Sébastien Meuwissen : « Depuis l’arrivée de Donald Tusk, les fondements de la démocratie en Pologne ont été sapés »

Sébastien Meuwissen est diplômé en journalisme et communications sociales de l’IHECS (Bruxelles) et chercheur invité au Center for Fundamental Rights, basé à Budapest. Meuwissen possède une vaste expérience politique, ayant notamment travaillé au Parlement européen, à la Diète polonaise, à la Chancellerie du Premier ministre de la République de Pologne et à l’Institut de culture juridique Ordo Iuris.

Notre confrère Álvaro Peñas l’a interviewé, traduction par nos soins.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk il y a près d’un an, de nombreux scandales et allégations d’abus de pouvoir ont éclaté. Que se passe-t-il ?

 Sébastien Meuwissen : Depuis l’arrivée du gouvernement libéral dirigé par Donald Tusk, les fondements de ce qui constitue une démocratie fonctionnant correctement, c’est-à-dire un pays qui respecte l’État de droit, ont été sapés à plusieurs niveaux. Je me concentrerai sur trois domaines principaux : la prise de contrôle des médias publics par la force, la persécution des opposants politiques et, enfin, la destruction de facto du système judiciaire afin de le placer entre les mains du gouvernement.

En ce qui concerne les médias publics, une attaque est orchestrée avec l’accord du Sejm le 19 décembre 2023. Le ministre de la culture, le colonel Bartłomiej Sienkiewicz, a démis de leurs fonctions les présidents des conseils d’administration des médias publics : la télévision (TVP S.A.), la radio (Polskie Radio S.A.) et l’agence de presse polonaise (PAP). Il a également révoqué les membres du conseil d’administration de chacun de ces médias afin de nommer de nouveaux directeurs, en violation de la loi. En avril 2024, la TVP est officiellement mise en liquidation, bien qu’elle ait continué à produire des programmes, à diffuser et même à essayer de se développer. Il semble que cette décision ne visait qu’à atteindre des objectifs politiques et à reconstruire la chaîne avec des personnes « loyales ». Tous ces changements ont été effectués sans l’approbation du Conseil national des médias, l’organe qui aurait dû les autoriser, et avec la condamnation de la Cour constitutionnelle, qui les a déclarés illégaux. En substance, ils ont transformé les médias publics en un canal de propagande pour le gouvernement Tusk, et la chose la plus choquante est que cela a été fait de manière violente, avec l’utilisation de la police et de la sécurité privée.

Selon Filip Styczyński, l’ancien directeur de TVP World, la fermeture de la chaîne était plus typique d’un régime comme celui de Loukachenko ou de Poutine. Pourquoi pensez-vous que le gouvernement est allé aussi loin ?

 Sébastien Meuwissen : Ils sont les seuls à connaître la réponse. Mais je tiens à souligner que ce phénomène peut également être observé ailleurs. En Hongrie, par exemple, certaines forces libérales ont proposé des plans visant à contourner les lois existantes, notamment en remplaçant les lois qui requièrent une supermajorité par une majorité simple et en justifiant cette approche par le fait que les lois ont été adoptées à l’origine par une autorité « antidémocratique ». En Espagne également, on parle d’initiatives antidémocratiques similaires de la part de la gauche. Pour en revenir à la Pologne, lorsqu’on lui a demandé s’il dépassait les bornes et faisait quelque chose d’illégal, le ministre de l’intérieur a répondu : « Nous chercherons une justification légale plus tard. » Cette phrase explique parfaitement la mentalité du gouvernement Tusk.

C’est une véritable déclaration d’intention.

 Sébastien Meuwissen : Bien entendu, après avoir été nommé premier ministre, M. Tusk a déclaré : « Tout sera fait conformément à la loi telle que nous la comprenons. » Cette phrase explique également comment il justifie la persécution de ses opposants politiques qui appartenaient au gouvernement précédent et qui ont été arrêtés dans de nombreux cas de manière spectaculaire. Permettez-moi de vous donner quelques exemples : l’arrestation de Mariusz Kamiński et de Maciej Wąsik, députés du parti Droit et Justice, qui ont été arrêtés bien qu’ils aient bénéficié d’une grâce présidentielle ; la perquisition policière de 24 heures au domicile de l’ancien ministre de la justice Zbigniew Ziobro, alors qu’il était hospitalisé pour lutter contre un cancer ; et l’arrestation de l’ancien vice-ministre de la justice Marcin Romanowski, qui bénéficiait de l’immunité en tant que membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).

Et il ne s’agit pas seulement d’hommes politiques. Le cas le plus inquiétant est celui d’un prêtre catholique, le père Michał Olszewski, qui a passé six mois en détention provisoire avec deux de ses collègues, Urszula et Karolina. Elles ont été soumises à des mauvais traitements proches de la torture et ont indiqué qu’elles étaient surveillées en permanence, de sorte que les femmes devaient aller aux toilettes en présence de gardes masculins ! Le père Olszewski s’est vu refuser l’accès à son avocat, il a été privé de nourriture et de toilettes pendant plusieurs heures, il a été réveillé au milieu de la nuit, etc.

Le gouvernement Tusk a également supprimé le financement de l’État pour le droit et la justice. Que pouvez-vous me dire à ce sujet ?

 Sébastien Meuwissen : Comme dans de nombreux pays européens, les partis politiques reçoivent une certaine somme d’argent de l’État. Pour autant que je sache, la décision est toujours en suspens et les juges qui doivent prendre la décision finale reportent l’affaire. Donc, de facto, Law and Justice ne reçoit pas ce financement de l’État. Nous parlons du plus grand parti de Pologne, et c’est un autre exemple de la situation actuelle.

