Brigitte Bardot (1934-2025) B.B. : des initiales, en capitales

Il y a exactement deux mois, le mensuel L’Incorrect titrait : « Brigitte Bardot n’est pas morte. La France non plus ». La star de La Vérité et du Mépris avait été en effet hospitalisée et suscité maintes rumeurs sur un trépas imminent, bientôt démenties. Cette manchette venait à elle seule condenser la relation symbiotique entretenue entre la comédienne et un pays dont elle avait été le porte-étendard pendant des décennies. La carrière de l’actrice est loin de se résumer à sa filmographie, qui aligne les grands noms du cinéma français tels que Clouzot, Duvivier, Godard ou Autant-Lara ; elle se confond avec les Trente Glorieuses et l’âme d’un pays au sommet de sa puissance économique et industrielle, sous les auspices d’un gaullisme conquérant dont elle incarne, à sa façon, l’âme et le lustre. N’a-t-elle pas prêté ses traits à la Marianne d’Alain Aslan, en 1968, –une première, car nul modèle vivant ne lui avait alors prêté ses traits – qui vint orner nombre de salles de conseil municipal dans les mairies de l’hexagone ? N’a-t-elle pas été distinguée par ledit général de Gaulle par l’aphorisme suivant : « Brigitte Bardot rapporte à elle seule plus d’argent que la régie Renault » ? Sa disparition, après celle d’Alain Delon l’année dernière, signe la fin des monstres sacrés, ces légendes magnétiques consubstantielles au pays, à l’éclat quelque peu dépoli, désormais.

Une enfance loin, très loin de l’émancipation 

Brigitte Bardot voit le jour le 28 septembre 1934 place Violet, à Paris XVe, dans une famille de la grande bourgeoisie catholique. Son père, Louis Bardot, est un riche industriel spécialisé dans les engrais chimiques, peu porté sur la fantaisie. Pourtant, sa morale rigoriste s’autorise les divertissements de la poésie (l’un de ses recueils aura même les honneurs d’un prix de l’Académie française) et du cinéma, plus précisément l’usage de la caméra, avec laquelle il aime filmer ses filles (Marie-Jeanne Bardot, cadette, naît en 1938), sous le prétexte de naïfs scénarios. Le cinéaste amateur ne répugne pas aux gifles lorsque l’interprétation ne le satisfait guère, préparant en cela la jeune Brigitte à sa rencontre avec Clouzot, généreux dispensateur de soufflets… L’éducation de la jeune Brigitte est on ne peut plus stricte, entre institutions privées, gouvernantes, exigences maternelles d’un port roide et altier et… complexes relatifs à un physique disgracieux (lunettes, appareil dentaire et strabisme). La danse classique, qu’elle commence à l’âge de six ans, est une échappatoire. Elle y excelle, comme l’atteste un premier accessit, en 1948. Elle fréquente alors le Conservatoire de Paris ; par la suite, elle suivra les cours de Boris Kniaseff, un ancien des Ballets russes, qui, lui aussi, mène sa troupe à la baguette et ne dédaigne pas les coups. Sa rencontre avec Vadim l’éloignera définitivement des barres et des entrechats.

Photogénie 

Si la jeune fille se juge sévèrement, d’autres ne partagent pas ce point de vue. Tout d’abord, sa mère, chapelière à ses heures perdues, convainc sa fille de participer à un défilé de présentation de ses créations. Pétrifiée de timidité, Brigitte n’ose pas regarder le photographe. Peu après, elle devient mannequin junior et s’illustre, entre autres, dans Jardin des modes. Mais les Bardot s’effraient de ce milieu jugé dissolu : un conseil de famille est réuni, et autorisation est donnée de poursuivre, à la condition de ne pas rémunérer la modèle ni de mentionner son nom. À quinze ans, elle fait la couverture de Elle, le magazine que vient de créer Hélène Lazareff, une amie de sa mère. Une année après, elle est repérée par Marc Allégret, qui cherche une partenaire pour Françoise Arnoul dans Les Lauriers sont coupés, un film dont le jeune Roger Vadim assure avec lui la préparation. Si les conditions exactes de la rencontre sont matière à débats, le coup de foudre est tout aussi réciproque qu’immédiat. Le film ne se concrétise pas, contrairement à la liaison entre les jeunes gens. La mini-série Bardot (Danièle et Christopher Thompson, 2023) saisit bien ce moment de bascule où la passion amoureuse balaie bienséances et conventions. Brigitte manque les cours pour retrouver Vadim dans sa chambre de bonne, essuyant une telle réprobation familiale qu’une expatriation en Angleterre est alors envisagée. Brigitte tente de se suicider, et Louis consent à autoriser le mariage, célébré en 1952.

