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Le jeu vidéo : un instrument de propagande ?

En 2014, à la sortie d’Assassin’s Creed Unity, un jeu vidéo d’action/infiltration dont l’histoire se déroule au moment de la Révolution française, Jean-Luc Mélenchon s’était élevé contre une entreprise de « propagande » visant à ridiculiser le peuple français, à salir Robespierre, et à dédouaner la noblesse de ses responsabilités.

On s’est souvent interrogé sur les risques des jeux vidéo et sur le degré d’abrutissement des jeunes engendré par une pratique excessive. Mais à mesure que le jeu vidéo gagne en popularité et en réalisme, on commence à se questionner sur sa capacité à véhiculer des opinions. Devient-il un vecteur idéologique ?

A première vue, quoi de mieux qu’une activité qui occupe des millions de jeunes, et qui les fait entrer dans un monde virtuel plusieurs heures par jour pour transmettre un message?

Le pourfendeur du capitalisme y trouvera son compte : la quasi-totalité des jeux se fondent sur la compétition entre joueurs ; on gagne en étant meilleur que l’autre, en le détruisant. Tout est quantifiable et quantifié : le monde qui nous entoure, nos compétences, notre progression, et  même nos relations. Dans le célèbre jeu de simulation de vie, les Sims, une relation amoureuse est juste un nombre de points accumulés : lorsqu’on offre un cadeau à une femme, on gagne 5 points, lorsqu’on la dispute, on en perd 15 !

On observe même dans l’espace virtuel certains phénomènes économiques du monde réel : dans les jeux de rôle massivement multi-joueurs (mmorpg en anglais), comme le très connu World of Warcraft, l’entrainement de son personnage peut être une activité longue et fastidieuse. Certains joueurs choisissent donc d’en rémunérer d’autres en Chine ou en Inde afin qu’ils effectuent cette tâche sans intérêt, de la même manière qu’on sous-traite aujourd’hui certaines fonctions de peu de valeur ajoutée dans des pays moins riches.  Certains joueurs développent même des programmes informatiques chargés de jouer à leur place. On voit le parallèle avec l’utilisation des robots dans les usines pour remplacer les ouvriers.

Dans la très célèbre série des GTA, c’est le système libéral américain et la voyoucratie qui sont promus : ces jeux nous font entrer dans la peau d’un petit caïd qui devra étendre son influence sur l’ensemble de la ville, amasser le plus d’argent possible  afin de pouvoir acheter de grosses voitures, les meilleurs armes et obtenir les plus belles filles.

Certains biais culturels et idéologiques  apparaissent  dans des jeux de stratégie et de gestion comme les séries Civilization et Age of Empire et donnent du grain à moudre à ceux qui dénoncent l’impérialisme occidental et la vision européo centrée : Le but de ces jeux repose sur la conquête. On s’étend, on colonise de nouveaux territoires, on progresse technologiquement et on écrase militairement les autres joueurs.
Dans le jeu de gestion, SimCity, qui est un simulateur de gestion de ville, on note l’impossibilité de faire de la mixité sociale dans les zones urbaines que l’on construit : les pauvres avec les pauvres, les riches avec les riches. Le jeu nous vient des Etats-Unis, où les différences sociales sont très marquées dans le paysage urbain.

On  remarque aussi un parti pris évident dans certains jeux de guerre : ceux traitant de la Deuxième Guerre mondiale vous font souvent incarner un soldat américain et rarement un Soviétique.
Au début des années 2000, plusieurs jeux vous faisaient prendre le contrôle de soldats américains afin d’éliminer l’infâme armée irakienne, ou de dangereux Talibans

Mais si certains jeux donnent l’impression de faire la promotion de l’idéologie dominante, d’autres semblent la remettre en cause.

Des jeux de gestion ou de stratégie qui nous placent dans la peau d’un despote ne confortent pas l’impératif démocratique actuel. On y décide  unilatéralement des orientations économiques, culturelles, militaires ou religieuses. Pire encore pour les  bien-pensants, dans la plupart des jeux de rôle ou de stratégie, les races existent, et s’affrontent ! Pas de « vivre ensemble » ici ! Ces jeux s’inspirent souvent de l’univers de Tolkien, un auteur dont certaines idées ne sont pas très politiquement correctes.

D’autres jeux attirent notre attention : les jeux d’action en univers post-apocalyptique. Ils peignent un monde plongé dans le chaos suite à un développement technologique incontrôlé où on lutte pour la survie. Il y a là matière à réfléchir sur la question de la modernité, sur le progrès technologique vendu comme une fin en soi dans les sociétés modernes où l’on fait la queue pendant des heures pour le dernier iPhone, et où certains se font implanter des puces électroniques sous la peau.

Dans le milieu des joueurs sont parfois abordés des thèmes politiques avec des opinions tranchées. C’est le cas des célèbres forums de www.jeuvideo.com. On avait même envisagé leur censure ou leur fermeture.

S’il existe bien un lien entre jeu vidéo et idéologie, il faut maintenant le définir en évitant de le sur interpréter. Pour cela, plusieurs constats s’imposent

Constat technique : si dans les jeux vidéo, tout est quantifié, donnant une vision matérialiste et désenchantée du monde, c’est à cause de la nature même de l’informatique : un ordinateur ne fait rien de plus que des calculs.

Constat financier : les jeux vidéo sont produits par des entreprises privées, pour gagner de l’argent. Il leur faut satisfaire une demande. Le contenu et l’orientation des jeux suivent donc  les attentes des consommateurs. Les entreprises privées  ne créent pas l’opinion, mais la suivent.Les grands groupes font beaucoup de communication sur la protection de l’environnement ; c’est la mode. Même logique pour les jeux videos : si le joueur souhaite agir comme un membre d’un gang de Harlem, on lui en offre la possibilité.

