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Policiers = porcs. D’où vient cette expression et quel est son sens ?

L’argot change ! « Porc » remplace de plus en plus « flic » ou « keuf » pour désigner les policiers. Quant à l’affectueux « poulet », on l’a souvent entendu dans la bouche de Jean Gabin, mais il a depuis longtemps disparu de la rue. « Porc » est un produit d’importation récente, et son histoire ne sent pas la rose.

Un mot tiré du vieil argot anglais, puis new-yorkais, remis au goût du jour par les étudiants californiens dans les années 60

Avec l’aide du dictionnaire Jonathon Green de l’argot anglophone (Université d’Oxford, 2011), on peut tracer la circulation de cette expression.

Depuis 1800 au moins, « Pig » est présent dans la bouche des pick-pockets chétifs d’Angleterre, celle de Dickens. Le mot désigne alors les agents de police qui fouinent à la recherche d’indices et de malfaiteurs, comme font les cochons en quête de nourriture.

« Pig » passe l’Atlantique et est attesté dès 1830 dans l’argot des bas-fonds new-yorkais. On le lit dans les Mystères et misères de New-York de Ned Buntline, un des premiers romans américains (1848). Il prend un sens légèrement différent puisqu’il désigne plus particulièrement semble-t-il les policiers corrompus, les ripoux. C’est l’époque flamboyante des « Gangs of New-York », des affrontements entre natifs yankees et immigrants irlandais, sous le regard lointain d’une police locale recrutée sur une base clientéliste et connue pour sa corruption.

Le mot disparaît ensuite dans l’usage populaire, du moins pour désigner les policiers (plus d’occurrence entre 1882 et 1968). Les policiers se font alors une réputation d’incorruptibles, en tout cas les vieilles oppositions s’atténuent, la prospérité digère le melting-pot. Le mot « Pig » reste très utilisé par ailleurs pour d’autres cibles. Dans l’Amérique puritaine, le cochon est le symbole d’une animalité qui dégoûte : il dénonce notamment les individus gloutons, cupides ou à la sexualité débridée.

Pig le policier est réactivé par la contestation étudiante des années 60. « Porcs : Terme américain pour désigner les policiers sadiques et stupides qui prennent plaisir dans le privilège de la brutalité légale » (article du magazine psychédélique Gandalf’s Garden, 1968). Peut-être un étudiant en lettres qui relisait un classique a-t-il partagé sa trouvaille avec ses camarades revenant d’une manifestation musclée contre la Guerre du Vietnam. Les policiers redeviennent suspects à cette époque : moins diplômés et moins payés que la moyenne, leur engagement au service de la loi démontrerait une certaine perversité. Dans le film Starsky et Hutch (2004), ce côté refuge pour les cancres et les déglingos, qui colle à la police US des années 60-70, transparaît un peu.

Des Black Panthers au rap le plus commercial : Policiers = porcs = Blancs ?

Mais ce sont surtout les Black Panthers qui vont consciemment populariser l’équivalence porcs = policiers dans leur propagande très soignée. Huey Newton (1942-1989), le cofondateur du mouvement en 1966, s’est confié à ce sujet à la fin de sa vie, dans un livre de souvenirs : le mot « Pig » dans le sens de « policier » n’était pas courant dans la communauté noire et son emploi a été un choix volontariste de la direction du parti.

Newton était un étudiant en art de Californie : il terminera ses études en pointillés à l’âge de 38 ans ! Il développe une théorie complètement à rebours des efforts d’intégration. Le salut des Noirs d’Amérique suppose qu’ils s’affirment comme une minorité nationale, dotée de ses propres institutions. La présence de la police officielle dans les quartiers est dénoncée par l’un des 10 points du programme fondateur, comme une force d’occupation.

L’idéologie nationaliste et séparatiste des Black Panthers est aujourd’hui largement édulcorée par les chercheurs universitaires mainstream, de même que sont peu évoquées les dérives de sa hiérarchie. Huey Newton, décrit par d’anciens membres du parti comme héroïnomane et cocaïnomane, a été impliqué par la justice américaine dans le meurtre d’un policier ainsi que dans le féminicide d’une prostituée de 17 ans, Kathleen Smith, qui lui aurait manqué de respect.

Voici un site présentant des œuvres d’Emory Douglas, l’artiste du mouvement (http://freedom2k7.over-blog.com/article-6684914.html) Dans ces images, Pig y prend une évidente connotation raciale. La construction repose sur la confrontation porcs blancs décadents / Noirs aux attitudes nobles. Le mot porc ne désigne plus seulement les policiers, mais aussi tous les blancs cupides. Leur prospérité n’est pas due à une avance technologique, mais à l’exploitation des peuples de couleur. La Russie soviétique est définie également comme un pays de porcs. À noter que les caricatures anti-porc ne sont pas l’aspect le plus intéressant de la création graphique Black Panthers, qui met aussi en avant la beauté des formes et la noblesse des caractères.

En 1973, le mouvement Black Panthers s’autodétruit. Mais l’ethnolecte « Pig » survit dans le black slang (l’argot de la communauté noire), avec ses dérivés : « pigmobile » pour voiture de police, « pig brother » pour les Noirs favorables à la police ou « pigpen » (« porcherie ») pour les commissariats. Ce sont les policiers blancs qui semblent ainsi caractérisés par la couleur de leur peau, commune avec celle des cochons. Le rap US reprend à son tour le mot, file la métaphore poétique et le diffuse toujours plus massivement : mais la politique des Black Panthers cède la place à l’individualisme libéral, l’édification héroïque d’une nation se transforme en business.

Babushka Boi (2019), du rappeur Asap Rocky. Un clip à gros moyens qui revisite le folklore new-yorkais des années 20. L’humour est développé non sans une certaine finesse : la saucisse des blancs est toute petite, c’est la morale de l’histoire.