L’essor et l’envolée vers Et Dieu… 

Le premier film tourné par la comédienne de dix-huit ans, Le Trou normand, avec Bourvil n’est pas resté dans les annales. Ni le scénario ni le cinéaste (Jean Boyer) ne sont passés à la postérité. L’unique raison d’accepter le tournage réside dans le cachet, qui permet à la jeune femme d’assurer son indépendance. Les trois mois sur le plateau sont un enfer. Bardot est régulièrement humiliée par le producteur, qui raille son jeu maladroit et provoque maintes crises d’angoisse. De fait, même au sommet de sa gloire, l’actrice vivra les tournages comme une torture et ne s’épanouira jamais devant la caméra. Le sort est en effet peu clément : Bardot a croisé la route des cinéastes les plus dictatoriaux de cette époque, des hommes psychiquement torturés (Duvivier, Clouzot), obsédés par le pouvoir (Autant-Lara) ou mégalomanes (Godard), qui règnent en maîtres absolus sur des équipes assujetties. Ironie de l’histoire : il faut attendre 1973 et le tout dernier film de la comédienne (L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise) pour que celle-ci soit mise en scène par une femme, Nina Companeez, après deux décennies de direction viriliste.

Les films se succèdent (Manina, la fille sans voiles, Rozier, 1952 ; Les Dents longues, Gélin, 1952 ; Si Versailles m’était conté…, Guitry, 1954 ; Hélène de Troie, Wise, 1956 ; En effeuillant la marguerite, Allégret, 1956), et la notoriété de Brigitte Bardot s’affermit peu à peu, moins en raison de la qualité des œuvres que des apparitions régulières dans Paris Match, où Vadim est devenu journaliste… mais aussi scénariste. Auteur avec le producteur Raoul Lévy d’un script intitulé Et Dieu… créa la femme, celui-ci va participer de la création de trois mythologies : Bardot, Saint-Tropez et la libéralisation des mœurs. Le film s’articule au personnage de Juliette Hardy et de ses intermittences sentimentales avec trois hommes interprétés respectivement par Christian Marquand, Jean-Louis Trintignant et Cürd Jurgens – pour lequel il a fallu créer un rôle de promoteur immobilier in extremis, exigence de la Columbia pour coproduire ce film à petit budget, qui, lors de sa sortie, le 28 novembre 1956, dans trois salles à Paris, connaît un échec cuisant.

La critique hésite entre consternation devant le jeu de la comédienne et dénonciation du personnage qu’elle incarne, une hédoniste désaffiliée de toute pudeur et désencombrée de considérations morales, une libertaire à la sensualité incendiaire électrisant les hommes, comme dans la scène culte du mambo torride sur lequel elle se déhanche, lascivement. Il faut attendre le triomphe de la sortie américaine, l’année suivante, et la seconde exploitation française pour que Et Dieu… créa la femme devienne un phénomène de société dans le pays. La jeunesse, et notamment les futurs cinéastes de la Nouvelle vague, revendique la liberté absolue promue par Bardot, confondue avec Juliette Hardy. Les ligues de vertu se désolent, mais une nouvelle icône est née, qui fracasse la censure et liquide une éducation à la schlague. La France entière s’empare de la star et de sa persona, délivrée des tabous, vantant les délices de la sexualité et de La Madrague, qu’elle acquiert en 1958. Saint-Tropez, où Françoise Sagan tient aussi ses quartiers d’été, fait l’objet d’une ruée touristique et la destination fantasmée de la classe moyenne, prête à passer trois heures dans les bouchons pour un pastis chez Sénéquier.

La gloire… et son prix 

Pendant dix ans, Brigitte Bardot enchaîne les films, dont la plupart peinent à désarrimer le personnage du sex symbol qu’elle est, à son corps plus ou moins défendant, devenue. Les meilleurs (En cas de malheur, Autant-Lara, 1958 ; La Femme et le pantin, Duvivier, 1959 ;  La Vérité, Clouzot, 1960 ; Le Mépris, Godard, 1963) jouent avant tout de l’auto-référentialité. La fiction s’efface derrière la créature filmée, avant tout, pour ce qu’elle est, à savoir « la plus belle femme du monde », sulfureuse et, dans le même temps, victime de sa beauté incandescente. Les trois premières œuvres déclinent l’archétype de la femme fatale (La Vérité s’appuie l’affaire Pauline Dubuisson, qui avait défrayé la chronique en 1953) brisant les cœurs et les familles, désengagée de toute attache. Clouzot et Godard se livrent eux, dans leur film respectif, à une réflexion sur la mythologie Bardot. Le premier l’exploite habilement comme le symptôme d’une époque, huit ans avant qu’une jeunesse sans surmoi aille dépierrer la rue Gay-Lussac et dénoncer le carcan des bonnes mœurs. Le Mépris, chef-d’œuvre de Godard et de son interprète féminine, joue avec une extrême intelligence autour de l’image de Bardot, magnifiée par la lumière de Capri et la rébellion que véhicule son personnage, refusant d’être réduite par son mari à un objet sexuel. La scène du blason (« Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses ? »…) ne figurait pas dans le scénario original et fut imposée par Carlo Ponti, déplorant qu’un film avec Bardot ne la dévêtît que parcimonieusement. Godard y déconstruit la femme-objet, réduite à une pure production commerciale et désincarnée au profit d’une écœurante exploitation publicitaire.

