Ludwig Klages est un penseur allemand peu connu dans le monde francophone, alors qu’il a influencé Hermann Hesse, Carl Gustav Jung, Theodor Lessing, Ernst Cassirer, Emil Cioran, Robert Musil et Gustave Thibon. L’Institut Iliade et La Nouvelle Librairie éditions proposent un opuscule de 94 pages permettant de cerner les principales idées développées par cet auteur. Il est rédigé par François Plat Colonna.
Père de l’écologie profonde, Ludwig Klages publie en 1913 le manifeste Mensch und Erde (L’Homme et la Terre) qui devient un ouvrage de référence parmi les mouvements de jeunesse, à commencer par celui du Wandervogel, et également de la communauté pré-hippie du Monte Verità dans le Tessin en Suisse, avant d’influer lors de la fondation du parti écologiste allemand en 1980. Le penseur a également développé des théories du rythme, a théorisé le « Ça » repris notamment par Sigmund Freud et par la psychanalyse et le concept de « logocentrisme » récupéré par Jacques Derrida. Il est considéré comme le père de la graphologie moderne. Il critique la technique, l’industrialisation, l’État moderne, le patriarcat, la colonisation, la volonté de puissance.
De Hanovre à Kilchberg
Né en 1872 à Hanovre, ancienne capitale d’un État absorbé par la Prusse six ans auparavant, Ludwig Klages perd sa mère à l’âge de huit ans et est élevé par son père, ancien militaire au sein de l’armée de l’État disparu qui s’est reconverti dans le commerce. De l’âge de quatorze à vingt ans, il vit des expériences mystiques, une sorte d’ivresse extatique et poétique, selon Ludwig Lehnen, qui influenceront sa vie et son œuvre. « Cependant, après être revenu à lui de cet ‘’état de transe’’, s’étant ‘’réveillé de cet état d’ivresse’’, il avait ‘’perdu la clé des miracles’’ qu’il avait vécus. Plus jamais il ne retrouva la force poétique, écrit-il, la puissance linguistique dont ses poèmes d’alors étaient imprégnés. Il sera condamné à la prose, au raisonnement, de même que l’humanité, qu’il décrira dans ses œuvres philosophiques, autrefois immergée dans les mythes, les symboles et l’extase, sera condamnée à la rationalité et au raisonnement scientifique. » (p.12)
Ludwig Klages réalise des études de chimie, de philosophie et de physique. En 1893, il s’installe à Munich et y fréquente le poète Stefan George. Il écrit dans la revue Blätter für die Kunst de ce dernier. Klages fonde, avec Alfred Schuler et Karl Wolfskhel, le Cercle cosmique munichois. Il est influencé par les idées de Friedrich Nietzsche et de Johann Jakob Bachofen. En 1915, il s’établit à Kilchberg en Suisse et y est enterré après sa mort survenue en 1956.

L’homme et la terre
Au sein de l’ouvrage Mensch und Erde, Ludwig Klages dénonce le progrès, le développement technique et industriel et la civilisation dans sa totalité. Il ne nie pas les avancées techniques mais considère que ces dernières entraînent des conséquences négatives. L’homme ne vit plus en symbiose avec la nature mais cherche à la dominer. Le capitalisme a inscrit la vénalité dans le cœur de l’homme et les actions de ce dernier conduisent à la destruction de la nature.
La bipolarité cosmique et le tripartisme anthropologique
Selon Ludwig Klages, toute réalité relève à la fois de l’âme et du corps. « Le fait que l’esprit ne puisse penser le vivant sans le travestir prouve, pour Klages, qu’il est étranger à la polarité cosmique âme-corps. » (p. 36) Alors que l’âme et le corps sont profondément passifs, l’esprit se manifeste sous deux formes : la volonté de puissance et la volonté de compréhension. Cette dernière est une force métaphysique hostile à la vie comme le prouve la révolution industrielle. « L’histoire humaine est, pour Klages, celle d’un déclin, celle de la progressive victoire de l’esprit sur la vie, de la volonté sur les instincts et de la mesure froide sur la rythmicité du vivant. » (p. 38)
L’âge primordial
Au départ, l’homme est en communication mystique avec le cosmos par la contemplation extatique. Ce phénomène laisse progressivement la place, au fil de l’histoire, à la réflexion conceptuelle. L’âge primordial est matriarcal et gynécocratique, ce qui correspond à l’âme, alors que l’esprit, lui, est masculin.
L’intrusion de l’esprit dans le cosmos
L’esprit est entré, il y a 10.000 ans, en jeu et s’est immiscé entre l’âme et le corps, qu’il sépare l’un de l’autre et du cosmos. La volonté qui découle de l’esprit conduit au développement de l’ego.
Pour lui, le judaïsme et le christianisme représentent l’esprit et la volonté, alors que le paganisme est matriarcal et constitue l’expression la plus intacte de l’âme.
Conclusion
La pensée de Ludwig Klages est le sommet du raisonnement antimoderne. Elle s’oppose à la mathématisation du monde, à la déification de la raison, à l’universalisme abstrait, à l’individualisme et à l’idéalisme et dénonce le mythe moderne du progrès et la vision ascendante de l’histoire, l’État moderne, le règne de la ploutocratie et les méfaits de la technique et de l’industrialisation, tout en mettant en avant la préservation de la nature et de la vie.
Source :
PLAT COLONNA François, Ludwig Klages. Une philosophie biocentrique, collection Longue mémoire de l’Institut Iliade, La Nouvelle librairie éditions, Paris, 2025.
Lionel Baland