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Entretien avec Rainaldo Graziani : Discussion sur l’avenir de l’Europe

L’Europe d’aujourd’hui doit-elle choisir entre deux concepts : celui de Julius Evola et celui d’Ivan Ilyin ? Rainaldo Graziani, promoteur de la pensée radicale en Italie, a créé Orientamenti e Ricerca dans les années 80 et 90 et est le fondateur de Meridiano Zero, une organisation de jeunesse romaine. Depuis six ans, il promeut les idées d’Alexandre Douguine et a récemment cofondé l’association MultipolArt. Se décrivant comme un « cartographe », il explore de nouvelles routes existentielles pour naviguer dans la postmodernité, tout en étant fortement influencé par Evola et Jung. Graziani poursuit son cheminement doctrinal avec la philosophie de Douguine.

Dans cet entretien, nos confrères du journal serbe Eagleeyeexplore ont abordé divers sujets avec Rainaldo Graziani, en nous concentrant sur la complémentarité des courants de pensée traditionalistes dans un monde moderne. Ils ont exploré les défis politiques et spirituels de notre société, les enjeux d’un ordre technocratique, le rôle de l’élite spirituelle et le concept de Sujet Radical. Mais aussi examiné la relation entre l’Europe et le mouvement eurasien, ainsi que le rôle des jeunes en quête de sens dans un monde en crise idéologique et spirituelle.

Nous avons traduit cet entretien pour vous.

Cher Monsieur Graziani, dans une récente interview, vous avez évoqué Julius Evola et son rapport à la modernité, ce qui m’a amené à penser que nous devrions commencer cette interview par lui. D’un côté, nous avons le concept d’Evola « Riding the Tiger », qui rejette la lutte contre les forces de la modernité ; de l’autre, nous trouvons le concept d’Ivan Ilyin, qui parle de s’opposer activement au mal pour préserver l’ordre social et l’intégrité morale de la société. Sur quelles pensées l’Europe d’aujourd’hui devrait-elle s’appuyer davantage ? Est-il actuellement plus nécessaire de « fuir dans la forêt » ou d’assumer un devoir moral en s’opposant au mal ?

Rainaldo Graziani : À mon avis, ces deux perspectives ne sont pas opposées ; je les qualifierais plutôt de complémentaires. Le livre d’Evola, Riding the Tiger, ainsi que le Traité du rebelle de Jünger , servent de guides à ceux qui vivent dans un monde auquel ils n’appartiennent pas et qui refusent de se laisser vaincre par lui. La pratique politique qui permet la complémentarité de ces points de vue se fonde sur le sens spirituel de la guerre et n’empêche pas l’alternance de la pensée et de l’action, que ce soit dans le cadre de l’arrière-plan culturel et politique ou dans celui de l’avant-garde culturelle et politique.

Même dans les disciplines militaires, l’avant-garde n’existe pas sans arrière-plan et vice-versa. Pour Evola et Jünger, l’époque moderne présente les mêmes caractéristiques qu’une époque en voie de désintégration : flux migratoires incontrôlés ou criminellement planifiés, modèles sociaux en conflit avec eux-mêmes, idolâtrie de la technique et de l’argent, faux mythes, insécurité et perte de l’individu. Tel est le contexte dans lequel l’homme vit aujourd’hui. Voilà le tigre.

Dans le même ordre d’idées que la question précédente, pensez-vous que le monde moderne est à l’apogée de la technocratie, qui se manifeste de plus en plus sous la forme d’une intelligence artificielle qui détruit presque tout le potentiel et la créativité de l’homme ?

Rainaldo Graziani : L’« ordre technocratique » bat toujours son plein. La mise en œuvre de ses projets, initiés en Europe au début des années 1990, n’est pas encore achevée. Le totalitarisme technocratique n’est pas encore réalisé. Je voudrais donner un exemple de cette transition. Imaginez la période médiévale. Supprimez le mot « Dieu » de cette période : le Moyen Âge n’existe plus, il n’est plus concevable. Au Moyen Âge, l’art est sacré et la guerre est menée au nom de Dieu. Sans le concept de « Dieu », le Moyen Âge n’existe pas. À l’époque moderne, Dieu est devenu l’argent, et c’est lui qui prévaut. Aujourd’hui, dans cette phase de transition de la modernité à la postmodernité, si vous enlevez le mot « argent », le monde ne perd pas son sens car, dans la postmodernité, la technologie est la clé logique pour comprendre le monde.

