Stop the Boats. En Irlande du Nord, l’immigration s’invite dans les célébrations des 11 et 12 juillet

Chaque année, les 11 et 12 juillet, l’Irlande du Nord s’embrase — parfois au sens propre — à l’occasion des commémorations loyalistes les plus importantes du calendrier protestant : l’Eleventh Night et le Twelfth. Ces deux journées, enracinées dans la mémoire unioniste, rappellent la victoire du roi protestant Guillaume d’Orange sur le roi catholique Jacques II à la bataille de la Boyne, en 1690. Un événement perçu comme fondateur par les unionistes, scellant l’appartenance de l’Ulster au monde protestant et britannique.

Back to Belfast 2019. Une plongée au coeur du Twelfth et de The Eleventh Night [Reportage]

Les bonfires, symboles d’identité, de tradition..et de provocation

Le 11 juillet au soir, à la veille des grandes parades orangistes, des centaines de « bonfires » — immenses bûchers de bois empilés parfois sur plusieurs mètres de haut — sont allumés dans les quartiers loyalistes.

Construits principalement à partir de palettes en bois, ces feux massifs célèbrent historiquement l’arrivée de Guillaume d’Orange, dont les feux guidaient les troupes. Ces événements, souvent accompagnés de fêtes de rue et de fanfares loyalistes, attirent des milliers de personnes et symbolisent l’identité protestante-unioniste. Cependant, ces bûchers sont aussi un terrain d’expression pour des tensions communautaires, souvent marquées par des actes de sectarisme, comme la combustion de drapeaux tricolores irlandais ou d’effigies de figures nationalistes.

Certains bonfires, construit pendant des semaines par des jeunes des quartiers, sont surmontés, souvent par jeu et par provocation,  de drapeaux irlandais, palestiniens, d’effigies de figures républicaines ou de slogans violemment anti-catholiques. Cette année, plusieurs structures ont notamment brûlé des mannequins représentant le groupe de rap irlando-républicain et par ailleurs soutien du Hezbollah Kneecap, accompagnés d’inscriptions comme « Kill your local Kneecap » En amont du grand incendie, au sud de Belfast sont par ailleurs apparues des banderoles portant les messages « Stop the boats » avec des migrants mis dans un bateau, ou « Veterans before refugees », notamment dans le quartier de Moygashel. Une manière pour certains milieux loyalistes d’exprimer un rejet radical du multiculturalisme et de l’immigration, qui commence à peser fort, économiquement, démographiquement, en Irlande du Nord, et qui met en colère une population depuis bien longtemps délaissée par les autorités.

Le comité du bûcher de Moygashel a défendu l’effigie, la qualifiant de « protestation artistique » contre l’immigration illégale, affirmant qu’elle ne devait pas être perçue comme raciste ou menaçante. Cependant, des figures politiques et religieuses, dont l’archevêque de l’Église d’Irlande John McDowell, ont dénoncé cet acte comme « inhumain » et « profondément anti-chrétien ». Le Sinn Féin, le SDLP, et même le Democratic Unionist Party (DUP), la plus grande formation unioniste, ont appelé à la suppression de telles effigies, soulignant qu’elles ne font pas partie de la tradition culturelle des bûchers. La Police Service of Northern Ireland (PSNI) a ouvert une enquête pour « incident de haine » à la suite de nombreuses plaintes.

Les hôtels de Belfast (le phénomène est le même en République d’Irlande) sont désormais remplis de migrants, et cela nuit fortement au tourisme (il suffit de voir la flambée des prix) mais aussi à la sécurité de certains quartiers, comme nous l’indiquent des contacts sur place.

Ces dernières années, les bûchers sont devenus des points de friction, notamment en raison de leur impact environnemental (combustion de pneus toxiques) et des risques pour la sécurité publique, comme des incendies près de bâtiments ou d’infrastructures critiques. le.

À Belfast, c’est le bonfire du quartier The Village, construit près d’une station électrique stratégique, qui a concentré l’attention des autorités. La présence de déchets contenant de l’amiante, ajoutée au risque pour les infrastructures proches, avait poussé la municipalité à envisager son démantèlement. Mais la police nord-irlandaise (PSNI), craignant des émeutes violentes, a refusé de suivre l’avis des autorités municipales.

Selon plusieurs sources, des membres de la UVF (Ulster Volunteer Force), organisation paramilitaire loyaliste, avaient menacé de transformer le rond-point de Broadway en véritable « zone de guerre » en cas d’intervention. L’homme présenté comme le responsable local du UVF, Colin « Meerkat » Fulton, aurait personnellement supervisé la construction du bûcher. Finalement, le feu a été allumé, malgré les avertissements du ministère de l’Environnement sur les dangers liés à l’amiante.

