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Coronavirus. Dans l’Italie, homme malade de l’Europe, la présence chinoise en question

L’Italie est officiellement l’homme malade de l’Europe. Et pas seulement en matière de corruption, de représentation démocratique ou d’économie souterraine. Avec la flambée de l’épidémie du coronavirus sur le sol italien, toutes les failles italiennes sont à jour. A commencer par l’incapacité du système de santé de trouver le patient zéro, d’où tout est parti. Ou de se poser des questions sur la présence chinoise en Lombardie, au cœur de l’épidémie, secret le mieux gardé de la compétitivité italienne.

Faute de trouver le patient zéro, les autorités politiques s’attaquent au thermomètre : à l’hôpital de Codogno, une ville au sud de Milan, où le premier patient qui a affirmé avoir été infecté s’est adressé. Or, lors de son traitement, plusieurs proches et médecins ont été contaminés, ce qui signifie que les procédures pourtant habituelles en cas de traitement de maladies contagieuses de désinfection et d’isolement n’ont pas été respectées.

Panique et mesures de sécurité trop tardives et insuffisantes

Dans la dizaine de villes placées en quarantaine, supermarchés et pharmacies sont dévalisés par une population d’autant plus alarmée que le coronavirus s’est imposé comme sujet n°1 dans l’ensemble des médias. Ce qui n’empêche pas sa propagation : deux cas ont été signalés à Florence, neuf à Plaisance en Émilie-Romagne – une ville stratégiquement située sur la grande ligne ferroviaire de Milan à Bologne.

« Les médias italiens ont placé le coronavirus en Unes, alors que les médecins se divisent. Certains rassurent sur le bas taux de mortalité, d’autres affirment que l’épidémie se répand très rapidement », explique Andrea Carriero, qui vit dans le nord de l’Italie. « Les 7 patients décédés étaient âgés et avaient déjà d’autres pathologies. Dans le Nord, certaines écoles sont fermées, ainsi que certaines usines », notamment Mta à Codogno dont la fermeture pourrait provoquer l’arrêt de chaînes des constructeurs automobiles Fiat, Renault, BMW et Chrysler à court terme. L’usine a demandé à maintenir une production minimale avec 10% du personnel (60 personnes) sur 40.000 m², pour éviter les répercussions sur ses clients.

Cette omniprésence médiatique du coronavirus commence à énerver certains italiens : « Y en a ras le cul de cette propagande !en fait c’est juste la grippe en légèrement plus carabiné, et on en fait tout un plat pour masquer des problèmes plus graves et maintenir les populations dans la peur pour mieux les contrôler », explique une habitante des Pouilles. Le fait est que le coronavirus a relégué au second plan les problèmes économiques italiens, la réforme à venir de la législation anti-migrants laissée par Salvini et même la guerre de tranchées entre ce dernier et la gauche italienne dans les régions.

Par ailleurs une grippe saisonnière emporte chaque année de 3 à 10.000 morts, principalement des personnes âgées touchées par d’autres maux… comme le coronavirus, dont la mortalité est bien plus élevée pour les personnes âgées (14.8% au-dessus de 80 ans, 8% dans la tranche 70-79 ans, contre 0.4% en dessous de 50 ans).

Dix villes de Lombardie sont consignées, avec des zones rouges qui n’ont été mises en place que ces 23 et 24 février, sous la pression de l’UE : il s’agit de Codogno, Castiglione d’Adda, Casalpusterlengo, Fombio, Maleo, Somaglia, Bertonico, Terranova dei Passerini, Castelgrundo et San Fiorian. En tout 283 cas ont été détectés (54 nouveaux en un jour) et 7 personnes sont mortes.

Lourdes à maintenir, ces zones rouges semblent pourtant insuffisantes alors que la Toscane et la Sicile ont à leur tour été touchées par l’épidémie, que les vols intérieurs sont maintenus et que la plupart des usines et des bureaux tournent encore. La Lombardie et la Vénétie, cœur de l’épidémie, représentent aussi un tiers du PIB de l’Italie, pays dont la dette représente aussi 135% du PIB. Si l’Italie du Nord devait être « gelée » pour limiter la propagation de l’épidémie, c’est tout un pays qui risquerait de boire la tasse.

La présence chinoise en Italie du Nord, le secret le mieux gardé de la compétitivité italienne

Très attentifs à la couverture du coronavirus, les médias italiens sont pourtant bien silencieux sur ce qui pourrait en être à l’origine. Le nord de l’Italie connaît une présence chinoise importante, avec même certaines villes qui sont majoritairement peuplées de chinois. Un blogueur globe-trotter russe très lu, proche de l’opposition pro-occidentale, Varlamov, s’était rendu dans l’une de ces villes, Prato, en 2016. Cette ville située à 20 km au nord de Florence est l’un des centres de l’industrie textile en Italie.

