Irlande du Nord : pourquoi l’unité irlandaise revient au cœur du débat et pourquoi une partie des unionistes refusent toujours d’en parler

Alors que certains acteurs politiques en Irlande du Nord jugent le sujet “lointain”, d’autres, dont l’ancien communicant gouvernemental Ben Collins, auteur du livre The Irish Unity Dividend, appellent les unionistes à regarder la question en face. Pour eux, ignorer le débat ne ferait que fragiliser davantage une communauté déjà marginalisée à Londres.

Un ancien conseiller unioniste qui bouscule les lignes

Ben Collins n’est pas un militant nationaliste classique. Élevé dans une famille farouchement attachée au Royaume-Uni, passé par le Northern Ireland Office et par des organisations proches du pouvoir, cet ancien spin doctor affirme aujourd’hui qu’il faut cesser de faire “l’autruche” sur la question de la réunification.

Dans ses récents ouvrages, il plaide non pas pour une conversion émotionnelle, mais pour un pragmatisme politique : face aux bouleversements provoqués par le Brexit, l’Irlande du Nord devrait anticiper tous les scénarios, y compris celui d’une future consultation sur l’unité.

Pour Collins, l’enjeu est simple : Mieux vaut planifier avant qu’on ne nous impose un choix précipité.”

Le précédent du Brexit comme traumatisme politique

L’auteur insiste sur un point : le chaos post-Brexit.

Selon lui, des milliers de Nord-Irlandais ont voté en 2016 sans savoir réellement ce que cela impliquait. Il redoute qu’un éventuel référendum sur l’unité suive la même trajectoire si les institutions et les partis refusent d’en discuter ouvertement.

Son argument :

– prévoir les conséquences en matière de santé, d’éducation, d’économie ;
– clarifier ce que deviendraient les institutions ;
– éviter qu’une partie de la population découvre, après le vote, que les promesses étaient floues.

Le débat, dit-il, existe déjà dans la société civile, même si le politique refuse de le voir.

La santé, un moteur inattendu du débat

Parmi les thèmes que Collins juge incontournables, celui de la santé revient systématiquement.

La crise du système hospitalier nord-irlandais, miné par le manque de personnel et par des délais d’attente records, pousse certains responsables médicaux à envisager des solutions communes avec la République.
L’idée d’un “contrat de médecins généralistes à l’échelle de l’île” circule déjà au sein de certaines organisations professionnelles.

Collins y voit un exemple concret d’un domaine où la coopération, voire l’intégration, serait étudiée non pour des raisons idéologiques, mais par nécessité.

Unionisme politique : un refus persistant d’ouvrir la discussion

Le contraste est net entre la société et sa représentation politique.
Alors que des citoyens abordent désormais librement la question dans les pubs, les entreprises ou au sein des familles, les dirigeants unionistes continuent d’affirmer que l’unité est lointaine, voire fantasmée.

Le chef du DUP répète qu’“aucun mouvement vers une réunification” n’est perceptible.
Le secrétaire d’État britannique, responsable de la convocation d’un éventuel référendum, a également balayé l’idée d’un scrutin “dans un avenir proche”.

Pour Collins, ce discours relève davantage d’une stratégie défensive que d’un constat.
Il rappelle au passage que l’influence des élus unionistes à Westminster n’a jamais été aussi faible.
“Londres n’a plus l’Irlande du Nord à son agenda”, souligne-t-il, citant plusieurs anciens responsables politiques.

À l’inverse, certains responsables plus modérés évoquent une autre approche.

Le dirigeant de l’UUP, lui-même unioniste, affirme qu’une représentation des protestants au sein d’un parlement réunifié pourrait leur offrir un poids politique supérieur à celui qu’ils exercent aujourd’hui à la Chambre des communes.

Une hypothèse iconoclaste, mais qui révèle une évolution : une partie du camp unioniste cherche à évaluer les scénarios, y compris ceux longtemps considérés comme tabous.

Le vécu personnel comme déclencheur

Collins n’élude pas les accusations de traîtrise qui accompagnent son changement de position. Il rappelle que sa propre identité irlandaise s’est affirmée alors qu’il vivait en Écosse, au pays de Galles ou en Angleterre.

Il dit n’avoir jamais renoncé ni à sa culture ni à sa tradition, mais avoir constaté que l’attachement britannique s’effritait dans les faits, des deux côtés de la mer d’Irlande. Son propos : on peut se dire irlandais sans renoncer à la non-violence, à la démocratie et à la reconnaissance de l’héritage culturel unioniste.

Brexit, Écosse, Pays de Galles : un Royaume-Uni en recomposition

L’auteur insiste sur une dimension souvent minimisée : la recomposition politique du Royaume-Uni dans son ensemble.

SNP solide en Écosse, montée de l’indépendantisme gallois, ascension du Reform Party qui rebattrait les cartes à Westminster… Pour Collins, le Royaume-Uni n’est plus un bloc stable. Dans un tel contexte, ne rien anticiper en Irlande du Nord serait, selon lui, une erreur stratégique majeure.

Il évoque même l’hypothèse, jugée crédible par certains analystes, d’un futur Premier ministre issu de Reform. Un dirigeant qui pourrait convoquer un référendum sur l’unité irlandaise par calcul politique.

Son concept de “dividende de l’unité irlandaise” se veut avant tout méthodique :

– économie intégrée à l’échelle de l’île,
– services publics uniformisés,
– stabilité européenne retrouvée,
– et garanties solides pour la culture unioniste via les accords de 1998.

Il affirme que la réunification pourrait réduire les tensions régionales avec Londres tout en offrant un cadre plus lisible à long terme.

L’objectif ? Sortir du face-à-face stérile entre slogans et déni, pour adopter une approche planifiée, à contre-courant de ce qu’a été le Brexit.

Sans angélisme, Collins reconnaît les blessures de l’histoire : violences, injustices, sectarisme, méfiance réciproque.

Mais il note aussi une évolution générationnelle et culturelle, nourrie par la libre circulation, par les échanges et par l’usure d’un statu quo devenu instable.

Pour lui, l’île entre dans une période où l’imagination politique peut reprendre sa place, à condition d’accepter de discuter ensemble d’un avenir commun — un scénario encore loin d’être tranché, mais qui ne peut plus être balayé d’un revers de main.

Crédit photo : DR

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