Qu’en est-il du pouvoir judiciaire ? Que fait Tusk pour le contrôler ?

 Sébastien Meuwissen : L’indépendance des juges est menacée. En décembre 2023, le nouveau ministre de la justice, Adam Bodnar, a annoncé son intention d’introduire un « test d’indépendance » destiné à évaluer l’impartialité de plus de 2 500 juges nommés par le gouvernement précédent. Ces juges devraient faire une déclaration officielle admettant qu’ils se sont égarés en acceptant leur nomination, ce qui est insensé. La Commission de Venise, qui était très critique à l’égard du gouvernement précédent, a émis un avis indiquant que l’évaluation du travail des juges devrait se faire sur une base individuelle et que toute évaluation devrait être effectuée par une institution indépendante de la branche exécutive du gouvernement.

Le gouvernement Tusk conteste également le statut des juges nommés après 2017, et plusieurs présidents et vice-présidents de tribunaux ont été démis de leurs fonctions en raison de leurs opinions politiques. Le Sejm a décidé que toutes les décisions parlementaires prises entre 2018 et 2022 concernant l’élection des membres du Conseil national de la magistrature sont invalides et que ces juges doivent immédiatement cesser leurs activités. Là encore, la Commission de Venise a déclaré que ces licenciements collectifs étaient illégaux.

Une autre affaire très médiatisée est celle du procureur.

 Sébastien Meuwissen : Oui, en janvier, Adam Bodnar a déclaré au procureur national que la manière dont il avait été nommé ne respectait pas la loi et était donc invalide. Bodnar l’a renvoyé, contournant le président Duda, dont l’approbation est requise pour la nomination et la révocation du procureur national. En septembre, la Cour suprême a statué que la révocation était illégale et que le procureur national, Dariusz Barski, devait reprendre son poste. Il s’agit là d’un nouvel exemple du contournement permanent de la loi par le gouvernement Tusk.

Et que dit Bruxelles ?

 Sébastien Meuwissen : L’ancien premier ministre polonais Leszek Miller, lui-même ancien député européen de gauche, a admis à la télévision que la seule soi-disant étape requise par la Commission européenne pour débloquer les 137 milliards d’euros gelés pour la Pologne était un changement de gouvernement. Ce n’est même pas tabou ; c’est comme lorsque Tusk dit qu’il va enfreindre la loi – ce n’est pas une théorie du complot parce que Tusk est un livre ouvert. Les fonds européens ont été gelés parce que le gouvernement polonais ne plaisait pas à l’UE. Bien que M. Tusk n’ait pas mis en œuvre une seule réforme liée à l’activation de l’article 7, ils ont été dégelés quelques mois après l’arrivée au pouvoir de la coalition libérale.

Existe-t-il une issue ?

 Sébastien Meuwissen : Oui, bien sûr. Il y a de l’espoir et il est temps de réagir. Tout d’abord, la victoire de Trump est une très bonne nouvelle car, jusqu’à présent, l’ambassadeur des États-Unis en Pologne se comportait comme un activiste des forces de gauche et défendait les actions de Tusk comme un moyen de « restaurer la démocratie. » On peut s’attendre à ce qu’un ambassadeur envoyé par l’administration Trump soit plus réservé. Deuxièmement, il y a l’élection présidentielle. Si la droite l’emporte, il pourrait y avoir un effet domino conduisant à des élections anticipées et éventuellement à un changement de majorité. Sinon, comme le reconnaissent les libéraux de Tusk, ils casseront le système.

Qu’avez-vous pensé de l’élection de Karol Nawrocki en tant que candidat de Droit et Justice ?

 Sébastien Meuwissen : Karol Nawrocki était un choix prévisible. Jusqu’à récemment, il était généralement inconnu du grand public, mais il a le grand avantage de n’avoir jamais été membre d’un parti politique. Avec lui comme candidat, Jarosłąw Kaczyński espère recueillir le soutien d’autres forces de centre-droit et de droite (en particulier la Confédération, en pleine expansion) qui seraient réticentes à voter pour un candidat du PiS au second tour. Dire que les enjeux de cette élection sont élevés serait un euphémisme. Nous pouvons nous attendre à une campagne brutale.

Illustration : DR
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3 réponses à “Sébastien Meuwissen : « Depuis l’arrivée de Donald Tusk, les fondements de la démocratie en Pologne ont été sapés »”

  1. Georges S dit :

    Tusk dont le pere a servi dans l’armee allemande pendant la derniere, n’est fondamentalement pas polonais, il est d’origine allemande et sert les interets de l’Allemagne. Il a ete elu de la meme maniere que micron, grace aux fraudes electorales.

  2. Gaï de Ropraz dit :

    Cet article concernant Tusk et la Pologne ne m’inspire pas outre mesure.
    Mais ce que dis l’Ami Georges S. est fondamentalement vrai.

  3. VORONINE dit :

    @GEORGE S
    Connaissant assez bien le problème de la « minorité ! » allemande de POLOGNE, ces genslà n’ont rien de polonais , depuis des siècles ils vivent dans ce pays , mais se considèrent toujours comme allemands et parlent allemand. le père de TUSK était Feldwebel dans la Wehrmacht il a tardivement changé son fusil d’épaule pour rejoindre la résistance polonaise il est plus proche de VDL et SCHOLTZ, dont les grands pères étaient généraux dans la SS .Je me demande pourquoi et comment les polonais ont pu voter pour ce type !

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