Le fiel permanent déversé par la presse française via l’AFP sur le chanteur croate Marko Perković dit Thompson semble sans effet sur la population croate. Le 5 juillet 2025, l’artiste se produira devant plus d’un demi million de spectateurs payants, un record dans toute l’histoire de la musique.
Le concert, unique, s’annonce déjà historique lorsque l’on connait l’ambiance qui règne habituellement dans ces derniers.
Pour mieux comprendre la haine manifeste que portent les journalistes de gauche française (et ceux qui relaient les informations de l’AFP sans vérifier..comme Europe 1) à ce chanteur, ici accusé de saluts nazis, de saluts fascistes, de défense du régime oustachi croate, etc etc (la bête immonde, on connait en France !), nous avons interrogé un spécialiste de la question croate : Christophe Dolbeau.
Christophe Dolbeau est écrivain. Il a publié des articles traitant d’histoire et de littérature dans les journaux croates Slobodna Dalmacija, Hrvatski list et Hrvatsko slovo. Il a collaboré à des journaux croates de l’émigration comme Studia croatica (Argentine), Hrvatska gruda, Nezavisna Država Hrvatska et Hrvatsko pravo. Il est l’auteur de plusieurs livres essentiels sur la Croatie, les Croates et les relations culturelles et diplomatiques entre la France et la Croatie.
Dans cette interview, il remet les choses à leur place. Za dom spremni !
Breizh-info.com : Comment décririez-vous l’évolution des forces armées croates depuis leur création pendant la guerre d’indépendance jusqu’à aujourd’hui ?
Christophe Dolbeau : En 1991, l’armée croate s’est constituée dans l’urgence et l’improvisation. Formée grâce à des milliers de volontaires de tous âges et encadrée par d’anciens membres croates de l’armée yougoslave, de la Défense territoriale ou de la Légion étrangère, cette force s’est vite illustrée par son audace, son astuce et sa ténacité. Ne disposant au début que d’un matériel de fortune (souvent de simples fusils de chasse), elle a peu à peu acquis (malgré l’embargo) ou récupéré (dans les casernes yougoslaves) un armement plus efficace, marqué des points, et finalement libéré le territoire national. En 1995, à l’issue de la « Guerre patriotique », les effectifs s’élevaient à près de 300 000 hommes et femmes, ce qui était considérable pour un pays d’à peine 3,9 millions d’habitants. Ayant incontestablement prouvé sa valeur, cette armée restait néanmoins très « artisanale », plus ou moins bien organisée et dotée d’un équipement à la fois ancien et moyennement performant [fusils Steyr-Mannlicher et G3 Heckler & Koch, lance-roquettes Armbrust, obusiers argentins, quelques navires yougoslaves, des chars soviétiques T-55 et T-72 (ou en version yougoslave M-84), quelques avions MIG 21 et hélicoptères russes MI 24].
Aujourd’hui, la situation est tout autre : les forces armées de la République de Croatie (OSRH) sont une force de taille désormais beaucoup plus modeste (14 000 soldats et 17 500 réservistes), mais moderne, bien équipée et bien organisée. Membre de l’OTAN depuis 2009, cette armée a d’ores et déjà pris part à de nombreuses opérations dans le cadre de l’ONU (Sierra Leone), de l’EUFOR (Tchad, Centrafrique), de la KFOR (Kosovo), de l’ISAF (Afghanistan), de l’EFP (Pologne) et de l’UNIFIL (Liban). Des unités ont été déployées en Lituanie, en Hongrie, et la marine a participé à l’opération « Sea Guardian ». Issus d’une académie militaire de bon niveau (Académie Dr Franjo Tudjman), les cadres sont formés selon les critères de l’OTAN, tandis que la conscription (réinstaurée en 2025) permet de dispenser, sur deux mois, une formation de base à quelque 17 à 18 000 appelés. Sur le plan du matériel lourd, l’armée croate a remplacé ses vieux chars soviétiques et yougoslaves par des Leopard 2A8 ; elle a acquis des blindés de transport M2-Bradley et Patria, ainsi que des avions Rafale et des hélicoptères Kiowa et Black Hawk. Depuis 2013, elle est dotée de son propre fusil d’assaut, de conception croate : le VHS-D2. Par ailleurs, elle dispose ou disposera bientôt de tout un arsenal moderne dont des obusiers PzH 2000, dix-huit canons Caesar, des HIMARS M42, des lance-missiles ou lance-roquettes Tow, Spike, Stinger, Javelin, Mistral 3, MICA, NASAMS, IRIS et Aster, ainsi que de drônes Puma, Orbiter, Skylark et Bayraktar TB2. En trois décennies, l’armée croate s’est transformée d’une force de défense massive et populaire en un corps militaire très professionnel. Même si certains jugent parfois le format un peu étriqué, la mue semble avoir réussi.