Asap Rocky, né Rakim Mayers en 1988, est issu du quartier d’Harlem. Son père et son frère sont morts à cause de la drogue. Lui-même, avec sa bande, a pratiqué dès l’âge de 13 ans le sexe de groupe dans les caves et a vendu du crack à 15 ans. Il s’est sorti de la délinquance en rappant et en faisant le mannequin.

Sa chanson véhicule une vision totalement dépolitisée où le ghetto s’habille en Prada plutôt que dans l’uniforme strict des Black Panthers. Les paroles sont décousues et portent sur les vêtements de marque, les problèmes de dentition, les traits de son visage, la drogue et l’argent.

De ce côté-ci de l’Atlantique : islamo-rappeurs, féministes et blancs-becs d’extrême gauche

C’est donc peut-être par la musique rap que l’expression « flics = porcs » s’acclimate en France. À moins que cela ne soit plus directement à la source Black Panther qu’elle soit puisée. Le thème s’y enrichit de nouvelles connotations, plus religieuses, le porc étant l’animal impur par excellence de la tradition islamique.

Parmi les passeurs de culture, on trouve le rappeur Médine, de sensibilité islamique et fasciné par les Black Panthers. Dans la chanson « Angle d’Attaque 1 » (2011), on peut entendre :

« Les Blancs sont des démons, des cochons d’aucune moralité
Lui était suffisamment black pour être décapité
Ces incestueux nous ont barricadé
Puis ils nous crèvent dans un tieks qu’ils ont fabriqué
C’était un bon c’cousin, un fan de Black Panther
Les Blancs des consanguins, lui lutte pour ses frères
(Yeah) Ces porcs blancs vont loin
Passe-moi une arme de poing
J’vais faire un pédophile de moins
 »

Médine s’est expliqué sur ces paroles : elles sont placées dans la bouche d’un jeune Noir en colère qui débite les préjugés de son milieu. L’auteur demande de faire preuve de subtilité, une qualité qu’on espère répandue chez les amateurs de rap. Cependant, dans d’autres chansons comme Jusqu’ici tout va bien (2012), Médine semble adhérer à la parano Black Panthers : s’il y a des pauvres, dit le narrateur, ce n’est pas en raison d’un sous-développement aux causes multiples, mais à cause de la seule cupidité des Européens (le pape étant le plus bling bling de tous !).

Quelques exemples récents d’anticochonisme : Policiers = Porcs = Blancs = Mécréants = Violeurs = Capitalistes ?

En 2017, le hashtag Balance ton porc est la traduction en France de Me Too, mouvement à l’initiative de femmes ayant subi du harcèlement dans le milieu professionnel. Le patriarche blanc est alors accusé d’être le plus lubrique de toute la Terre, à partir d’un panel de témoignages assez étroit : des femmes actives occidentales, notamment dans les métiers de la culture (sur ce sujet des performances lubriques comparées, le rappeur Asap Rocky n’est pas d’accord avec les féministes).

Ces derniers mois enfin, on trouve l’expression de plus en plus employée dans les milieux d’extrême gauche, dans son sens américain précis où porcs = policiers. Le rêve de cette mouvance est que les étudiants antifas de centre-ville et les cailleras de banlieue communient dans la même haine du porc, chacun pouvant y mettre ce qu’il veut : rancœur de trafiquants ou de consommateurs de drogue, anarchisme, islamisme, féminisme, racisme antiblanc… seuls les végans seront attristés par cette expression insultante… pour leurs amis à quatre pattes. Voici quelques exemples :

  • Un jeu vidéo éducatif créé à l’occasion de la crise des Gilets jaunes par Révolution permanente, la tendance la plus trash du NPA, le parti de Besancenot et Poutou. À noter que le NPA ne s’est intéressé au mouvement Gilet jaune qu’à partir du moment où des violences policières ont été documentées par les médias.
  • Des tee-shirts Flics Porcs Assassins sont actuellement disponibles sur le site commercial anarchiste Ni Dieu Ni Maître, pour la modique somme de 16,62 euros. Ils sont garantis commerce équitable et « non issus du travail forcé en Ouzbékistan ».

  • On trouve régulièrement des hashtags « mort aux porcs » sur Twitter, avec des émetteurs difficilement identifiables.
  • Des graffitis « Mort aux porcs » signés du « parti communiste maoïste » ont été tagués à Paris, près de l’université de Tolbiac (Le Parisien, 21/4/2020).
  • Le 23/4/2020, c’était aux cris de « mort aux porcs » que le poste de police de Strasbourg-La Meinau était incendié, selon la syndicaliste policière Linda Kebbab. Les incendiaires semblent être du quartier.
  • À Villeneuve-la-Garenne, des militants black blocks ont cherché à opérer la jonction avec les émeutiers du quartier, toujours avec le même slogan « mort aux porcs ». (Bondy Blog, 25/4/2020).

Quel avenir pour ce sociolecte émergent ?

« Porc » finira-t-il par remplacer « flic » dans le langage populaire ? Il a pour lui la démographie et l’activisme des avant-gardes politico-culturelles.

Cependant, cela devrait prendre un certain temps.

D’une part, dans la culture populaire du Vieux Continent (ou de Chine), le porc reste associé aux plus grandes réjouissances de la chair. Le « petit cochon » est un bon vivant, un épicurien, un sage. Le regard tourné vers la Terre et dédaignant le ciel, c’est même l’animal le plus « laïc » de la Création…

D’autre part, la présence du policier de base, quelle que soit la couleur de son visage, est considérée comme rassurante par la masse de la population, notamment par les femmes et les personnes âgées.

Bref, tout est bon dans le cochon. Tout me plaît dans le poulet !

Enora P.

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origineV

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