La scène s’est jouée dans un silence de plomb, un mardi de juin que l’histoire argentine retiendra comme l’ultime acte d’un opéra tragique commencé il y a plus de deux décennies. Le 10 juin 2025, la Cour suprême a mis un point final à la carrière publique de Cristina Elisabet Fernández de Kirchner. La sentence, comme une épée de Damoclès longtemps suspendue, est tombée : condamnation confirmée, inéligibilité perpétuelle, peine de prison entérinée. Le cycle judiciaire, entamé en 2004 dans l’indifférence tiède d’un pays déjà exsangue, trouve enfin sa clôture.
On ne mesure peut-être pas, vu d’Europe, ce que cela signifie. Car l’Argentine, pays de promesses avortées et de révolutions manquées, est aussi celui où la corruption n’est pas un écart de conduite, mais une institution officieuse, le véritable salaire du politique, comme d’aucuns parleraient du solde du militaire. Le cas de Cristina, si spectaculaire soit-il, n’est que l’arbre vénéneux dissimulant une forêt d’intérêts croisés, de clientélismes enracinés et d’alliances mafieuses nouées à l’ombre du drapeau national.
Le kirchnérisme, ce péronisme sous perfusion gauchiste, aura été l’acmé de cette dérive. Néstor d’abord, Cristina ensuite, ont élevé la prévarication au rang d’art de gouvernement. Ils ne se sont pas contentés de se servir dans les caisses de l’État, ils ont méthodiquement reconstruit une économie parallèle, un réseau de loyautés achetées et de silences stipendiés. Le mot « pauta » désigne cette pratique insidieuse par laquelle les médias sont engraissés à coups de subventions publiques, en échange d’une complaisance rédemptrice. Il ne s’agit pas d’une censure brutale, mais d’une domestication lente, feutrée, enveloppée dans le velours tiède de la rente publique.
Dans le petit village de Santa Clara, niché au pied des Yungas, un ami me confiait récemment que les candidats aux municipales versaient des liasses de billets à même les comptoirs, pour s’assurer les voix des indécis. Dix mille euros pour contrôler un hameau rural, preuve, s’il en est, que la corruption n’est pas seulement un cancer des grandes villes, mais un mycélium invisible qui gangrène le tissu national.
Il est vrai que sous la férule des généraux, la chose publique, si elle fut dure et même sanglante, n’en était pas moins tenue. Jorge Videla, dont le nom hérisse les bonnes consciences européennes, n’a jamais, pour sa part, volé un centime. C’est avec la démocratie, ou du moins avec ce simulacre post-1983, que la corruption a repris son essor, jusqu’à devenir le fondement caché du régime. La gauche, dans sa naïveté crasse ou sa complicité cynique, aura offert à cette mécanique infernale sa caution morale et ses réseaux militants. Cristina, en mariant le vol et le verbe woke, aura commis la triple trahison : celle du peuple, celle de la langue et celle de l’héritage de Peron.
Il n’est jusqu’aux couvents qui n’aient servi de coffre-fort improvisé. José López, ancien secrétaire aux Travaux publics, fut surpris, une nuit de 2016, jetant par-dessus le mur d’un monastère des sacs remplis de dollars. L’image résume à elle seule la chute d’un pays : des religieuses, des billets, une nuit, et le silence des anges.
La condamnation de Cristina dans l’affaire Vialidad, confirmée malgré tous les recours dilatoires, ne porte pas uniquement sur ces faits sordides. Elle acte l’existence d’un « système de corruption institutionnel », selon les mots du procureur Diego Luciani. Plus de cinquante appels d’offres truqués, des milliards de pesos évaporés, un entrepreneur complice, Lázaro Báez, devenu l’homme de paille d’un couple présidentiel qui jouait à Robin des Bois tout en détroussant les plus pauvres.
Qu’elle ne connaisse pas à son tour les geôles humides et indignes où sont morts, dans l’indifférence générale, près de huit cents anciens militaires incarcérés sans condamnation ferme, ajoute à l’indécence de cette mascarade judiciaire. Il est probable qu’on lui aménage une prison dorée, un bracelet électronique, et la compassion crémeuse de ses soutiens. Pourtant, pour la première fois depuis longtemps, l’Argentine respire. Le mal n’est pas extirpé, mais il est nommé. Et cela, dans un pays où le mensonge a longtemps servi de devise nationale, n’est pas rien.
Arthur Moeller van den Bruck aurait pu voir dans cette corruption une forme moderne de décadence bourgeoise, la dissolution de la communauté dans l’appétit individualiste. Et Ernesto Laclau, ce chantre du populisme hispanique, aurait sans doute applaudi l’ivresse du pouvoir déguisée en justice sociale. Il n’est pas exclu qu’ils aient, l’un et l’autre, eu partiellement raison.
Le départ de cette femme nuisible, figure chimérique d’un progressisme dégénéré, ne refermera pas les plaies. Mais il permettra peut-être de commencer à les nommer. Et si la politique est, comme le pensait Carl Schmitt, la capacité à désigner l’ennemi, alors ce jour de juin pourrait bien marquer un retournement.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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4 réponses à “Le crépuscule d’une imposture : chute d’une fausse madone argentine”
Que opinas, Balbino ???…
Qu’en pense Balbino Katz ????
j’attends, et avec curiosité et impatience, sa reaction.
Une démocrate de façade démasquée? C’est toute la planète démocrate qu’il faudrait enfin démasquer pour que le peuple respire.
L’Argentine avait un gouvernement »gauchiste » et corrompu!…
Ceux qui jouent avec le feu et surtout avec le pognon des autres finissent par se brûler.