 Le cinéaste avait-il saisi la lassitude qui s’était graduellement emparée de la comédienne, surexposée dans les médias pour ses liaisons multiples (Gilbert Bécaud, Raf Vallone, Sacha Distel, Jean-Louis Trintignant, Sami Frey, Jacques Charrier, Gunter Sachs, Serge Gainsbourg, Warren Beaty…) et cible de ce que Fellini allait baptiser, en 1960, les paparazzi ? Vie privée (Malle, 1962) met en scène avec une acuité saisissante le tragique d’une existence aliénée aux tabloïds, photographes et autres échotiers. Jamais Bardot n’a paru aussi désemparée, aussi fragile. La Madrague est alors le point de mire de bateaux qui s’approchent toujours plus près de la propriété afin de surprendre la star dans son intimité, qui doit prendre ses bains de soleil derrière des canisses.

« Sur la plage abandonnée… »

Espaçant quelque peu son activité cinématographique, Bardot se tourne vers la chanson, avec la complicité de Jean-Max Rivière et Gérard Bourgeois. Si elle taquine la guitare (ses copains de Los Incas, invités régulièrement à La Madrague, lui permettront de perfectionner son jeu), elle ne joue pas sur les titres qu’elle interprète avec une ingénuité mélancolique culminant dans La Madrague. En 1966, Gainsbourg lui offre plusieurs titres (Harley Davidson, Comic Strip, Bubble Gum, Un jour comme un autre et Je t’aime… moi non plus), qui la hissent aux côtés de Nancy Sinatra. Je t’aime… moi non plus pâtit d’un destin contrarié. Initialement, Bardot avait demandé à Gainsbourg de lui « composer la plus belle chanson d’amour jamais écrite ». Il s’exécute en une nuit. Mais Gunter Sachs s’oppose à sa commercialisation en raison des paroles jugés obscènes. Il faudra attendre près de vingt ans pour la sortie officielle du morceau.

Sur l’écran, Bardot ne résiste pas toujours à la tentation de se parodier (Viva Maria, Malle, 1965, film où sa rivalité avec Jeanne Moreau n’aurait pas été feinte ; Boulevard du rhum, Enrico, 1970 ; Les Pétroleuses, Christian-Jaque, 1971 ; Don Juan 73 ou si Don Juan était une femme, Vadim, 1972). Le septième art l’attire de moins en moins, et elle choisit comme Garbo, la quarantaine venue, de se retirer du cinéma, après le désastreux Colinot Trousse-Chemise (Nina Companeez, 1973). La petite histoire stipule que son partenaire, Francis Huster, avait demandé à ce que l’on scotche son pénis lors des scènes d’intimité, de crainte de ne contenir son émoi au contact de la fameuse « femme la plus belle du monde »…

L’animal, mon prochain 

Brigitte Bardot a toujours témoigné une profonde sensibilité à la cause animale et n’a pas attendu la fin de sa carrière pour en embrasser la défense. En 1968, Marguerite Yourcenar la félicite de son engagement dans la protection desdits animaux et l’adjure de mettre sa notoriété au service des bébés phoques – ce qu’elle fera dix ans plus tard. Devenue porte-parole de la SPA, elle dénonce l’usage des pistolets dans les abattoirs tout comme l’égorgement halal. Enfin, la fondation Brigitte-Bardot, créée en 1986, est reconnue d’utilité publique, après la vente aux enchères de bijoux, robes et autres effets personnels.

En 1996, la comédienne publie ses mémoires, Initiales B.B., que Madonna s’offre d’adapter et d’interpréter. La star américaine essuie un refus cinglant. Motif : elle porte de la fourrure…

Rejetonne de la grande bourgeoisie conservatrice, visage d’une société décorsetée, inspiratrice d’un néo-féminisme frondeur, hymne à la beauté et aux sens puis protectrice de précieuses valeurs, l’actrice, dans ses grandeurs et ses contradictions, aura su, comme fort peu, faire rayonner à l’international l’image de la femme. Française, il va de soi.

Sévérac   

Crédit photo : Michel Bermanau/Wikimedia (cc)

[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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