence idéologique ? Le mouvement, affaibli mais toujours présent en Irak et en Syrie via ses branches affiliées comme les YPG/YPJ (en première ligne contre Daech), peut-il réellement se fondre dans la vie politique légale turque ?
Selon certaines sources, Ankara aurait promis des gestes symboliques : libération de prisonniers kurdes, reconnaissance accrue des droits culturels (enseignement du kurde, usage public de la langue, développement local). Mais aucune confirmation officielle ne vient étayer ces informations.
Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir turc voit dans cette reddition une victoire politique. Recep Tayyip Erdogan pourra ainsi afficher à l’intérieur et à l’international sa capacité à « pacifier » une question kurde qui a longtemps empoisonné la République turque.
Une page se tourne, mais l’Histoire reste ouverte
La dissolution du PKK, si elle est sincère et durable, marquerait une étape importante dans la pacification de l’Anatolie orientale. Elle pourrait ouvrir la voie à une meilleure reconnaissance des Kurdes, à condition que l’État turc tienne ses promesses.
Mais si cette dissolution n’est qu’un changement de façade, une reconfiguration stratégique, ou une tactique pour survivre, alors le spectre de la guerre civile pourrait resurgir. L’histoire du PKK nous enseigne que l’oubli, l’humiliation et la négation sont les meilleurs alliés de la radicalisation.
Quoi qu’il en soit, la cause kurde ne se résume pas au PKK. Tant que la question du statut, des droits et de l’identité des Kurdes ne sera pas réglée de manière juste et durable, elle hantera les États de la région. Le silence des armes ne suffira pas à faire taire les aspirations d’un peuple sans État, mais pas sans mémoire.
YV
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