Le Kali Yuga est souvent décrit comme un âge de chaos, de matérialisme et de décadence spirituelle. À votre avis, quels sont les signes les plus marquants du Kali Yuga dans le monde d’aujourd’hui et comment les individus peuvent-ils cultiver leur force intérieure et leur sagesse pour traverser avec succès ces années sombres ?

Rainaldo Graziani : L’identité cyborg, la séparation de la dimension métaphysique, l’inversion de toutes les valeurs traditionnelles. Notre réponse est double. Au niveau collectif, la réponse est : être une communauté. Au niveau individuel, la réponse est : incarner le Sujet Radical. UN HOMME DE TRADITION SANS TRADITION. Dans ce concept, on reconnaît ce « réalisme héroïque » qui permet de dépasser le nihilisme.

Vous collaborez avec Alexandre Douguine depuis longtemps, de sorte que la question du conflit contre l’hégémonie occidentale est presque inévitable. Récemment, on a de plus en plus parlé d’un conflit entre la domination occidentale et l’idée d’un monde où les différentes civilisations auraient leurs propres espaces de fonctionnement et d’influence. Comment voyez-vous cette confrontation mondiale et comment pensez-vous que le concept de coopération eurasienne pourrait influencer l’avenir de l’Europe et du monde dans son ensemble ?

Rainaldo Graziani : Le conflit actuel, comme l’ont brillamment décrit Darya Dugin et le professeur Dugin, a deux acteurs principaux : L’homme et le néant. Ce conflit métaphysique est non seulement réel mais aussi palpable. De cette opposition fondamentale naît la dichotomie entre une vision unipolaire du monde (hégémonie américaine sur la planète) et une vision multipolaire. Les États et leurs frontières ont perdu toute signification. De vastes espaces de civilisations émergent et se dessinent, prenant de plus en plus la connotation d’empires.

Lorsque nous parlons de la véritable Europe, qui a été sous l’influence des États-Unis pendant de nombreuses années, comment voyez-vous sa position dans le contexte du mouvement eurasien ? De quelle manière l’Europe peut-elle se libérer de cette influence et redécouvrir son rôle authentique dans un monde qui aspire à la multipolarité ?

Rainaldo Graziani : De nouveaux sujets politiques anti-technocratiques doivent émerger. Le mouvement eurasien est une synthèse de ces mouvements macro-régionaux. L’Europe sera libre dès que nous nous serons débarrassés des élites financières. Et dans ce domaine, la guerre est ouverte. La fondation des BRICS, ses fondateurs tentent de consolider ce projet par des principes doctrinaux et philosophiques. La Chine s’appuie sur la philosophie confucéenne, l’Inde sur les anciens Védas et la Russie sur l’économie aristotélicienne.

L’idée de coopération eurasienne étant souvent liée à l’avenir de l’Europe et du monde, quelle est, selon vous, la place de l’Italie dans ce concept ? Quel rôle l’Italie pourrait-elle jouer dans la construction d’un monde multipolaire dans le cadre de l’Eurasie ?

Rainaldo Graziani : Cette question est tout aussi importante que les autres, mais elle a une réponse pleine de beauté. L’une de nos « étoiles polaires », Dragoš Kalajić, a dit que lorsqu’il était en Russie, il se sentait italien, et lorsqu’il était en Italie, il se sentait russe. Seul un grand Serbe, avec l’idée de la Grande Serbie qui coule véritablement dans ses veines, pouvait créer cette merveilleuse synthèse. C’est dans ces mots, notre modèle pour tous les peuples européens, que se trouve la réponse.

Il convient d’évoquer brièvement l’art. Certains auteurs pensent qu’il existe une sorte d’anti-dialectique (par rapport à la conception de l’art de Hegel) dans la progression historique de l’art contemporain, et que nous assistons à une dégénérescence accélérée, depuis l’impressionnisme, où les sentiments intérieurs de l’artiste sont mis en évidence, jusqu’à l’étape actuelle où l’art conceptuel a prévalu, ressemblant à une forme de rituel, sans œuvre d’art objectivée, juste un espace de galerie vide avec l’artiste dans le rôle d’un acteur. Quel est, selon vous, le sens de l’art d’aujourd’hui et quel est le rôle de l’artiste au XXIe siècle ?

