Le rappeur irlandais Mo Chara, membre du groupe de rap conscient et militant Kneecap, a été inculpé cette semaine par les autorités britanniques au titre des lois antiterroristes pour avoir prétendument affiché un drapeau du Hezbollah lors d’un concert à Londres, en novembre 2024. Une affaire hautement médiatisée qui soulève des questions sur la liberté d’expression artistique et les limites imposées au discours politique au Royaume-Uni.
Une inculpation sous haute tension politique
Liam O’Hanna, 27 ans, alias Mo Chara, est poursuivi pour avoir manifesté publiquement son soutien à une organisation interdite, en l’occurrence le Hezbollah, classé comme groupe terroriste au Royaume-Uni, tout comme le Hamas palestinien. La police antiterroriste britannique s’est saisie de l’affaire après la diffusion d’une vidéo de l’événement sur les réseaux sociaux.
Le groupe Kneecap a immédiatement réagi sur la plateforme X (ex-Twitter), niant toute infraction et dénonçant une manœuvre politique : « Nous nions cette « infraction » et nous nous défendrons avec vigueur. Il s’agit d’un contrôle politique. Une diversion grotesque », ont-ils écrit. Ils accusent l’establishment de tenter de détourner l’attention de la situation dramatique à Gaza, allant jusqu’à qualifier les actions israéliennes de génocide.
Provocateurs ou extrémistes ?
Kneecap, groupe originaire de Belfast, est connu pour son style provocateur et son engagement en faveur de la langue irlandaise, du nationalisme républicain et de la cause palestinienne. À leurs débuts en 2017, ils avaient déjà suscité la controverse en mêlant satire politique, musique électro-rap, drogue et revendications identitaires. Leur film semi-fictionnel, sorti en 2024, a contribué à leur renommée internationale, étant même présélectionné aux Oscars.
Formé en 2017 à Belfast, Kneecap réunit Mo Chara (Liam Óg Ó hAnnaidh), Móglaí Bap (Naoise Ó Cairealláin) et DJ Próvaí (J.J. Ó Dochartaigh). Ensemble, ils incarnent une jeunesse urbaine, marquée par les stigmates des Troubles, qui revendique son identité républicaine, sa culture de classe populaire, et un attachement viscéral à la langue irlandaise. Le tout à coups de beats, de balaclavas et de provocations.
Leur premier titre « C.E.A.R.T.A. » (droits, en gaélique) naît d’une arrestation liée à une action militante en faveur des droits linguistiques. Dès le départ, le ton est donné : Kneecap mêle humour noir, dénonciation sociale et autodérision. Leur premier album 3CAG, sorti en 2018, évoque la drogue, la pauvreté, la violence, tout en flirtant avec les limites du bon goût. Leur deuxième album Fine Art (2024) est suivi d’un film biographique salué dans le monde entier, notamment au Festival de Sundance, et présélectionné aux Oscars.
Le nom même du groupe est une référence provocante au « kneecapping », cette méthode de justice expéditive pratiquée autrefois par les paramilitaires républicains en Irlande du Nord. Ce choix n’est pas anodin : Kneecap joue avec l’imaginaire violent, le détourne, le retourne pour mieux dénoncer les dérives sécuritaires et les fractures post-conflit.
Le groupe, qui alterne anglais et irlandais dans ses textes, se revendique « républicain mais non sectaire », prônant la solidarité des classes populaires au-delà des clivages catholiques/protestants. Ils sont ouvertement anti-sionistes, affichent leur soutien à la Palestine et dénoncent le « génocide » en cours à Gaza, ce qui leur vaut l’hostilité de nombreux médias et responsables politiques.
Lors de leur passage remarqué au festival Coachella en avril 2025, des messages tels que « Free Palestine », « Israel is committing genocide » ou encore « Fuck Israel » ont été projetés, provoquant des appels à leur interdire l’entrée aux États-Unis. Des menaces de mort ont suivi. Mais pour eux, « les mots ne tuent pas, 20 000 enfants morts, si ».
L’inculpation de Mo Chara : provocation ou répression politique ?
Le 21 novembre 2024, lors d’un concert à Londres, Mo Chara apparaît drapé d’un drapeau du Hezbollah et lance des slogans en soutien au groupe chiite libanais et au Hamas. Des vidéos refont surface, une enquête est ouverte par la police antiterroriste britannique. En mai 2025, il est formellement inculpé en vertu de la loi britannique de 2000 sur le terrorisme, qui interdit tout soutien explicite à une organisation proscrite.
Le groupe a nié tout soutien à ces groupes armés, affirmant que les extraits diffusés ont été « sortis de leur contexte » et qu’il s’agit d’un « harcèlement politique » pour leur engagement pro-palestinien. « Nous avons toujours condamné les attaques contre les civils », déclarent-ils, tout en présentant des excuses aux familles des députés britanniques Jo Cox et David Amess, assassinés respectivement en 2016 et 2021, après que des paroles controversées ont été chantées lors d’un concert.
Si les accusations sont graves, Kneecap peut compter sur un large soutien dans le monde artistique : plus de 40 artistes, dont Massive Attack, Paul Weller ou encore Damien Dempsey, ont dénoncé une « tentative de censure politique ». Le groupe est décrit par ses soutiens comme une voix importante du combat pour la justice sociale, la mémoire républicaine et la liberté d’expression.
Leur esthétique — cagoules, drapeaux palestiniens, slogans anticolonialistes — heurte. Leurs détracteurs, eux, les accusent de jouer les révolutionnaires de salon, ou de flatter le goût bourgeois pour le radical chic.
Le cas Kneecap dépasse la simple affaire judiciaire. Il pose des questions fondamentales sur les limites de l’expression artistique, sur la criminalisation des discours dissidents, et sur la manière dont les sociétés occidentales gèrent — ou censurent — les critiques virulentes de leur politique étrangère. Dans un climat de tensions croissantes autour du conflit israélo-palestinien, le procès du chanteur pourrait bien devenir un symbole : celui d’une liberté d’expression sous surveillance.
Mais leur discours ne fait pas l’unanimité. Une autre vidéo, également étudiée par la police londonienne, montrerait un membre du groupe scander « Up Hamas, up Hezbollah ». Dans un autre extrait, ils inciteraient le public à s’en prendre physiquement à des députés conservateurs britanniques, une déclaration pour laquelle ils ont par la suite présenté des excuses aux familles des députés assassinés Jo Cox et David Amess.
Plusieurs concerts ont pourtant été annulés récemment, dont trois en Allemagne et un au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique a même exhorté les organisateurs du festival de Glastonbury à « réfléchir sérieusement » à leur venue prévue le mois prochain.
En dépit de la pression, le groupe maintient son cap. Jeudi, ils ont annoncé leur retour à Londres avec un concert exclusif au 100 Club, et une prestation attendue au Wide Awake Festival. Leur DJ, Provaí, a salué leur passage au festival Coachella en Californie en avril dernier comme « un jalon symbolique ».
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