Dans une étude publiée par les Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest (Presses universitaires de Rennes, 2020), l’historien Jean-Luc Sarrazin revient sur un moment charnière de l’histoire médiévale : la lente émergence de l’État breton aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles. Son analyse met en lumière comment, bien avant la centralisation monarchique française, la Bretagne a bâti ses propres structures de gouvernement autour d’un principe simple et puissant : servir le duc.
Un duché en construction politique
À la fin du Moyen Âge, la Bretagne n’est pas une simple province périphérique du royaume de France. C’est un duché doté d’institutions, d’une administration et d’une capacité à lever impôts et armées. Mais comment ce pouvoir s’est-il construit ?
Selon Jean-Luc Sarrazin, la clé réside dans le rapport entre le duc et ses serviteurs. « Servir le duc » n’était pas seulement une formule d’allégeance, c’était un cadre politique et social, au croisement du service militaire, administratif et judiciaire. Le service ducal impliquait une hiérarchie de fonctions, du grand officier jusqu’au modeste sergent, chacun participant à l’affirmation de l’autorité ducale.
L’étude met en évidence que la construction de l’État breton ne peut se comprendre sans analyser le rôle des familiaresdu duc – ces proches collaborateurs, nobles ou roturiers, investis de charges variées. Les officiers ducaux géraient les finances, administraient les châteaux, rendaient la justice au nom du duc.
Au XIIIᵉ siècle, ce réseau de serviteurs reste limité, mais il se densifie au siècle suivant, à mesure que les enjeux politiques se complexifient. La guerre de Succession de Bretagne (1341-1364) joue un rôle décisif : pour asseoir son autorité, le duc doit s’entourer de fidèles capables de gouverner en son nom dans tout le duché.
L’influence des modèles français et anglais
Si la Bretagne développe ses propres spécificités, elle n’évolue pas en vase clos. Sarrazin rappelle que l’organisation du service ducal s’inspire à la fois du royaume de France et de l’Angleterre, selon les alliances et les rapports de force du moment. Les offices ducaux, la gestion des finances ou la tenue des plaids doivent beaucoup aux pratiques observées ailleurs, mais adaptés au contexte breton.
Cette hybridation donne naissance à une administration pragmatique : l’objectif n’est pas d’imiter Paris ou Londres, mais de consolider le pouvoir ducal sur ses terres.
Servir le duc n’était pas seulement obéir : c’était participer à une œuvre collective de gouvernement. Ce service, rétribué par des terres, des exemptions ou des pensions, renforçait l’intégration des élites locales au pouvoir central du duché.
En retour, ces élites apportaient leur influence et leurs ressources. Le lien de fidélité était à la fois personnel et institutionnel : on servait un homme, mais aussi une entité politique en formation – l’État breton.
Jean-Luc Sarrazin conclut que les structures mises en place aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles ont perduré bien au-delà du Moyen Âge. Le service ducal, institutionnalisé, a jeté les bases d’une administration qui survivra même à l’intégration de la Bretagne au royaume de France au XVIᵉ siècle.
En étudiant cette genèse, l’auteur invite à reconsidérer l’histoire bretonne : loin d’être un simple territoire annexé, la Bretagne a été un acteur politique autonome, capable de penser et de construire son propre État.
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