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Yannick Jaffré (Pour l’honneur des Gilets jaunes) : « La proportion de Français qui tiennent à leur confort finit par anesthésier ces explosions de colère légitimes » [Interview]

Pour l’honneur des Gilets jaunes. Tel est le titre d’un petit (par la taille) ouvrage de Yannick Jaffré (à commander ici pour soutenir l’auto-édition) ainsi présenté :

« Baroud d’honneur ou répétition générale ? Dernier feu français désormais éteint ou tocsin d’un grand ressaisissement ? Impossible, quoi qu’il en soit, de réduire les Gilets jaunes à un épisode critique vite surmonté. Ce serait oublier la violence de sa magnitude. Méprisés autant que craints par leurs ennemis naturels, les Gilets jaunes ont dérouté jusqu’à certains de leurs soutiens patriotes. Ce livre coup de poing rétablit ce soulèvement dans son rang historique. Mesurant la grandeur sociale, politique et nationale de ce mouvement, la nature de ses ennemis – macronisme, « boomerocratie », gauchisme – mais aussi ses propres failles internes, Yannick Jaffré lui rend un hommage philosophique soutenu par un style nerveux »

On ne peut que vous recommander de le lire. Et c’est pourquoi nous avons interrogé son auteur, pour en discuter.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Yannick Jaffré : Breton du côté maternel, j’ai grandi à Nantes, y ai commencé des études de philosophie poursuivies à Strasbourg et Paris. J’ai ensuite enseigné en lycée public à Marseille, Grande-Synthe, puis à Lyon depuis près de vingt ans. Au plan politique, j’ai contrarié mon gauchisme de grande jeunesse et rejoint, avec Chevènement, la gauche patriote à la fin des années 1990. J’y milite jusqu’au référendum de 2005, par intermittences compte tenu des palinodies tactiques de son chef. Je me rapproche ensuite à partir de 2011 du Front National emmené par Marine Le Pen où, plume régulière, je fonde et préside le Collectif Racine des enseignants patriotes. Je m’en éloigne en 2016, compte encore tenu du niveau dirigeant et de mes propres limites « socio-diplomatiques ». Essayiste, polémiste, j’ai publié de nombreux articles philosophico-politiques et, russophone et russophile, deux ouvrages d’intérêt commun entre la France et la Russie, Vladimir Bonaparte Poutine, Essai sur la naissance des républiques, en 2014, et Paris-Moscou, Aller simple contre le féminisme, en 2021. Depuis, je m’efforce encore de faire honneur, en nationaliste, aux lettres françaises.

Breizh-info.com : Tout d’abord, pourquoi avez-vous fait, contrairement à vos anciennes productions, le choix de l’auto édition ?

Yannick Jaffré : Si je vous fais la réponse du cœur : parce que j’en ai marre des éditeurs escrocs, mythos et incompétents ! Pour être plus général et informatif, le pacte éditorial est à mes yeux totalement rompu. Voyant un auteur ne recevoir que dix pour cent sur chacune de ses ventes, le contrat n’a de sens que si l’éditeur s’acquitte de ses obligations en matière de promotion et de distribution. Si je veux bien me montrer indulgent sur la distribution qui réclame des moyens importants et des relais faisant défaut à la « mouvance natio » au sens large, il est en revanche impardonnable qu’un éditeur se soustraie à ses obligations promotionnelles. L’ancien modèle n’est au fond pertinent que pour les auteurs « mainstream » qui vont bénéficier d’un véritable attaché de presse et de réelles capacités de distribution. Si je puis me permettre un élargissement, je crois que les logiques de clochards, sous couvert d’idéalisme militant, consistant à ne pas, ou mal, payer ceux qui travaillent pour la cause, je crois que ces logiques n’ont rien ni d’idéaliste ni de militant. Elles condamnent en outre cette mouvance à ajouter l’inefficacité interne à une relégation « systémique ».

