Arnaud Démare. Hommage à un sprinteur français qui range l’éclair dans sa musette

On croyait les sprints faits d’électricité statique et de capteurs, d’aérodynamique et de watts. Arnaud Démare y ajouta la lueur d’un réverbère picard un soir de kermesse : la poésie simple du dernier virage pris à la corde, un coup d’épaule pour rappeler qu’on a été enfant, et la ligne qui accourt comme un vieux camarade.

À 34 ans, le garçon de Beauvais salue le peloton. Paris-Tours en guise d’ultime révérence : on ne pouvait rêver plus juste pour un coureur qui a tant aimé les routes droites où la France respire encore à pleins champs.

Il y a les sprinteurs qui aboient et ceux qui sifflent. Démare, lui, a longtemps chanté. Une mélodie obstinée, note après note, jusqu’à l’accord parfait : Milan-San Remo 2016, l’instant où un gamin des clubs de l’Oise décroche un Monument comme on cueille une primevère au Poggio. De ce jour-là, la Primavera garda un parfum de boulangerie du matin : simple, frais, irrésistible.

Mais résumer Démare à une seule flèche serait oublier sa manie d’empiler les preuves. Trois maillots de champion de France (2014, 2017, 2020), ces tuniques qui serrent la poitrine et obligent à saluer les mairies de campagne en passant. Deux étapes du Tour, pour démontrer que l’avenue de Vittel ou la douceur de Pau savent encore rugir quand le train Groupama se met au garde-à-vous. Et surtout cette longue romance italienne : huit étapes du Giro, deux fois le maillot cyclamen (2020, 2022), comme si la Botte avait adopté ce grand blond au coup de pédale rectiligne, capable d’arrondir les angles d’une arrivée par la seule autorité du geste.

On dira : « sprinteur ». Lui se définissait « sprinteur-rouleur ». Nuance cruciale. Il connaissait la grammaire des bordures, l’orthographe des faux plats, la ponctuation des ronds-points. On l’a vu survivre aux chicanes flamandes, se prendre de passion pour Paris-Tours au point d’y régner deux années de suite (2021, 2022), dompter les chemins de vigne avec le sérieux d’un vigneron qui protège sa dernière parcelle. Dans sa roue, on devinait toujours un train — Delage, Guarnieri, Sinkeldam et les autres — qui n’était pas une pompe à watts mais une fraternité de métier : passer, replacer, frotter, relancer. Les métiers d’antan n’ont pas disparu ; ils roulent encore, simplement maquillés de carbone.

La France aime ses grimpeurs façon vitrail — Pinot, Bardet —, silhouettes de cathédrales. Démare fut l’autre face du roman national : celle des bouquets nombreux (97, si l’on compte bien), des podiums sans lyrisme inutile, de la constance qui s’obstine même quand les tracas mécaniques ou humains font dérailler le scénario. Il y eut des querelles de couloir, des transferts, des saisons contrariées, cette dernière année sans victoire comme un automne qui s’étire. Il n’empêche : le palmarès demeure, massif comme une grange picarde, accueillant comme un café de village où l’on refait chaque sprint avec du sucre au fond de la tasse.

Ceux qui n’ont jamais mis le nez au vent ignorent ce qu’est un sprint : un duel de géométrie variable où l’on négocie avec la peur, l’aspiration, la trajectoire des autres, et l’idée qu’à 65 à l’heure la vie tient à la largeur d’un boyau. Démare y plaça son calme, cette qualité paysanne qui dit : « on ne confond pas vitesse et précipitation ». Alors, souvent, la ligne se rangeait à son avis.

On l’a vu champion, on l’a vu critiqué. On l’a surtout vu fidèle. À son métier. À l’idée qu’un collectif n’est pas une annexe comptable mais une bande d’ouvriers spécialisés. Fidèle à la France, aussi, qu’il représenta sur tous les continents avec l’entêtement d’un facteur qui finit sa tournée, pluie ou grand soleil. À l’heure où la carte du cyclisme ressemble à une bourse d’algorithmes, il restera de lui des images claires : un maillot tricolore au vent, une main levée qui ne réclame rien et remercie tout, et ce regard d’après-course, modeste, presque surpris d’avoir encore gagné.

Le reste appartient aux statistiques et aux dictionnaires. Les historiens du sport diront qu’il fut l’un des meilleurs sprinteurs français du XXIᵉ siècle, que son nom se range volontiers à proximité d’un Darrigade sur l’étagère des patronymes qui filent vite. Nous, nous garderons d’Arnaud Démare un bruit : celui d’une chaîne qui monte en tension, d’un « go » murmurée sur l’oreillette, du public qui retient sa respiration au dernier hectomètre.

Dimanche, la Beauce et la Touraine lui offriront leur ruban de bitume. Paris-Tours saura dire adieu à celui qui l’a tant honorée. Peut-être la chance offrira-t-elle un dernier bouquet, peut-être pas. Qu’importe, au fond. Certains coureurs gagnent des courses ; d’autres gagnent des routes. Démare aura gagné les deux, et c’est la plus rare des victoires.

Bon vent, Arnaud. Range l’éclair, garde la lumière. Dans nos mémoires, tu sprinteras encore longtemps.

YV

Illustration : Wikipedia (cc)
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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