Découvert en Ukraine et daté de plus de 40 000 ans, un fragment d’ocre taillé par des Néandertaliens bouleverse notre vision de ces “cousins” préhistoriques : ils peignaient, gravaient et pensaient bien avant Homo sapiens.
Les clichés ont la vie dure : pendant longtemps, on a décrit les Néandertaliens comme des brutes épaisses, des chasseurs maladroits sans imagination ni langage symbolique. Mais une nouvelle découverte en Crimée vient, une fois de plus, remettre les pendules à l’heure.
Selon une étude internationale publiée dans Science Advances, des fragments d’ocre façonnés et réutilisés par des Néandertaliens il y a environ 70 000 ans ont été mis au jour sur plusieurs sites de Crimée et d’Ukraine. Parmi eux, un objet exceptionnel : un véritable “crayon” d’ocre jaune, long de cinq à six centimètres, dont la pointe — encore affûtée — porte les traces d’un usage répété et d’un entretien minutieux.
Un outil pour dessiner, pas pour chasser
Les chercheurs, menés par Francesco d’Errico (Université de Bordeaux), ont analysé ces fragments à l’aide de la microscopie électronique et de la fluorescence X. Résultat : tous présentent des marques de raclage, de meulage, de polissage ou de gravure, preuve d’un façonnage intentionnel.
« Ce crayon a été entretenu et retaillé plusieurs fois. C’était un outil précieux », explique d’Errico.
Un second fragment révèle des surfaces polies et gravées, un troisième des lignes inscrites volontairement. Les traces d’usure suggèrent que ces “crayons” étaient frottés sur des surfaces souples, probablement pour tracer ou peindre. Autrement dit, il ne s’agissait pas d’un usage utilitaire, mais bien d’un acte symbolique ou artistique.
Les premières traces d’un imaginaire
Cette découverte s’ajoute à un ensemble de preuves accumulées ces dernières années : des tracés digitaux dans la boue de la grotte de La Roche-Cotard (Loire), des cercles de stalagmites dressés à Bruniquel, ou encore des mains soufflées et des signes géométriques dans les grottes espagnoles de Maltravieso ou La Pasiega.
Toutes ces marques, vieilles de 60 000 à 175 000 ans, ont été réalisées avant l’arrivée d’Homo sapiens en Europe.Elles témoignent d’un esprit capable d’abstraction, de rituel, voire d’un début de conscience de soi.
« On ne garde une pointe de crayon affûtée que si l’on cherche à tracer des lignes précises », souligne la paléoanthropologue April Nowell (Université de Victoria).
Autrement dit, ces hommes “primitifs” savaient déjà ce que signifie créer — et transmettre.
Quand l’art précède “l’homme moderne”
L’analyse chimique de l’ocre montre qu’elle provenait d’un gisement situé à 1,5 km du site. Les Néandertaliens transportaient donc volontairement la matière première, preuve d’une planification et d’une intention claire. Ces pigments servaient sans doute à orner le corps, les outils ou les parois, mais aussi à marquer des signes d’appartenance, d’identité ou de mémoire.
Pendant des décennies, on a voulu voir dans l’art pariétal — celui de Lascaux ou de Chauvet — l’acte fondateur de l’humanité moderne. Les Néandertaliens viennent rappeler que l’art n’est pas né d’un seul coup, ni d’un seul peuple. Il a germé lentement, dans des têtes d’hommes que l’on croyait sans âme.
Redéfinir ce que signifie “être humain”
Les paléontologues le reconnaissent désormais : les Néandertaliens n’étaient pas des bêtes, mais des hommes différents, dotés d’émotions, de mémoire et d’une forme d’esthétique. Ils naviguaient dans l’obscurité des grottes, choisissaient leurs pigments, traçaient leurs lignes — et, ce faisant, laissaient une trace d’eux-mêmes dans le temps.
Leur art n’était pas figuratif comme celui de nos ancêtres sapiens, mais il portait déjà la marque du sens : des lignes, des signes, des gestes. Les premières formes de pensée symbolique, les premiers échos de notre humanité commune.
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