Breizh-info.com : Tout d’abord, rappelez-nous dans quel contexte sont nés les Gilets jaunes…

Yannick Jaffré : Je crois que l’étincelle qui a allumé la mèche, la taxe carbone, doit être envisagée sous un double rapport, matériel et moral. Taxe de trop pour les étroits budgets des Français périphériques, elle a simultanément fait déborder le vase du mépris de classe. Si ce mépris pour le peuple français de souche dope le bloc élitaire depuis quarante ans, le macronisme l’a porté à des taux radioactifs. On se souvient des formules de Macron sur les « couturières analphabètes », les « ouvriers alcooliques », de Benjamin « selfie » Grivaux sur ceux qui « fument des clopes et roulent au diesel » et j’en passe. C’est la France populaire et de souche qui importune et insupporte l’oligarchie techno-progressiste au pouvoir. A quoi il faut ajouter la diffusion du fameux « esprit canal » – fait de mépris de classe, de francophobie, de promotion des minorités et de suffisance sarcastique – la diffusion de cet esprit dans de larges pans de la classe moyenne et dans la population encore trop nombreuse des boomers. Sans cette base sociale et générationnelle, le piège mitterrandien criminalisant toute opposition nationale-populaire ne serait sans doute plus opératoire. C’est intuitivement contre lui que les Gilets jaunes ont brandi leur poing de Gaulois réfractaires.

Breizh-info.com : Aviez-vous senti venir, au départ, l’importance potentielle de ce mouvement ? Personnellement…pas du tout.

Yannick Jaffré : Moi non plus. J’ai littéralement été sidéré le 26 novembre 2018, Acte II, par la force de cette révolte et je l’ai embrassée avec ferveur, participant à tous les Actes à partir du III jusqu’en février. J’ai voulu y revenir quatre ans après parce qu’il m’a semblé que la myopie du présent, alimentée par les flux d’information continue, avait repoussé ce soulèvement dans un certain oubli. Or je le tiens pour un événement de portée historique qui a replacé la France du temps long sur la scène politique. C’est cette magnitude historico-nationale que je me suis efforcé de restituer. France du temps long… je veux dire que les Gilets jaunes des deux premiers mois, les Gilets « AOC », ont exprimé des vertus et des limites profondément françaises. Ces Gaulois réfractaires et rigolards autant que capables de courage physique étaient des « anarcho-légitimistes » – égalitaires en bas, interpellant en haut le monarque républicain. C’est pourquoi ils ont visé la tête de l’État, à claques en la personne méprisante et méprisable d’Emmanuel Macron. C’est pourquoi aussi, et dans le même esprit, ils ont envoyé valdinguer tous les corps intermédiaires – syndicats, élus, médias aussi, ce qui fut une originalité majeure du mouvement. Et puisque vous m’interrogez sur mes motivations, je ne prends dans ce livre aucune posture d’analyste désengagé : j’ai épousé cette insurrection de Gaulois réfractaires de tout mon cœur de Français patriote. J’en propose, autrement dit, une lecture nationaliste, anti-gauchiste autant qu’anti-macroniste.

Breizh-info.com : Quelles étaient les revendications initiales, et comment ce mouvement a-t-il été petit à petit totalement pourri de l’intérieur ?

Yannick Jaffré : Le détonateur a été socio-économique, comme on l’a rappelé en commençant mais, et c’est la singularité de cette Jacquerie, elle a vite pris un volume politique à travers deux motifs : l’un révolutionnaire, la volonté d’« aller chercher » Macron et de lui « couper la tête », l’autre constitutionnel avec la revendication du « Référendum d’Initiative Citoyenne » (RIC). Sans médiation, les Gilets jaunes ont porté une colère qui, selon un réflexe profondément français, a traduit le social en politique. Et j’ajoute que le mouvement présentait une nette dimension identitaire, avec ses Marseillaises et drapeaux tricolores, que le système a parfaitement identifiée.

Avant d’être en effet pourri de l’intérieur par les inévitables gauchistes et antifa dont c’est la mission sur terre de corrompre toutes les mobilisations populaires qu’ils touchent, le mouvement a d’abord subi une agression policière, judiciaire et médiatique d’une violence inouïe. Sous les coups, d’Actes en Actes le nombre des Gilets jaunes AOC diminuait tandis que celui des gauchistes augmentait. Mais pour faire l’auto-critique du mouvement originel, le côté coupeur de tête, ultra-égalitaire à la base, fut sans doute un facteur de son épuisement rapide. Et je crois aussi que la bonhommie universaliste des Français les rend poreux à l’intimidation par le racisme et l’antisémitisme. Il faut se souvenir que cette intimidation a été exercée contre eux pour mesurer la dangerosité des Gilets jaunes aux yeux du système. Or, puisqu’ils prétendaient ramasser le tronçon historique du glaive français, ils auraient peut-être dû mieux savoir que le social ne suffit pas à constituer une identité politique puissante. Ils auraient peut-être dû, autrement dire, brandir encore plus vigoureusement cette carte d’identité nationale…

