À Montretout comme à Moscou : la querelle des héritiers. À propos de l’enquête de Karl Laske et Marine Turchi pour Mediapart

La famille Le Pen, comme toutes les dynasties où l’argent épouse la politique, a ses secrets, ses rancunes et ses testaments. Rien de très nouveau, sinon que Mediapart, cet organe de presse à l’âme bolchevique et au flair de commissaire du peuple, s’en fait à l’occasion le chroniqueur méticuleux.

Le mérite des journalistes de Mediapart, Karl Laske et Marine Turchi, figures emblématiques de cette gauche en peau de procureur qui n’a jamais su choisir entre la morale de Robespierre et la plume de Jdanov, est d’avoir, cette fois encore, mis leur flair de petits télégraphistes du soupçon au service d’un travail minutieux. D’un zèle qu’on qualifierait de stalinien s’il n’était parfois salutaire, ils tirent une matière solide, fondée sur des documents réels, des pièces notariées, des extraits de comptes et des confidences arrachées à demi-mot. À force de flairer l’or nazi dans chaque coffre et le fascisme dans chaque salon, ils finissent par produire de bons papiers, à leur corps défendant peut-être, mais avec une efficacité incontestable.

Sous leur plume, le site d’investigation lève le voile sur le dernier coup de théâtre du vieux patriarche d’extrême droite : un testament griffonné à l’encre bleue en août 2023, qui confère à sa compagne Jany l’usufruit du fameux manoir de Montretout, au grand dam de ses trois filles, et surtout de Marine.

On pourrait se contenter d’en rire. Après tout, quel autre destin pouvait attendre un clan bâti sur les mythes, les affrontements, les fidélités trahies ? Montretout, ce nom déjà, sent l’opérette et le drame de province. Et pourtant, derrière ce vaudeville notarial se joue un épisode révélateur de la vie politique française. Car si Mediapart n’a jamais dissimulé sa haine pathologique du Rassemblement national, son obsession anti-Le Pen finit, par accident, par produire de véritables pièces d’orfèvrerie documentaire. À force de guetter le faux pas, on finit par capter l’essentiel.

Le mérite des Laske et Turchi est d’avoir montré, documents à l’appui, que l’héritage de Jean-Marie Le Pen n’est pas qu’une affaire de marbre et de parquet ciré, mais un champ de bataille financier. La maison de Saint-Cloud, délabrée et inhabitée, serait valorisée autour de dix millions d’euros. Sauf que Jany Le Pen, forte du testament, entend bien jouir de son usufruit ou le monnayer à prix d’or. Elle réclame un million d’euros ; les filles Le Pen proposent bien moins. Le résultat ? Une vente bloquée, des rancunes attisées, et des procédures à l’horizon.

Le paradoxe est là : les pires adversaires idéologiques des Le Pen sont parfois les meilleurs analystes de leurs conflits internes. À force de traquer la «bête immonde», Mediapart a développé une mentalité d’archiviste obsessionnel, mêlée à une jubilation de greffier. Dans le cas présent, cette obsession donne des résultats : détails notariés, lettres aux banques, anciennes procurations, soupçons de fortune dissimulée, héritages suisses et lingots d’or cachés dans les trusts des îles Vierges britanniques. Un inventaire à la Prévert, ou à la Tracfin, qui fait frémir d’aise les amateurs de secrets bien gardés.

Les journalistes rappellent également l’amertume d’un Jean-Marie Le Pen vieillissant, privé de ses moyens de paiement, s’estimant mis à l’écart par ses propres filles, lesquelles préparaient de leur côté la succession du vivant du père. Des testaments successifs, des querelles larvées, des accusations implicites : c’est tout un théâtre d’ombres qui se dévoile, où l’on ne sait plus si l’on assiste à un drame bourgeois, un règlement de comptes familial, ou un mauvais roman de Simenon.

Ce n’est pas la première fois que la fortune de Jean-Marie Le Pen alimente les chroniques judiciaires. Depuis l’héritage Lambert en 1976, les soupçons d’argent caché à l’étranger, en Suisse, notamment, poursuivent l’ancien tribun. Tracfin, les journalistes, les juges y ont tous mis leur nez. Rien ne fut jamais prouvé, mais les indices, eux, sont là : comptes fermés à la hâte, retraits suspects, comptes croisés avec ceux de Jany Le Pen, et ce fameux trust des îles Vierges, dissimulant quelque deux millions d’euros sous forme d’or.

On retiendra également que l’ancienne candidate à la présidence de la République est, au moment même de ce drame patrimonial, sous la menace d’un recouvrement européen de 181 000 euros, venant s’ajouter à ses condamnations précédentes et aux dettes paternelles qu’elle devra assumer. Elle n’a guère le luxe de maintenir un patrimoine inaliénable, fût-il chargé d’histoire. Il faut vendre. Et vite. Le testament vient donc tout compliquer, tout retarder.

Cette guerre d’héritiers, aussi triviale qu’elle puisse paraître, jette une lumière crue sur les contradictions d’un parti qui se veut incarnation du peuple, mais qui vit comme une famille d’Ancien Régime, où les murs sont tapissés de secrets fiscaux et de conflits de succession. Les Le Pen, comme les Gracques, finiront-ils par s’étriper sous les colonnes du temple ? L’avenir le dira.

En attendant, saluons ce travail de Mediapart, qui montre que la pulsion inquisitoriale, lorsqu’elle s’allie à un solide travail d’archives, peut parfois éclairer au lieu de nuire. Comme quoi, même les chiens de garde peuvent mordre juste, à l’occasion.

Balbino Katz
— chroniqueur des vents et des marées —

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Sociétal

 C’est Nicolas qui paie. Chronique d’un aveuglement : Mediapart, la fiscalité et le refus du réel

Découvrir l'article

Politique, Sociétal

Les larmes du soldat Plenel…ou la déroute joyeuse d’un commissaire politique devenu pleureuse en chef

Découvrir l'article

Politique

Cabale de Médiapart contre Caroline Parmentier (RN). Quand la gauche n’a plus d’idées, elle ouvre les archives

Découvrir l'article

Société

Deux journalistes condamnées pour avoir transféré des fonds à des terroristes islamistes

Découvrir l'article

A La Une, Tribune libre

Cette pétro-masculinité qui menace la planète (je vous jure, ça existe !)

Découvrir l'article

A La Une, Sociétal

Hommage à Dominique Venner. Pour Claude Chollet (Institut Iliade) « Les motifs de l’interdiction reprennent largement ou paraphrasent une bonne partie du dossier » sorti deux heures avant sur Médiapart

Découvrir l'article

Tribune libre

Ocean Viking. Comment Mediapart nous prend pour des c… Analyse de texte

Découvrir l'article

Tribune libre

Affaire Damien Abad. Et si on arrêtait de se torcher avec la présomption d’innocence et le droit ? [L’Agora]

Découvrir l'article

A La Une, Sociétal

Après les attaques de Médiapart, Charles de Meyer dénonce « une guerre menée contre SOS Chrétiens d’Orient depuis notre naissance » [Entretien]

Découvrir l'article

Politique

Présidentielle 2022. Anasse Kazib face à Mediapart

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky