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Covid-19 aux États-Unis : tir de barrage contre la génétique

Le journal Le Monde vient de faire état, quinze jours après Breizh-info, de la nette surmortalité des malades d’origine africaine exposés au covid-19 au Royaume-Uni. Mais si les chercheurs britanniques ont été les premiers à publier sur le sujet, ils ne sont désormais plus seuls.

La pandémie de covid-19 se distingue par des aspects superlatifs inédits. L’un est la rapidité de sa propagation mondiale, transport aérien aidant. Un autre sa médiatisation frénétique. Personne ne semble avoir remarqué une troisième particularité : elle suscite une production d’articles scientifiques sans précédent pour une maladie qui n’avait pas de nom quelques mois plus tôt ! Jamais le principe du publish or perish n’avait provoqué un foisonnement aussi précipité.

Les études sur la chloroquine, sous ses diverses formes, indications et posologies, sont l’arbre qui cache la forêt. Google Scholar recense déjà des milliers de publications, majoritairement en anglais. Beaucoup sont présentées en preprint, c’est-à-dire sous forme de projet non encore validé par d’autres spécialistes. Elles relèvent de disciplines nombreuses, pas seulement médicales. On y trouve : « Forecasting the prevalence of COVID-19 outbreak in Egypt using nonlinear autoregressive artificial neural networks », « COVID-19 and forced alcohol abstinence in India: The dilemmas around ethics and rights », « Kulutus koronan aikaan – ja sen jälkeen : tutkimus COVID-19-epidemian rajoitustoimien vaikutuksesta kuluttajien käyttäytymiseen, taloudelliseen toimintaan ja hyvinvointiin », « Les banques européennes ā l’épreuve de la crise du Covid-19 », « La pandemia del coronavirus: estrategias de comunicación de crisis », etc.

Une affaire d’enzymes ?

En France, les races n’existent pas. Ailleurs, si. En Angleterre, comme BI l’a rapporté, il a été constaté que les Noirs sont quatre fois plus susceptibles que les Blancs d’être affectés par le Covid-19. Deux fois plus si l’on fait abstraction de tous les facteurs sociaux et environnementaux. Le sujet est encore plus important aux États-Unis, pays multi-racial « de souche ». Il n’est pas parfaitement maîtrisé, faute de données homogènes : chaque collectivité applique ses propres règles. À la mi-avril, la classification raciale des malades du covid-19 n’était précisée que dans 22% des cas.

Mais dans ces cas, la surmortalité des Afro-américains est massive. Début avril 2020, selon le Washington Post, à Milwaukee par exemple, ils représentaient 70% des malades décédés pour 26% de la population. À Chicago, 70% des décès pour 30% de la population. Dans le Michigan, 40% des décès pour 14% de la population. À New York, ils courraient cinq fois plus de risques que les Blancs.

Quelles sont les causes de cette surmortalité ? Divers facteurs génétiques peuvent intervenir : différences entre Noirs et Blancs dans la production d’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, dans la production de fibrinogènes, etc. Ces facteurs génétiques sont parfois évoqués, comme des possibilités. En revanche, les facteurs socio-économiques le sont toujours, et leur rôle est admis comme certain sans la moindre tentative de validation. Les chercheurs américains(1) se sentent manifestement tenus à une grande prudence locutoire. Un exemple : « les zones [de New York] où les Américains noirs/africains forment une grande proportion des résidents présentent un risque nettement supérieur qui n’est pas totalement expliqué par les caractéristiques de l’environnement et l’état de santé préexistant de la population »(2). Décodage : la génétique joue, mais on évite de le dire expressément.

Rien de personnel là-dedans ? Si, justement !

L’épidémie de socio-économique sévit jusqu’au sommet de l’État. Écoutons le Surgeon General Jerome Adams, comparable à notre Jérôme Salomon : « j’ai déclaré personnellement que ma tension artérielle est élevée, que j’ai une maladie cardiaque […], que je suis asthmatique et pré-diabétique, de sorte que je porte le legs d’une enfance pauvre et noire en Amérique » (3). En fait d’enfance pauvre, Jerome Adams a été élevé dans une petite ville rurale du Maryland, en pays Amish, par des parents tous deux enseignants. Son frère Richard est un délinquant multirécidiviste : même éducation, résultats inverses, la preuve que le milieu ne fait pas tout. Jerome Adams, il est vrai, n’en est pas à une audace près. Au début de l’épidémie, il déclarait que le masque ne sert à rien. Ce qui rappelle quelque chose au lecteur français, n’est-ce pas ?

Afro-américains comme Jerome Adams, dix chercheurs en médecine de Washington ont eux aussi tenu à arguer de leurs origines. Leur article intitulé « For us, COVID-19 is personal », a été publié dans une revue médicale. C’est en fait un manifeste qui réclame des mesures sociales en faveur des « communities of color »(4). Sous des dehors plus distanciés, une avalanche d’autres articles incriminent les logements trop petits, les métiers mal payés, la malbouffe, etc.

Non seulement ces facteurs ne sont pas des causes directes de la maladie (on n’attrape pas le covid-19 en avalant un hamburger) mais ces articles sont rarement appuyés sur des données solides. Beaucoup utilisent des statistiques établies au niveau des comtés américains, collectivités locales dont la population s’étage d’une centaine à plus de dix millions d’habitants. On parle couramment de « comtés noirs » et de « comtés blancs ». Pourtant, leur population n’est jamais homogène, ni sur le plan ethnique ni sur celui des revenus et autres dimensions sociales. Constater une surmortalité dans les uns ou dans les autres ne permet aucune conclusion fiable : l’analyse doit porter sur les gens réellement malades. À côté de ces textes bâclés, l’étude du Lancet sur la chloroquine considérée comme « foireuse » par le professeur Raoult apparaîtrait presque comme un exemple de rigueur scientifique.

Globalement, il est clair que les Afro-américains risquent davantage que les Américains d’origine caucasienne de succomber au covid-19. Ce n’est d’ailleurs pas très étonnant : on sait depuis longtemps qu’ils sont aussi plus exposés aux maladies respiratoires. Existe-t-il un rapport de causalité ou une simple corrélation ? Une bonne partie des chercheurs américains semblent préférer ne pas en savoir plus.

E.F.

Notes

(1) Quelques chercheurs non américains, retranchés derrière leur vocabulaire scientifique, s’autorisent plus de liberté. Voir par exemple Dimitris Nikoloudis, Dimitrios Kountouras et Asimina Hiona, « The frequency of combined IFITM3 haplotype involving the reference alleles of both rs12252 and rs34481144 is in line with COVID-19 standardized mortality ratio of ethnic groups in England », preprint doi:10.20944/preprints202005.0273.v1

(2) Charles DiMaggio, Michael Klein, Cherisse Berry, Spiros Frangos, « Blacks/African Americans are 5 Times More Likely to Develop COVID-19: Spatial Modeling of New York City ZIP Code-level Testing Results », https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.05.14.20101691v1

(3) Washington Post

(4) Janice Blanchard, Tenagne Haile Mariam, Natasha Powell, Aisha Terry, Malika Fair, Marcee Wilder, Damali Nakitende, Jared Lucas, Griffin Davis, Yolanda Haywood, « For us, COVID-19 is personal », à paraître dans Academic Emergency Medicine, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/acem.14016

(5) Stephen A Mein, « COVID-19 and Health Disparities: the Reality of “the Great Equalizer” », Journal of General Internal Medicine, https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11606-020-05880-5.pdf

Illustration : image par Gerd Altmann de Pixabay 
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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