Nous sommes en pleine canicule, mais la fraîcheur persistesur la côte bretonne, comme un privilège discret accordé aux rives battues par l’Atlantique. Au bar de l’Océan, les fenêtres ouvertes laissaient entrer l’odeur de port mêlée à la brise, et je feuilletais The Times en sirotant un café tiède. Mon regard s’arrêta sur un article signé par l’éditorialiste Daniel Finkelstein, un nom déjà croisé plusieurs fois dans ces colonnes. Libéral conservateur, l’homme n’est pas de mon bord, mais il a parfois l’œil juste, surtout lorsqu’il parle de l’aveuglement qui saisit les partis dits « respectables » face à des candidats qu’ils jugent indignes de gouverner. Cette fois, son sujet était Nigel Farage.
Finkelstein affirme que l’hypothèse d’un Farage un jour à Downing Street n’est pas une fantaisie de journaliste ni une fanfaronnade de meeting. C’est une possibilité réelle, que les adversaires commettent l’erreur de traiter par le mépris. Erreur déjà commise ailleurs. Les démocrates américains croyaient que dénoncer sans relâche les mensonges de Donald Trump suffirait à le renverser, oubliant que leur propre champion, Joe Biden, leur faisait porter un mensonge plus criant encore : celui de sa capacité à exercer un second mandat. Comme le résume Finkelstein, « on ne peut pas mener une campagne contre un menteur lorsque vos électeurs voient bien que vous leur mentez aussi ». Les Italiens persuadés que Giorgia Meloni s’effondrerait sous ses outrances passées ont dû avaler la victoire de celle-ci. Il n’y a aucune raison que les mêmes travers ne conduisent pas à sous-estimer Farage aujourd’hui, l’AfD en Allemagne demain, et peut-être le Rassemblement national en France après-demain.
Le cœur de sa démonstration est simple. Les critiques adressées à Farage se retournent comme un boomerang sur ceux qui les formulent. On lui reproche de poser des problèmes sans offrir de solutions ? Les gouvernements en place pataugent dans l’improvisation. On l’accuse de nourrir des projets inquiétants, telle la privatisation du NHS ? Les électeurs s’alarment déjà de réformes mises en œuvre par ses adversaires. On insiste sur la pauvreté de son équipe ? Les citoyens n’ont pas meilleure opinion de l’entourage de Keir Starmer ou de celui des conservateurs. Et lorsque survient une défection dans son camp, les initiés crient au scandale, mais l’électeur ordinaire, qui a vu les mêmes scènes dans tous les partis, hausse les épaules.
Ce que Finkelstein souligne, et que bien peu au centre mou et à gauche veulent entendre, c’est qu’un adversaire ne se bat pas sur des manquements que l’on partage. Si Farage échoue, ce sera par implosion interne, pas par les coups de ses rivaux. Et s’il l’emporte, ce sera parce que les partis « de gouvernement » n’auront pas réparé le navire : pas de croissance, des services publics qui prennent l’eau, l’insécurité en hausse, des frontières béantes. Dans ces conditions, voter pour l’aventure ne paraît plus un risque, mais une tentative légitime.
Spengler aurait reconnu là l’un de ces moments où les vieilles élites, enfermées dans leurs salons, cessent de voir la houle qui monte. Elles confondent la mer d’huile de leurs conversations et la marée qui se lève au large. Sur la côte, nous savons que le vent tourne sans prévenir, et qu’un commandant peut être jeté par-dessus bord en un quart de lune. Les dirigeants actuels, tout occupés à commenter les défauts du navire d’en face, ne voient pas que le leur file déjà sur la mauvaise amure. Et qu’au premier coup de vent sérieux, l’équipage pourrait confier la barre à celui qui, du moins, regarde encore l’horizon.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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4 réponses à “L’aveuglement des gens de bien”
Article encore et toujours remarquablement écrit. Merci M. Katz!
Toutefois, mettre Fratelli d’Italia via Melon et le RN au même plan que l’AfP et UKIP
via Farage ne me semble pas juste.
Les derniers cités ont bien plus de conviction, d’ambition pour leur pays et d’empathie pour leurs compatriotes que les premiers qui ne pensent qu’à leur pomme.
Meloni est une traitresse à l’instar de ce qu’est le RN qui, pour préserver ses
prérogatives, ne cesse de renier ses fondamentaux : refus de quitter l’UE, refus de
signer les motions de censure qui auraient permis de rebattre un peu les cartes, 19 de leurs députés (et pas des moindres comme Amblard, Chenu, Bigot, Tanguy) votant la loi scélérate sur l’euthanasie, « Bardelette » ne faisant que de la figuration au Parlement Européen quand il DAIGNE y faire acte de présence, AUCUN de leurs députés européens (y compris donc, leur pourtant très courageuse Virginie Joron) n’a voté contre la loi crapuleuse du DSA en juillet 2022.
Il FAUT CESSER de croire que l’arrivée au pouvoir du RN changera la donne !!! Ce n’est que blanc bonnet et bonnet blanc avec tout ce que nous connaissons depuis 50 ans maintenant.
Et donc au contraire de vous, je pense que nos pseudo « élites » françaises ont bien plus conscience du danger en invisibilisant totalement des gens sérieux, honnêtes et fiables qui veulent VRAIMENT le salut de leur pays et de leurs compatriotes comme Asselineau ou Kuzmanovic entre autres. (Philippot, tout en faisant beaucoup de bonnes choses, est un cas à part qui mériterait BEAUCOUP d’investigations en tout genre).
»Les vieilles élites enfermées dans leurs salons, cessent de voir la houle qui monte.. » ces élites à qui le peuple français a confié le sort de la France ne savent que LAISSER FAIRE…peut-être que ce peuple français se décidera, un jour, à ne plus voter pour elles!…
C’est sur que le dit « Daniel Finkelstein » lui ne vote pas pour Farage et encore moins pour l’intérêt du Peuple Britannique originel….
Finkel? ah celui-ci n’est pas Kroute! Oui les gens respectables on disait aussi convenables, ces dames qui prenaient le thé l’après-midi en dégustant un gâteau…loin des problèmes des autres. Comment un simple café tiède alors que j’ai vu des verres de 25 cl de Sidi Brahim ingurgités vers 1960! Ah ce matin le kilo de langoustines n’était pas gratuit à GV!