Breizh-info.com : Pensez-vous que les autorités, notamment suite aux deux premières manifestations nationales, aient réellement senti que le pouvoir pouvait vaciller ? Qu’a-t-il manqué selon vous pour cela ?

Yannick Jaffré : Il faut se rappeler du visage de Macron au soir du 10 décembre 2018 pour se convaincre de la peur qui a saisi le pouvoir en général et la présidence en particulier. Macron, blême, presque vert de peur, supprime la mesure sur la taxe carbone et cède 10 milliards aux revendications sociales des Gilets. La violence inouïe de la répression que j’évoquais est un autre signe de cette grande peur. Depuis la répression des mineurs par Jules Moch en 1947/48, l’État avait assigné aux CRS une pratique non létale du maintien de l’ordre, pratique plus généralement économe en blessures. Or contre les Gilets jaunes, il leur a été ordonné de pratiquer l’offensive avec les Lanceurs de Balles de Défense (LBD) dont même le GendXXI, association nationale des militaires de gendarmerie, a pointé l’utilisation « un peu déviante, comme une arme d’attaque et non de défense ». Cette répression a fait 700 blessés graves, dont 250 à la tête, 25 éborgnés et 5 mains arrachées. Sachant tout cela, la masse des comparutions immédiates et des lourdes peines qui s’est abattue sur les Gilets jaunes conserve cependant quelque chose de vertigineux : 11000 gardes à vue, 3100 condamnations, 400 avec mandat de dépôt. Surtout quand on compare cette extrême sévérité des juges à la mansuétude dont jouissent de leur part les racailles de banlieues et les « antifas » (pour certains fils de magistrats et, pour la plupart, de bourgeois bien installés). Au bilan, c’est le parallèle avec les émeutes ethno-religieuses de 2005 qui offre le plus saisissant contraste. Les émeutiers avaient alors bénéficié de la doctrine post-Jules Moch augmentée de la jurisprudence Malik Oussékine, sacralisant, outre leur vie, jusqu’au moindre cheveu des « divers ». Tétanisant les gouvernements depuis trente ans, cette jurisprudence a permis aux ethno-émeutiers de 2005 de faire leur loi pendant trois semaines, sans avoir aucun blessé dans leurs rangs, eux. On voit de qui l’Etat se défend en priorité, quel ennemi il désigne : les populaires blancs productifs.

Breizh-info.com : Peut-on dire que la réaction de l’Etat face aux Gilets jaunes, et les tentatives faites avec des idiots utiles (souvent d’extrême gauche) pour avorter le mouvement, marque le début d’une période tyrannique en France (avec dans la foulée, la tyrannie sanitaire, et aujourd’hui on le voit avec « la menace d’ultra droite », une tyrannie politique et médiatique) ?

Yannick Jaffré : Si je ne manie qu’avec précaution les notions de tyrannie ou de totalitarisme, même en y accolant l’adjectif « soft » ou doux », il est évident que le macronisme présente à ce sujet quelque chose de nouveau. Il ajoute à la police de la pensée régnant dans notre pays depuis quarante une sorte de techno-progressisme couplé à la bonne vieille coercition policière et judiciaire. C’est l’avènement prophétisé par Michel Foucault des sociétés de contrôle horizontales, mais qui conservent une violence d’État « traditionnelle ». Le macronisme conjugue ainsi le QR code, les coups de matraque potentiels ou actuels, les persécutions judiciaires. Et on doit relever la façon dont il passe en force, parfois à la limite de la légalité, de façon extrêmement perverse, doucereuse et violente, brandissant la menace et flattant le désir de confort. La crise Covid a en effet offert une expérience globale conjuguant l’anesthésie et l’intimidation, le « lexomil » et la menace. Il y eut le libéralisme libertaire, il y a désormais un libéralisme liberticide. Au passage, les boomers auront été l’agent des deux.