Constat ludique: pour être rentable, un jeu doit être avant tout divertissant. On relativise facilement le sens que prend la position de despote attribuée au joueur dans les jeux de stratégie et de gestion. Dans un jeu de gestion de pays, exercer les pleins pouvoirs dans tous les domaines … c’est amusant. Si votre décision ne s’y exprimait  que par un bulletin de vote parmi d’autres,  ce serait moins drôle.

Ce qui s’apparente à de l’idéologie résulte davantage d’une demande des joueurs que d’une offre des concepteurs. Mais comment se l’expliquer ?  Pour  beaucoup de « gamers » (ceux qui passent énormément de temps à jouer, souvent en ligne), la fonction des jeux vidéo est au-delà de leur aspect purement ludique celle de substitut. Incarner dans un jeu un soldat surpuissant terrassant ses ennemis par dizaines peut compenser le rôle de subalterne dont  souffre un employé de bureau. Diriger sa propre guilde dans un jeu de rôle en ligne permet d’oublier le peu de popularité dont on jouit au lycée. Gagner la Ligue des Champions dans un jeu de foot permet d’atténuer le manque de réussite au sein du club de son village. Le lien social qui  existe dans des jeux en ligne se substitue à celui qui manque dans les sociétés individualistes. Lutter dans un jeu contre un pouvoir tyrannique et sauver son peuple de la destruction sert peut-être à « supporter l’ennui démocratique de nos sociétés » comme le reconnaissent eux-mêmes certains joueurs dans un éclair de lucidité.

Frustration, colère, ennui, besoin de contact social… tout cela se déverse dans un programme informatique mais n’aboutit à rien dans le monde réel. L’action politique collective cherche à le modifier. La pratique du jeu vidéo est individuelle (bien qu’on joue en ligne avec d’autres joueurs, on n’est jamais que tout seul dans sa chambre devant un écran), et seulement virtuelle.

Il ne s’agit pas de voir une intentionnalité là où il n’y en pas ; il semble peu crédible que les concepteurs de jeux vidéo cherchent  à neutraliser l’énergie politique des joueurs, mais voilà pourtant bien la fonction objective des jeux vidéo !

Victor Séchard

Photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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5 réponses à “Le jeu vidéo : un instrument de propagande ?”

  1. Dora dit :

    Bonjour, je suis journaliste, je donne quelques exemples de jeux vidéos auxquels je n’ai jamais joué. Je fais une description réductrice, j’extrapole et je tire des conclusions douteuses. Mais comme je suis journaliste, je me sens plus compétant qu’un thésard et je me dois te véhiculer mes pensées réactionnaires et rétrogrades sur quelle est la fonction “objective” des jeux vidéo. je me dois de faire passer le message que les joueurs de jeux vidéo sont dans l’erreur et sont des victimes.Je me dois d’être l’outil de propagande ultime… (Je ne vais pas me faire voler mon boulot par les jeux vidéos ! Non mais oh !!!)

    Que d’inepties…

    • Victor Séchard dit :

      Bonjour Dora,

      Je suis l’auteur de l’article.

      Vous êtes bien entendu libre de trouver mes conclusions aberrantes, et mon discours « réactionnaire » et « rétrograde » si vous le percevez comme tel.

      En revanche vous faites totalement fausse route en affirmant que je n’ai « certainement jamais passé plus d’une heure sur un jeu vidéo » et que « je donne quelques exemples de jeux vidéos auxquels je n’ai jamais joué ». J’ai joué des journées et des semaines entières sur les jeux que je cite en exemple (à l’exception d’Assassin’s Creed auquel je n’ai joué qu’occasionnellement), et à bien d’autres par ailleurs.

      Le fait qu’on n’arrive pas aux mêmes conclusions que vous ne prouve pas qu’on est un parfait ignare.

      J’essaye de proposer une lecture du phénomène des jeux vidéo. D’autres sont possibles.

      Enfin je ne me sens pas, en tant que journaliste, investi de la mission de « faire passer le message que les joueurs de jeux vidéo sont dans l’erreur et sont des victimes ». Le point de vue que j’expose dans cet article vient de mes observations, d’échanges avec des « gamers », de livres et d’articles que j’ai lus sur le sujet. Ce point de vue, je l’ai déjà exprimé auparavant, hors de mon rôle de journaliste. Pas la peine d’y voir de ma part de la condescendance envers les joueurs. Je reste d’ailleurs moi-même un joueur occasionnel ; je ne trouve pas que des défauts aux jeux vidéo. Si j’ai utilisé le terme de « gamer » dans la dernière partie, c’est précisément parce que je parle d’un type de joueur particulier et non de tous les joueurs. Vous aurez de plus remarqué que je parle de « beaucoup de gamers », et non de « tous les gamers »… Je vous invite à relire l’article, il est plus nuancé que ce que vous semblez croire.

      Je ne vous demande évidemment pas de rejoindre mes conclusions, mais au moins de ne pas présumer de mon ignorance sur le sujet ou de mes intentions malveillantes ; vous ne me connaissez pas.

      Cordialement,

      VS

      • Fred dit :

        Réponse bien envoyée et courtoise à un commentaire qui ne l’était guère, pan dans le mille ! L’article, agréable à lire , fait des constats exacts et pose de bonnes questions.

  2. Dora dit :

    Cet article : un outil de propagande réactionnaire et rétrograde ?
    Tout le contenu de cet article est faux. L’auteur n’a certainement jamais passé plus d’une heure sur un jeu vidéo pour avoir des conclusions aussi aberrantes.

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