Il est des détails en apparence anodins qui disent tout d’une époque. Jadis, les noms de lieux n’étaient pas le fruit d’un brainstorming marketing, mais l’expression d’une mémoire, d’un rapport charnel à la terre et à l’histoire. Chaque toponyme breton, chaque appellation de hameau ou de croix de chemin portait un sens, une indication, une trace : Milin Coz (le vieux moulin), Ty ar Chapel (la maison de la chapelle), Pont-ar-Groaz (le pont de la croix)… Autant de noms qui renseignaient sur la géographie, sur l’usage, sur la mémoire des hommes et des lieux.
Aujourd’hui, cette logique millénaire est remplacée par le vide ou par l’arbitraire. Les nouveaux lotissements sortent de terre avec leurs « rues des Elfes », « allées Nahel » ou « La maison du bonheur ». Autant de références plaquées, choisies au gré des affinités politiques ou des caprices des élus, sans lien avec le territoire qu’elles recouvrent. On efface le réel, on gomme la continuité, on coupe les racines.
Le patrimoine balayé par le caprice
Il faut mesurer l’ampleur de l’hérésie : en substituant à Milin Coz un nom creux et générique, on supprime une part de notre patrimoine commun, mais aussi une information précieuse. Car ces noms disaient quelque chose du lieu : un vieux moulin signale une rivière, un terrain humide, un passé agricole. Un Menez (colline, montagne) indique le relief. Un Koad (bois) désigne un massif. Ces toponymes étaient des cartes mentales et pratiques, un legs des générations passées à celles qui viendraient ensuite.
En les effaçant, non seulement on mutile la mémoire, mais on condamne les futurs habitants à l’ignorance. Ceux qui achèteront une maison dans un lotissement baptisé « Clos des Hirondelles » ne sauront pas qu’ils s’installent en réalité sur un ancien marécage, sur une terre sujette aux crues ou sur un sol instable.
Le politiquement correct comme toponymie
À cette logique de déracinement s’ajoute une mode idéologique : renommer les rues pour flatter tel courant ou telle mémoire choisie. Ici, une « rue Simone Veil » remplace une rue d’église. Là, un « square Nelson Mandela » prend la place d’une allée bretonne au nom trop « local » pour plaire. Demain, pourquoi pas une « rue Greta Thunberg » ? Les élus confondent gestion patrimoniale et militantisme, réduisant l’histoire des lieux à des slogans de mandat.
L’effacement programmé des noms bretons est une dépossession silencieuse. Nous ne parlons pas ici de folklore, mais de repères concrets, transmis depuis des siècles. Un peuple qui renonce à nommer ses lieux selon sa langue et son histoire, c’est un peuple qui accepte d’être dissous. Les promoteurs, eux, se frottent les mains : quoi de mieux pour vendre une maison que d’occulter que le terrain s’appelait jadis Al Lann et qu’il y’a donc de forte chance que les terres soient humides sur cette ancienne lande ?
La toponymie est une mémoire vivante. Elle dit l’identité, elle dit l’histoire, elle dit la vérité du sol. La sacrifier sur l’autel du caprice politique ou du marketing, c’est se condamner à devenir étrangers sur notre propre terre. Nous devons défendre nos noms de lieux, non seulement par fidélité à nos ancêtres, mais aussi par responsabilité vis-à-vis de ceux qui viendront.
Car demain, quand les propriétaires du « Domaine des Elfes » découvriront que leur jardin est inondé chaque hiver, il sera trop tard pour comprendre que nos anciens savaient parfaitement pourquoi ce lieu portait le nom de Milin Coz.
Julien Dir
Illustration : DR
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