Breizh-info.com : Quelles ont été les principales erreurs des Gilets jaunes de la base ? Finalement, une de ces erreurs n’a-t-elle pas été de demander tout (ou trop) de l’Etat (revendications sociales notamment), qui en conséquence, a étranglé encore plus la population entre ses griffes ?

Yannick Jaffré : Je ne crois pas que l’étatisme soit en cause. La nation française s’est construite autour de son État, pas seulement bien sûr, mais fondamentalement, qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, pour le meilleur et pour le pire. Je vous donne raison toutefois sur un point : la dialectique entre peuple, ou nation, et État est toujours risquée, l’État pouvant se retourner, moyennant un soutien suffisant de la population générale, contre le peuple légitime. Et on penche aujourd’hui vers le pire de l’étatisme. Cependant, je crois plutôt que la radicalité du mouvement, qui a fait sa force, lui a aussi fermé tout prolongement institutionnel. « Jivaros », « acéphales », les Gilets jaunes, recrus des trahisons de la représentation syndicale, politique, médiatique, ont coupé à la base toutes les têtes qui dépassaient. C’était leur force motrice mais, sauf prise de l’Élysée, elle ne pouvait durer sans un relais bourgeois ou, disons, élitaire. Les responsabilités sont ici partagées entre les Gilets jaunes coupeurs de têtes et des élites patriotes terriblement médiocres. On aurait pu imaginer des orateurs venant des corps constitués et des partis qui, habiles et résolus, auraient pris la parole pour les Gilets jaune sans parler à leur place. Sourdement, ils auraient métabolisé le mouvement dans le « pays légal ». Quoi qu’il en fut et en sera, cet attelage de force populaire et de capacité élitaire est la formule de toutes les révolutions véritables. Si les Gilets jaunes radicaux ne l’ont pas voulu, il reste que les élites correspondantes étaient introuvables.

Breizh-info.com : en Bretagne, il y a eu les Bonnets rouges avant les Gilets jaunes. Comment expliquez-vous que ces manifestations, ces expressions de rage répétées, avortent…Peut-on penser que la situation actuelle explosive, économiquement et socialement, mais aussi culturellement ou identitairement, aboutisse à un grand soulèvement bien plus large ?

Yannick Jaffré : Je crains que la proportion de Français qui tiennent à leur confort finit par anesthésier, à plus ou moins court terme, ces explosions de colère légitimes parmi lesquelles, on l’aura compris, je ne range ni les émeutes de banlieues ni les destructions antifas. Je ne sais qu’une chose : à facteurs constants, le nationalisme populaire a perdu. Il faudra un événement historique, branché sur le temps long français, pour renverser la table oligarchique, libérale liberticide, mondialiste. Une jonction élitaire-populaire au service d’une telle révolution est-elle envisageable dans un avenir proche ? C’est la plus terrible des questions parce qu’elle engage le destin de la France éternelle, peu à peu défaite par la France actuelle. A l’évidence, les derniers scrutins dessinent une carte politique défavorable à une résurrection nationale. En outre, et c’est une des faiblesses propres aux Gilets jaunes, et aux Français en général, nous pâtissons, disais-je, d’une bonhomie universaliste qui émousse nos défenses identitaires, nous pâtissons, autrement dit, des conséquences politiques de l’antiracisme. Or je répète qu’une nation n’est pas seulement un fait social, c’est aussi et surtout une identité forgée sur plusieurs siècles. C’est cet acteur-là qui peut seul changer la donne, ni des mouvements catégoriels ni des soulèvements uniquement sociaux. Cependant le pire n’est jamais sûr. L’histoire tranchera.

Propos recueillis par YV

Photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Yannick Jaffré (Pour l’honneur des Gilets jaunes) : « La proportion de Français qui tiennent à leur confort finit par anesthésier ces explosions de colère légitimes » [Interview]”

  1. Hervé Brétuny dit :

    Petit bout de la lorgnette de ma part. Il ne se considère breton seulement car sa mère est ‘ bretonne (de Vitré peut-être lol ou de la roche Bernard…) Donc il a passé son enfance à Nantes mais ça suffit pas……

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