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Brexit, saison 2, épisode 5, « Sortira ? Sortira pas ? »

Sortira ? Sortira pas ? Mardi soir, les députés des Communes ont de nouveau rejeté, par 391 voix contre 242, l’accord de sortie de l’UE négocié à Bruxelles par leur Premier ministre, Theresa May. Quasiment aphone, celle-ci, dans le même mouvement, a refusé de démissionner, et a dispensé les élus de son camp conservateur de toute discipline de vote pour le scrutin de ce mercredi 13. Il portera sur le choix, oui ou non, d’un Brexit dur, sans accord, à appliquer à partir de 30 mars à 0 h. Les votes conservateur sont maintenant libres, et l’aile droite de Boris Johnson plaide en faveur de cette solution. Acceptation ? Refus ? En cas de refus majoritaire, Mrs May proposera jeudi 14 de solliciter de l’UE un report de l’échéance fatale. Cette dernière hypothèse serait ouverte si et seulement si la demande émanait de la majorité des Communes, en application de l’article 50 du Traité de l’Union. Si aucune majorité n’est obtenue, il y aura un Brexit dur le 30 mars à 0 heure, celui-là même qui aura été refusé le 13 mars par les mêmes Communes…

Le brouillard s’épaissit comme jamais…

Autant dire, quant aux lendemains des accords commerciaux de la Grande-Bretagne avec les différents pays d’Europe, que le brouillard s’épaissit comme jamais. Décider de ne rien décider semble la credo de la politique britannique à propos de l’Europe. Ce qui n’interdit pas, mais semble encourager, les retournements de veste à l’approche de l’échéance. Jeremy Corbin, patron des travaillistes (Labour), propose maintenant une solution qu’il avait toujours écartée : l’organisation d’une nouvelle consultation populaire si les Communes ne s’entendent pas pour un report des échéances finales. Il ne dit pas référendum, car le terme, très français d’usage, indique un scrutin à vocation législative, ce qui ne peut être le cas outre-Manche où seules les Chambres sont dépositaires de la souveraineté, pas le peuple, qui peut néanmoins être sondé.

Brandon Lewis, chef du parti conservateur (Tory), n’a pas manqué de rappeler à Corbin qu’il trahissait sa propre cause, près de 40 % de ses électeurs ayant voté pour le Brexit en 2016. Certains vont plus loin. Emily Thornberry, responsable des affaires étrangères dans le Shadow cabinet (le « cabinet fantôme » des travaillistes) affirme quant à elle, refusant le « Brexit des tories », qu’elle militerait dorénavant pour le maintien dans l’UE. Deux autres travaillistes proposent une option encore différente : accepter pour le 29 mars l’accord négocié avec l’UE, mais sous la réserve qu’il soit ultérieurement soumis à un second référendum, ce qui est évidemment impossible. Dès lors, à gauche comme à droite, seule la cacophonie semble majoritaire.

Politiques de retournement d’opinion à propos de l’Europe : une tradition bien établie

Ces politiques de retournement d’opinion à propos de l’Europe semblent une tradition maintenant bien établie. En 1952, les Britanniques avaient refusé d’adhérer à la Communauté Européenne Charbon-Acier (Ceca). En 1955, ils avaient quitté la négociation du Traité de Rome donnant naissance à la Communauté économique (CEE). En 1961, revirement, ils demandent leur adhésion. En 1963, De Gaulle s’y oppose, et ils attendent Georges Pompidou pour adhérer en 1973. Dès 1975 toutefois, ils font mine de partir, mais restent. Quatre ans plus tard, Mrs Thatcher exige une réduction de sa participation au budget communautaire (I want my money back !; « Rendez-moi mon fric ! ») ; la crise est majeure ; François Mitterrand cédera en 1984.

Depuis, les accès d’affection succèdent aux courroux du désamour. En 1993, Londres menace de quitter l’UE, et accepte de rester à condition que soient remisées les deux réformes-phares poussées par Jacques Delors : une vague de grands travaux, et une harmonisation des politiques sociales et fiscales. Victoire anglaise, échec continental. En 1997, Tony Blair tente d’imposer la présence de banquiers de la City dans le conseil de l’Euro, tout en en refusant la monnaie commune ; Jacques Chirac s’énerve ; Blair échoue ; victoire continentale. Retour d’éclaircie en 2004 : l’extension à 25 des États membres de l’UE impose en pratique l’usage de l’anglais, de préférence au français qui reste néanmoins la langue privilégiée pour les Traités.

« Allo, Londres, que voulez-vous ? »

Depuis lors, l’affaire « Europe » est exclusivement anglo-anglaise. Le Premier ministre conservateur de 2013, David Cameron, promet un référendum sur l’Europe, histoire de mettre au pas le petit parti UKIP, farouchement anti-européen. La consultation est organisée en juin 2016, et… perdue en faveur d’un retrait dont Cameron ne voulait pas. Theresa May, qui préfère elle aussi un maintien dans l’UE (remain), prend la suite de Cameron démissionnaire, mais ne parvient plus à tenir ses troupes qui réclament une sortie (leave), c’est-à-dire un Brexit. Face à elle, le patron eurosceptique des travaillistes, Jeremy Corbin, ne tient pas plus ses troupes plutôt europhiles, dont certaines, par anti-Corbin, deviennent europhobes. De chaque côté des deux grandes formations politiques, qui tiennent les Communes à plus de 80 %, aucun des leaders ne parvient à réunir une majorité. Et le continent s’agace. A la question bruxelloise « Allo, Londres, que voulez-vous ? », la réponse est invariablement « yes, no », ce qui ne fait pas une politique.

Le choix du grand large ?

Du côté des partisans londoniens du Brexit, une anecdote fait en ce moment le tour des bonnes tables lors des dîners en ville. Elle date du 4 juin 1944. Dernière engueulade entre De Gaulle et Churchill avant le débarquement, dont le plan initial prévoyait une administration et une monnaie américaines imposées à la France, ce que De Gaulle refuse énergiquement : « Comment voulez-vous que nous traitions sur ces bases ? Allez faire la guerre avec votre fausse monnaie ! » A quoi Churchill répond : « Nous allons libérer l’Europe, mais c’est parce que les Américains sont avec nous pour le faire. Sinon, sachez-le ! chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large ! » Le grand large : belle devise !

A Bruxelles, la même histoire circule chez les négociateurs du projet d’accord entre Londres et l’UE, auteurs d’un travail de 600 pages en faveur d’une sortie négociée, texte que Mrs May ne parvient toujours pas à imposer aux Communes. L’interprétation, dans leurs dîners, est inversée par rapport à celle de Churchill : que Londres prenne la mer, et voilà qui libérera l’Europe.

Ceux qui espèrent y voir plus clair en fin de semaine portent un nom : des optimistes. En attendant, chez les responsables des installations portuaires de Roscoff en Bretagne et de Ouistreham en Normandie, la question est toujours la même : faut-il, oui ou non, installer des nouveaux guichets pour les douaniers et les vétérinaires ? Les modules provisoires (Algeco) sont réservés chez le fabricant, lequel s’agace de ne pas savoir s’il doit livrer, ou non, et quand…

Jean-François Gautier

Crédit photo : DR
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