Rainaldo Graziani : Je ne suis pas suffisamment qualifié pour parler de l’art. Mon opinion est que l’art est une arme puissante. L’art est un langage universel qui fait tomber les barrières linguistiques. Dans le mouvement eurasien, nous avons de nombreux artistes multipolaires dans diverses disciplines. L’un d’entre eux, surtout, répond parfaitement à la deuxième partie de cette question. Il s’agit d’Alexei Gvintovt.

Quelle est la place de la philosophie traditionaliste (pérenne) dans l’Europe d’aujourd’hui ? Quels sont les principaux défis auxquels elle est confrontée, quels sont ses objectifs, et pensez-vous que la mise en réseau de tous les traditionalistes en Europe est cruciale pour la survie du continent lui-même ? Pensez-vous que ces mouvements ont le potentiel de façonner l’avenir de l’Europe, voire du monde, et quelles stratégies devraient-ils adopter pour rester pertinents ?

Rainaldo Graziani : Aujourd’hui, à mon avis, la philosophie traditionaliste se trouve à un carrefour stratégique pour la pensée et l’action de « l’homme différencié ». Immanence ou transcendance ? La question n’est pas simple. Cette question pose le positionnement final (ou non) dans le monde postmoderne, compris comme une sorte de cycle dans lequel nous entrons.

Le temps est venu pour nous, traditionalistes, d’intérioriser la Tradition au point de pouvoir lui rester fidèle, même en son absence, même lorsqu’il n’y a plus de trace dans le monde extérieur, ni d’empreinte lointaine. Que se passe-t-il lorsque le postmodernisme détruit l’époque moderne dans laquelle la Tradition était présente, même si elle n’était pas essentielle et centrale ? C’est là qu’intervient la doctrine du sujet radical!

Le traditionalisme met souvent l’accent sur le rôle de l’élite spirituelle ou intellectuelle. Qu’en pensez-vous, quel rôle une telle élite devrait-elle avoir dans la société moderne ? Pensez-vous qu’elle ait une chance d’influencer la culture contemporaine, et quelle est la position de l’élite spirituelle et intellectuelle italienne ?

Rainaldo Graziani : La réponse se trouve dans les travaux de Darya Dugina. Elle n’était pas seulement une philosophe, mais aussi une militante. Son idée du traditionalisme est étroitement liée à l’action politique – une activité militante quotidienne où les dimensions politiques et spirituelles sont ancrées dans la pratique politique. En Italie, la discussion sur la tradition et la postmodernité est très répandue. Il s’agit d’un débat en constante évolution, avec de nombreuses interprétations différentes ou contradictoires. Je pense que de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, il est très important de suivre ces ateliers culturels italiens sur le thème de la tradition.

De nombreux jeunes se sentent aujourd’hui perdus et désorientés, et beaucoup sont attirés par des idéologies radicales, qu’elles soient de gauche ou de droite. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui cherchent un but ou un sens plus profond dans le paysage idéologique actuel ?

Rainaldo Graziani : Les avant-gardes et les arrière-gardes ne doivent pas perdre leur lien les unes avec les autres. Elles doivent se considérer comme complémentaires et agir selon leur nature, mais toujours en fonction l’une de l’autre, et non l’une contre l’autre. Il ne peut y avoir d’exploration sans témoignage concret.

Pour finir, quel message donneriez-vous aux mouvements conservateurs en Serbie ? Quel serait votre conseil ou votre message ?

Rainaldo Graziani : La destination est le voyage. Un Serbe doit voyager dans d’autres pays et activer sa curiosité. Personne au monde ne peut changer un Serbe ; ses racines sont comme celles du frêne. Un Serbe est le meilleur et le plus fort lien entre les différents peuples. Un Serbe ressemble au double dieu Janus…

Photo  d’illustration : DR
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2 réponses à “Entretien avec Rainaldo Graziani : Discussion sur l’avenir de l’Europe”

  1. Latorre Michel dit :

    Venant du GRECE puis de « composantes » comme Terre & Peuple, Réfléchir & Agir, Institut Iliade, je ne peux qu’abonder dans ce riche entretien !

  2. JLP dit :

    Le traducteur ne sait donc pas qu’Evola était italien et non anglais, qu’il n’a donc pas écrit Riding the Tiger mais ‘Cavalcare la tigre’, traduit en France chez Tredaniel sous le titre ‘Chevaucher le tigre’ ? Quant au reste, beaucoup de généreuses banalités… comme les aiment les eurasistes !

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