Venus à l’origine dans les années 1990 comme travailleurs dans le textile, ils ont commencé à racheter au tournant des années 2000 les petits ateliers et à faire venir des compatriotes – ces derniers travaillent pour rembourser leurs passeurs (de 30 à 50.000 $ pour le passage) et pour envoyer de l’argent au pays.

Pour les entrepreneurs chinois, tout ce qui est fait à Prato – ou dans d’autres centres similaires – est made in Italy. Dans la province de Prato, début 2014, 5000 des 30.000 entreprises industrielles enregistrées dans la province appartenaient aux Chinois. La ville compte officiellement 15.000 Chinois, mais ils étaient en 2016 plus de 50.000 dont la moitié clandestins.

En 2018, sur 188.000 habitants, 23.000 étaient chinois, officiellement. Nombre d’entre les clandestins vivent dans des dortoirs sommaires sur le territoire du « Chinatown », à l’ouest de Prato, ou carrément au sein des usines où ils travaillent jusqu’à 16 heures par jour. D’autres vivent dispersés au sein des 300 hectares rachetés dans la campagne par des propriétaires d’ateliers chinois, et y servent de main-d’œuvre corvéable à merci.

Les grandes entreprises textiles qui y sous-traitent y trouvent aussi leur compte avec une main-d’œuvre peu chère. Et avec les mêmes modèles, les mêmes patrons, voire les mêmes coupons de tissus ou les peaux, l’on fait aussi des produits très conformes à l’original… sauf qu’ils sont vendus dans les Balkans et en Europe du Sud, voire sur le sol italien même, moitié ou un tiers moins cher. Cette contrefaçon de qualité représente une part croissante du marché.

Véritables Janus de la filière, ces usines prospèrent dans l’ombre. Ricardo Marini, président de l’union des industriels de Prato, disait à leur sujet : « les Chinois et leurs entreprises vivent du fait qu’ils ne respectent aucune règle. Ils ne paient presque pas d’impôts, embauchent [souvent des ressortissants chinois] au noir, ne paient pas les charges sociales, ne paient pas les impôts locaux ou la taxe sur les ordures ménagères… bref ils ont des charges très basses et peuvent vendre à des prix si bas qu’il est impossible d’être compétitif ».

Quant à l’argent gagné sur la sous-traitance, il se retrouve en Chine, envoyé par les ouvriers, ou… dans les poches des grandes familles italiennes, voire de la mafia ou de grandes entreprises du luxe. En 2019, un atelier qui employait 50 travailleurs clandestins a été fermé à Melito, près de Naples – il fabriquait de la maroquinerie pour Fendi, Saint-Laurent et Armani, au bout d’une chaîne de sous-traitance. Le système est rodé, et tout le monde s’y retrouve, sauf les travailleurs italiens. Du fait de leur intégration dans l’économie de la sous-traitance italienne, le nombre de chinois en Italie du Nord augmente.

Un autre foyer de peuplement chinois, essentiellement clandestin, se trouve à Naples, autour du port et de ses trafics – c’est l’un des principaux points d’entrée de marchandises chinoises en Europe, avec l’appoint de la mafia, comme l’expliquait en détail dans Gomorrhe Roberto Saviano. Plusieurs milliers de chinois vivent aussi à Turin, Milan, ou encore à Rome, et travaillent souvent dans la sous-traitance textile, la logistique ou le petit commerce.

Le quartier situé au sud de la gare Termini, près du marché de l’Esquilin (Nuovo Mercato Esquilino) et de la Porta Maggiore, est un petit Chinatown avec de nombreux ateliers et magasins textiles. Il est immédiatement flanqué d’un quartier indo-pakistanais qui est probablement le seul coin de Rome intramuros où l’on peut voir des affiches à la gloire du chef militaire iranien Qassim Soleymani, tué suite à une opération spéciale des États-Unis.

Tandis que les zones de peuplement et de travail chinois en Italie semblent de plus en plus hors de contrôle des pouvoirs locaux – quand ils ne sont tout simplement pas corrompus – la police italienne a constaté à de nombreuses reprises que les Chinois n’hésitent pas à changer d’identité comme de chemises, en s’appropriant les papiers de compatriotes morts sur le sol italien.

Dans ces conditions, si le « patient zéro », c’est-à-dire celui dont est parti l’épidémie, est un travailleur textile d’une usine, clandestine ou non, en Italie du Nord, les services de santé italiens peuvent le chercher longtemps… tout comme si l’épidémie se déclare dans les ateliers clandestins à Naples, Rome ou Turin, il sera très probable qu’elle soit cachée jusqu’à ce que l’ampleur de l’infection l’empêche. Cependant ni les pouvoirs publics, ni les médias italiens ne souhaitent remuer cette sous-traitance chinoise à très bas prix qui reste, malgré les problèmes liés sanitaires, sociaux, politiques, mafieux… un des atouts majeurs de l’économie textile du nord du pays, et de l’Italie en général.

Louis Moulin

Crédit photos : DR
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