La nuit du 11 juillet a mobilisé plus de 1 200 policiers et s’est révélée particulièrement tendue : 277 appels d’urgence ont été enregistrés, dont 72 liés à des incendies de bonfires. Un pompier a même été attaqué à Lisburn.

Des marches du 12 juillet réussies et animées

Dans ce contexte, les traditionnelles parades du 12 juillet, rassemblant des dizaines de milliers de membres de l’Ordre d’Orange et leurs partisans, ont néanmoins eu lieu sans incidents majeurs, sous un soleil écrasant. Pour les membres de cette confrérie protestante, ces défilés demeurent un moment de fierté culturelle et d’unité. Comme l’a déclaré le Grand Maître Edward Stevenson, « peu d’événements ont une telle force d’attraction que le Twelfth ». Pour les extérieurs, c’est une parade que l’on pourrait largement comparer, notamment celle de Belfast, à la Grande parade du festival Interceltique de Lorient. Un grand moment culturel et historique donc.

Sous un soleil écrasant et des températures dépassant les 25°C, près de 20 grandes villes et bourgades nord-irlandaises ont vu défiler des cortèges de fanfares, de drapeaux, d’uniformes et de tambours, dans une ambiance à la fois solennelle et festive. Le Grand Maître de l’Ordre d’Orange, Edward Stevenson, a salué une journée « monumentale », affirmant que les foules rassemblées cette année étaient les plus importantes « depuis une génération ».

Il a aussi souligné la présence accrue de visiteurs venus de toute la Grande-Bretagne et d’ailleurs : preuve selon lui de l’attractivité durable de cette tradition. « Peu d’événements culturels peuvent se targuer d’une telle longévité et d’une telle puissance symbolique. »

Mais au-delà des fanfares et des couleurs, le message politique était omniprésent. Plusieurs responsables unionistes de haut niveau ont pris la parole à cette occasion, dans une période de fragilité pour les partis pro-Union, divisés sur les réponses à apporter au Brexit, à la gouvernance partagée avec les nationalistes, et à l’avenir même de l’Irlande du Nord.

À Maghera (Comté de Londonderry), Harold Henning, vice-Grand Maître de l’Ordre, a exhorté les formations unionistes à travailler main dans la main pour renforcer leur représentation et peser davantage dans les institutions. Un appel partagé à Carnlough, où le député unioniste Robin Swann a mis en avant l’importance de « promouvoir l’Union à chaque occasion », la qualifiant de « source de stabilité et de sens dans un monde incertain ».

Le secrétaire général de l’Ordre d’Orange, Mervyn Gibson, a rappelé, à Keady, que le Royaume-Uni n’était pas une simple entité politique, mais une communauté de nations liées par une histoire commune et des valeurs partagées. « L’Union est ce que les générations précédentes ont défendu contre les bombes républicaines, ce que nous devons continuer à affirmer aujourd’hui, face aux attaques politiques ou culturelles. »

Si le 12 juillet s’est déroulé sans heurts majeurs, certaines zones restaient sous haute surveillance. Sur les 30 défilés classés « sensibles » par la Parades Commission, plusieurs ont eu lieu dans des zones de friction comme Belfast, Coleraine, Portadown ou Newtownabbey. Plus de 4 000 policiers étaient mobilisés pour assurer l’ordre, alors que la veille, environ 1 200 agents avaient surveillé les nombreux bonfires, ces bûchers traditionnels allumés le 11 juillet au soir dans les quartiers loyalistes.

Dans un climat politique tendu, où les équilibres démographiques et institutionnels évoluent rapidement, les célébrations du Twelfth rappellent la vigueur et la fierté d’une communauté souvent caricaturée, mais toujours debout. Une Irlande du Nord protestante, fidèle à ses racines, fière de son passé… et attentive à son avenir.

Mais cette fierté se heurte à la profonde fracture identitaire qui traverse l’Irlande du Nord. Pour les nationalistes républicains, le Twelfth reste une démonstration perçue comme provocatrice et parfois sectaire par les Républicains/catholiques. Quant aux autorités, elles doivent sans cesse jongler entre respect des traditions et maintien de l’ordre public, dans un climat encore marqué par les cicatrices du conflit nord-irlandais.

En toile de fond, la démographie changeante de l’Ulster, la fragilité des institutions politiques et les débats sur l’avenir constitutionnel de la province rendent ces célébrations à la fois incontournables… et explosives.

Quoi qu’il en soit, l’arrivée de la thématique migratoire dans les revendications de l’année chez les unionistes/loyalistes est aussi un signal fort. Celui d’une communauté qui a pour devise « No Surrender » et qui n’est pas décidée à voir ses terres occupées par d’autres communautés.

The Twelfth. Un 12 juillet à Belfast : Quand le peuple orangiste commémore la bataille de la Boyne [Reportage]

YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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