Alors que l’on évoque souvent les révolutions américaine et française comme fondements des idéaux modernes de liberté et d’égalité (à tort quand on connait les conséquences de ces révolutions), on oublie trop souvent qu’un autre soulèvement, survenu en 1798, portait en lui les mêmes espoirs et la même ambition : celui des Irlandais unis, catholiques et protestants confondus, contre l’ordre colonial britannique.
Le 23 mai 1798, à minuit, le signal de l’insurrection fut donné par l’incendie d’un courrier royal en route pour Belfast. Le message était clair : l’Irlande devait se lever.
Une révolte pour une république, pas une guerre de religion
À l’époque, l’Irlande était une monarchie sous contrôle britannique. Trois communautés religieuses y coexistaient : l’aristocratie anglicane, les presbytériens – protestants non conformistes relégués au second rang – et une majorité écrasante de paysans catholiques privés de droits politiques et économiques par des lois pénales discriminatoires.
C’est dans ce contexte qu’était née en 1791 la Society of United Irishmen, société secrète fondée à Belfast qui appelait à l’union de tous les Irlandais, quelles que soient leurs croyances, pour fonder une république laïque sur le modèle des États-Unis ou de la France révolutionnaire.
Leurs revendications ? L’égalité civile et religieuse, la fin du colonialisme, la souveraineté populaire. Leur drapeau ? Le vert, orné d’une harpe, symbole millénaire de l’Irlande. Leur credo ? L’idéalisme des Lumières : “liberté, égalité, fraternité”.
Une tentative de renverser l’ordre établi
À son apogée, le mouvement réunissait environ 250 000 hommes, prêts à l’action. Parmi leurs chefs : Lord Edward Fitzgerald, noble anglican converti à la cause républicaine. Mais le soulèvement fut réprimé dans le sang. Anticipant la rébellion, les Britanniques déchaînèrent la répression : villages incendiés, exécutions sommaires, torture.
Lorsque le signal du soulèvement arriva, il était trop tard : les chefs étaient arrêtés, les communications interrompues, les soutiens français retardés. Le soulèvement, fragmenté, échoua. En octobre 1798, l’Irlande était à genoux.
Une mémoire instrumentalisée
Les autorités britanniques s’empressèrent de présenter l’insurrection comme un soulèvement catholique fanatique contre les protestants. L’objectif était clair : diviser pour mieux régner. Les presbytériens furent “achetés” politiquement par l’Acte d’Union de 1800, qui leur accordait enfin les droits civiques – mais dans le cadre de la monarchie britannique. Les catholiques, eux, restèrent soumis.
Ainsi fut effacée de la mémoire collective l’alliance transconfessionnelle de 1798. Pendant plus d’un siècle, la mémoire des Irlandais unis fut ravivée uniquement par les nationalistes radicaux et les républicains, notamment les Fenians au XIXe siècle, puis les révoltés de Pâques 1916.
Ironie de l’Histoire : ce n’est qu’en 1998, avec les Accords du Vendredi Saint, qu’Irlandais catholiques et protestants se retrouvèrent unis autour d’un projet politique commun fondé sur les droits égaux et la souveraineté populaire.
Deux cents ans plus tôt, en 1798, des hommes avaient déjà porté ce rêve, au nom d’une république irlandaise souveraine, démocratique et fraternelle. Leur insurrection, bien que brisée, a laissé dans l’histoire une trace lumineuse : celle d’une Irlande possible, libérée des chaînes de la division religieuse et du joug impérial.
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