Breizh-info.com : Quels ont été les principaux défis auxquels l’armée croate a dû faire face lors de la guerre d’indépendance ?
Christophe Dolbeau : Le premier défi fut tout d’abord de trouver dans l’urgence des armes et des munitions malgré l’embargo décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 1991. Pratiquement créée ex nihilo, la nouvelle armée a dû ensuite, dans un délai très court, former des unités de combat cohérentes (il y aura rapidement une soixantaine de bataillons et brigades), leur donner une instruction minimum, trouver des cadres compétents et coordonner les opérations.
Breizh-info.com : Comment la mémoire de la guerre d’indépendance est-elle entretenue et commémorée dans la société croate ?
Christophe Dolbeau : En Croatie, la guerre d’indépendance ou « Guerre patriotique » est tenue pour un événement majeur dont les protagonistes jouissent de l’estime et du respect de toute la population. Un peu partout des monuments rappellent le sacrifice de ceux qui sont tombés pour la patrie et des cérémonies officielles d’hommage sont régulièrement organisées.
Breizh-info.com : Quelle est la place de l’héritage oustachi dans la mémoire collective croate contemporaine ?
Christophe Dolbeau : L’héritage oustachi est très présent et de manière plutôt positive dans la mémoire de nombreux patriotes qui savent combien la propagande communiste a menti à ce sujet. En revanche, il continue, bien sûr, à susciter les plus vives critiques des nostalgiques de la Yougoslavie titiste. Compte tenu des pressions internationales et des légendes horrifiques qui circulent encore un peu partout, les millieux gouvernementaux (où pullulent les rejetons de l’ex-nomenklatura) affichent quant à eux un anti-oustachisme sans faille. Quelques dirigeants politiques ne sont peut-être pas hostiles, au fond, mais ils le cachent soigneusement afin de ne pas mécontenter leurs homologues et partenaires étrangers. Ils ont en effet une peur panique d’être accusés de sympathies nationalistes ou fascistes !
Monument érigé à Vukovar, en 2014, pour rendre hommage au jeune Français (volontaire dans les HOS) Jean-Michel Nicolier, extrait de l’hôpital de Vukovar et exécuté d’une balle dans la tête (à Ovčara) par un milicien serbe. Le nom de Jean-Michel a également été donné à un pont sur la rivère Vuka.
Breizh-info.com : Comment les autorités croates abordent-elles les symboles et les références au régime oustachi dans l’espace public ?
Christophe Dolbeau : Compte tenu de la posture que nous venons d’évoquer, les autorités du pays sont officiellement hostiles à tout affichage public de symboles oustachis (insignes, drapeaux, monuments) comme à l’usage de chants ou références datant de l’État indépendant croate (NDH). Des poursuites judiciaires sont même prévues pour les contrevenants.
Breizh-info.com : Existe-t-il une réhabilitation implicite ou explicite de l’idéologie oustachie dans certains cercles en Croatie aujourd’hui ?
Christophe Dolbeau : La condamnation et la répression officielles de l’idéologie nationaliste n’empêchent pas de très nombreux Croates de continuer à arborer des insignes et entonner des chants oustachis. Ces derniers étaient même très populaires parmi les soldats durant la Guerre patriotique. Chez les anciens combattants, il existe un groupe non négligeable de gens qui se sont battus (en 1991-1993) dans les rangs des Forces de défense croates (HOS), une milice se réclamant sans ambages de l’héritage oustachi. D’autre part, cette référence demeure de façon explicite celle de plusieurs formations politiques tout à fait légales.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous la popularité persistante de Marko Perkovic, malgré les controverses entourant ses chansons et ses concerts ?
Christophe Dolbeau : Pour beaucoup de citoyens, M. Perkovic est le talentueux interprète du patriotisme croate. On sait bien, en Croatie, que les controverses qui entourent le chanteur émanent de milieux qui ont toujours été hostiles à l’indépendance croate, de revanchards grand-serbes, et de tous les cercles soi-disant progressistes qui régentent abusivement les opinions publiques de nombreux États occidentaux.
Emblème officiel des Forces armées de la République de Croatie
Breizh-info.com : Quelle est votre analyse des accusations portées contre lui concernant la glorification du régime oustachi ?
Christophe Dolbeau : À ma connaissance, M. Perkovic n’a jamais glorifié de quelque manière que ce soit le régime oustachi. Il suffit d’éplucher son répertoire pour s’en convaincre. En fait, ce reproche lui est adressé car l’une de ses chansons (« Bojna Čavoglave »), peut-être la plus populaire, débute par l’expression « Za Dom – Spremni » (Prêts pour la Patrie) qui était en usage dans la Croatie oustachie. Ainsi que l’a dernièrement rappelé M. Gjidara, président du Conseil Représentatif des Institutions et de la Communauté Croates de France (CRICCF), l’usage de cette expression remonte à 1684 ; elle n’a rien de « fasciste » et figure même dans un célèbre opéra de 1866 !
