La tension monte entre les deux poids lourds du transport maritime en Manche. Brittany Ferries a déposé une double plainte contre son concurrent DFDS devant le tribunal de commerce de Brest et auprès de la direction générale de la concurrence de l’Union européenne.
En cause : les conditions d’exploitation de la liaison Dieppe Newhaven, confiée à DFDS dans le cadre d’une délégation de service public. L’armateur breton accuse la compagnie danoise de bénéficier d’« aides d’État illégales ». Cette aide, selon Brittany Ferries, compenserait artificiellement les coûts d’exploitation, permettant à DFDS de proposer des tarifs « qui ne reflètent pas la réalité économique » selon un article du journal La Tribune le 22 mai.
La plainte souligne que cette distorsion de concurrence est d’autant plus problématique que, depuis la mise en place d’une taxe carbone en 2024, les coûts de carburant ont fortement augmenté pour les compagnies maritimes. Pourtant, malgré une situation structurellement déficitaire de la ligne, DFDS dégagerait un résultat annuel de 4 millions d’euros, selon la Cour des comptes de Normandie. Brittany Ferries estime son préjudice à 150 millions d’euros sur dix ans.
Une subvention publique au cœur du litige
Le modèle économique mis en place avec DFDS sur cette liaison repose sur une délégation de service public (la seule du genre sur l’axe transmanche) conclue avec le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT), émanation du département de Seine-Maritime. Ce contrat prévoit le versement d’une subvention d’équilibre censée compenser les pertes d’exploitation, selon le journal Paris Normandie. Brittany Ferries affirme que ce mécanisme fausse le jeu de la concurrence.
En 2022, la compagnie bretonne avait proposé une offre commerciale incluant « 50 % de subventions en moins » pour exploiter cette même ligne, sans succès. DFDS a pourtant pris l’ascendant dans plusieurs dossiers récents. Présente depuis 2013 sur Dieppe Newhaven, la compagnie danoise a également remporté la gestion de la ligne Saint-Malo Jersey début 2025, mettant fin à soixante ans d’exploitation assurée par Brittany Ferries. Le tribunal de Jersey a rejeté le recours déposé par l’armateur français.
Navire DFDS. Source : dfds.com
Un rapport de force désormais stratégique
Cette accumulation de revers crée un climat de tension croissante dans les rangs de Brittany Ferries. La perte du marché de Jersey inquiète d’autant plus que Condor Ferries, sa filiale, dépend à 70 % des traversées vers cette île. Dans le même temps, DFDS pourrait ouvrir de nouvelles lignes au départ de Saint-Malo, vers Portsmouth ou Poole, accentuant la pression concurrentielle.
« Ce sont des tueurs », déclarait en janvier dernier Agnès Le Brun, ancien maire de Morlaix et conseillère régionale auprès de France 3 Bretagne. Malgré les aides publiques versées par la Région Bretagne (près de 46 millions d’euros cumulés depuis 2020), la compagnie bretonne peine à tenir face à un groupe coté en bourse, fort de 17 000 employés, et déterminé à s’imposer dans la Manche.
Le litige autour de la ligne Dieppe Newhaven pourrait bien faire figure de précédent décisif pour l’avenir du pavillon français sur ces lignes stratégiques.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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