Neuf ans après le drame, la justice a tranché : la cour administrative d’appel de Nantes a reconnu l’État français responsable à 60 % de la mort de Jean-René Auffray, joggeur de 50 ans, décédé en septembre 2016 dans une vasière envahie d’algues vertes à Hillion, dans les Côtes-d’Armor. Une première judiciaire qui établit, noir sur blanc, le lien entre cette pollution récurrente des côtes bretonnes et la mort d’un homme.
Un drame longtemps nié
Jean-René Auffray avait été retrouvé sans vie sur la plage d’Hillion, site tristement connu pour les marées d’algues vertes qui s’y échouent chaque année. Dès l’origine, des doutes avaient été émis sur une potentielle intoxication au sulfure d’hydrogène (H₂S), un gaz extrêmement toxique émis par la décomposition des ulves. Mais il aura fallu neuf années de procédures et d’expertises pour que la justice confirme ce que de nombreux citoyens, associations et journalistes dénoncent depuis des décennies.
Selon les experts cités par la cour, le décès a été causé par un œdème pulmonaire massif et fulgurant, compatible uniquement avec une intoxication aiguë par inhalation de H₂S à très haute concentration. La présence de tels taux avait été mesurée sur place peu après le drame, lors d’investigations menées à la demande du procureur de Saint-Brieuc.
La décision de la cour est sans appel : l’État a failli à ses obligations de protection des eaux contre les pollutions d’origine agricole, notamment en ne mettant pas en œuvre de manière efficace la réglementation européenne. La cour rappelle que la pollution aux nitrates, principalement issue des engrais chimiques et des déjections animales, est la cause majeure de la prolifération des algues vertes.
En conséquence, l’État devra indemniser les proches de la victime à hauteur de 332 843 €, une somme répartie entre son épouse, ses enfants et son frère. Toutefois, la responsabilité de la victime a été partiellement retenue, la cour estimant que Jean-René Auffray, habitué des lieux, avait pris un risque en s’aventurant dans l’estuaire.
Le combat d’une famille et d’une région
Roswitha Auffray et ses enfants ont mené ce combat judiciaire avec courage. Ils saluent aujourd’hui une victoire collective, rendant hommage aux associations écologistes et aux journalistes d’investigation – notamment Morgan Large et Inès Léraud – qui ont brisé l’omerta sur un phénomène longtemps étouffé. Cette reconnaissance judiciaire constitue une alerte sévère pour l’État, déjà condamné par le passé pour son inaction chronique face aux marées vertes.
Depuis les années 1970, des tonnes d’algues vertes s’échouent chaque été sur les plages bretonnes. En 2021, un rapport de la Cour des comptes estimait que plus de 90 % de cette pollution était liée à l’agriculture intensive. Les plans d’action régionaux mis en place depuis 2010 n’ont pas suffi à inverser la tendance.
Avec cette décision, la justice envoie un signal fort aux autorités nationales et locales. Elle confirme que l’inaction environnementale peut tuer, et que l’État devra en répondre. Cette reconnaissance pourrait ouvrir la voie à d’autres contentieux liés aux impacts sanitaires des marées vertes, dont les conséquences sur la santé humaine restent largement sous-estimées.
Le cas Auffray devient ainsi un symbole de l’échec des politiques agricoles productivistes, mais aussi un rappel que la mobilisation citoyenne et judiciaire peut, parfois, faire bouger les lignes.
Illustrations : DR
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