Breizh-info.com : Comment la société croate réagit-elle aux critiques internationales visant Thompson, notamment en ce qui concerne ses concerts et ses paroles ?
Christophe Dolbeau : Nombreux sont les Croates qui interprètent les critiques visant Perkovic-Thompson comme d’une part l’expression d’une croatophobie séculaire et d’autre part comme le reflet d’une vindicte particulière à l’égard de tout ce qui diffère du discours culturel gauchiste ou s’y oppose. On ne voit pas bien ce qu’il y a de si criticable dans les textes d’un artiste qui chante la terre natale, la famille, le patriotisme, la spiritualité chrétienne (il porte toujours autour du cou une médaille de saint Benoît), etc.
Breizh-info.com : Pensez-vous que les critiques à l’encontre de Thompson sont justifiées ou relèvent-elles d’une incompréhension du contexte croate ?
Christophe Dolbeau : Je crois que les virulentes critiques que d’aucuns adressent à Perkovic- Thompson s’expliquent en effet par la véritable rage qu’éprouvent certains de ceux qui prétendent orienter et imposer les choix culturels du public occidental. Il leur est insupportable de voir un artiste réussir et séduire en défendant des valeurs patriotiques et traditionnelles qui sont aux antipodes des leurs. Pensez donc : le chanteur a même été reçu en audience par le Pape Benoît XVI !
Breizh-info.com : Comment interprétez-vous le fait que Thompson ait vendu plus de 500 000 billets pour son concert prévu à Zagreb, malgré les controverses ?
Christophe Dolbeau : Si Perkovic-Thompson reçoit cet accueil enthousiaste, c’est que son message et sa musique pop-rock sont bien ceux qu’attendent et apprécient une majorité de Croates. Que les anciens affidés et thuriféraires de la Yougoslavie, du communisme, et du pseudo multiculturalisme en soient contrariés, voilà qui ne fait que confirmer le choix des fans de l’artiste.
Monument commémorant les patriotes croates massacrés à Bleiburg en 1945
Breizh-info.com : Comment la Croatie gère-t-elle la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’indépendance dans son système éducatif ?
Christophe Dolbeau : La « Guerre patriotique » n’est pas vraiment sujet à controverses et sa présentation, dans le cadre scolaire, n’a jamais posé problème. Il semble exister là-dessus un indéniable consensus entre parents, enseignants et autorités académiques. Les épisodes de la Seconde Guerre mondiale sont en revanche plus délicats à traiter. Il ne s’agirait pas de s’attirer les remontrances des grands gardiens internationaux du dogme… Les manuels s’efforcent donc, avec circonspection, d’exposer les faits de manière plus objective qu’autrefois. L’omniprésente et envahissante hagiographie de Tito a disparu et l’on aborde désormais des thèmes autrefois proscrits ou falsifiés comme les massacres de 1945 (Bleiburg), le procès de l’archevêque Stepinac, les purges intra-communistes ou le Printemps de Zagreb. Les progrès sont sensibles mais il reste toutefois un pas gigantesque à accomplir pour s’affranchir une fois pour toutes des sornettes de la propagande de guerre communiste et des pressions de toutes sortes, et aborder enfin de façon libre, indépendante et honnête l’histoire des Oustachis et de l’État indépendant croate (NDH).
onument à la mémoire des soldats croates morts en défendant la Patrie en 1941-45 (dans les rangs de l’armée régulière de l’État indépendant croate)
Breizh-info.com : Comment les jeunes générations croates perçoivent-elles ces périodes et les figures comme Thompson ?
Christophe Dolbeau : En ce qui concerne la « Guerre patriotique », il semble que les jeunes soient plutôt admiratifs de ce qu’ont accompli leurs parents et grands-parents en 1991-1995. Rares sont les voix discordantes. Ancien combattant de la première heure, Thompson (59 ans) bénéficie de cette aura. Vis-à-vis de la Seconde Guerre mondiale, les opinions sont plus partagées car la société croate a tout de même subi 45 ans de désinformation communiste et 30 ans d’intox démocratique. Incrédules, méfiants ou issus de familles qui savent qu’on a beaucoup menti sur cette période, nombre de jeunes gens cherchent toutefois à en savoir plus et s’associent à la révision de l’histoire de cette époque complexe. D’autres ne se cachent pas d’éprouver une certaine admiration pour les combattants d’autrefois et leurs chefs…
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “Christophe Dolbeau : « Les controverses qui entourent Marko Perković (Thompson) émanent de milieux qui ont toujours été hostiles à l’indépendance croate » [Interview]”
Messieurs, tout ce que vous avez écrit et ce que a dit le prof Dolbeau est juste et vrai et je vous en remercie et félicite de votre ouverture d’esprit et votre courage.