Au Chili, Kast est en route vers la victoire: le miroir dans lequel la droite française refuse de se mirer

Il était un peu plus de quatre heures lorsque je me suis réveillé, tiré du sommeil par on ne sait quel instinct ancien qui pousse les hommes du bord de mer à vérifier l’horizon avant l’aube. La maison était silencieuse sous son toit d’ardoises ruisselantes. J’ai traversé la cuisine, mis de l’eau à chauffer, et préparé une tasse de Ricoré, ce breuvage que les Bigoudens considèrent presque comme un rite matinal. La mer grondait derrière les dunes. Sur l’écran, les premiers résultats du Chili commençaient à tomber.

La veille encore, j’avais marché jusqu’à la pointe de la Torche. Le vent venait du sud et poussait de longues lames blanches jusqu’aux rochers noirs. Là, face à la grande baie d’Audierne, j’avais essayé de deviner ce que les Chiliens allaient décider. Je m’étais figuré Kast en tête. J’ai perdu. Jara, du Parti communiste, surgit avec 26,17 %, juste devant Kast et ses 24,87 %. Franco Parisi, électron libre du paysage politique chilien, suit avec 18,16 %, puis Evelyn Matthei à 13,90 %, Johannes Kaiser à 13,86 %, les autres bien plus loin derrière.

La surprise est donc moins la victoire symbolique de Jara que la solidité de l’ensemble de la droite chilienne, qui additionne ses forces et atteint pratiquement 70%, un niveau rarement vu depuis longtemps. Le Chili, une fois de plus, se révèle pays à deux visages: la capitale penche à gauche, les régions, les terres du travail et des déplacements longs, penchent à droite. Ce contraste, presque topographique, raconte mieux que mille analyses la fatigue d’un pays qui supporte mal l’insécurité et l’incertitude économique.

En remuant ma Ricoré, je songeais que ce phénomène, au fond, n’a rien d’étrange. Les nations ont parfois ce réflexe animal qui pousse à chercher l’ordre avant de chercher la poésie. Le Chili l’exprime ouvertement. Kast, en se concentrant sur la sécurité, sur la maîtrise des flux, sur le concret, se place dans ce registre-là. Son second tour n’a rien d’écrit, mais il part avec un élan que sa rivale n’a pas.

À mesure que j’avançais dans les chiffres, je me suis surpris à penser à la France, non par réflexe comparatif, mais parce qu’un écho presque ironique me sautait aux yeux. Là-bas, la gauche est minoritaire mais parle fort. Ici, elle est minoritaire aussi, mais gouverne encore. Là-bas, la droite se rassemble malgré ses nuances. Ici, la droite se divise par habitude, par pudeur, par calcul ou par timidité.

Les libéraux français refusent d’emblée toute alliance avec le Rassemblement national, convaincus qu’il vaut mieux rester propres que victorieux. Le RN, de son côté, refuse tout accord avec les autres droites, persuadé qu’il gagnera seul, ou qu’il trouvera un improbable salut dans des clins d’œil à gauche. Chacun campe sur son quant-à-soi en feignant de ne pas voir que le pays réel réclame autre chose qu’une chorégraphie d’hostilités civiles.

C’est en refermant ces pages chiliennes qu’une autre idée s’est imposée, presque naturellement, en raison de mes racines argentines et de ce regard double que je porte sur le continent. Si la droite prend le pouvoir au Chili, comme tout semble désormais l’indiquer, alors une opportunité historique surgit, inattendue, presque miraculeuse. Car la Bolivie, l’Argentine et le Chili seraient simultanément gouvernés par des majorités de droite, assumées, désireuses de rompre avec les archaïsmes socialistes qui ont tant usé ces pays.

Cette conjonction n’est pas seulement un alignement diplomatique, mais peut-être l’occasion la plus rare depuis un siècle pour imaginer un avenir commun. Pourquoi, dès lors, ne pas envisager ce que personne n’a osé formuler clairement? Pourquoi l’Argentine et le Chili, séparés par la muraille des Andes et par des décennies de méfiances réciproques, ne chercheraient-ils pas à bâtir un projet commun? Millei et Kast, qui s’entendent déjà, pourraient en être les artisans.

Il suffit de regarder la carte pour y voir l’évidence. Au sud, la montagne s’abaisse, les frontières s’effilochent, les deux pays se regardent presque sans barrière. La Patagonie, cet immense corridor de vents, pourrait devenir une terre de coopération plutôt qu’un arrière-monde d’incompréhensions historiques. Et surtout, dans la projection vers l’extrême Sud, là où les limites ne sont pas encore fixées avec une précision irrévocable, il existe un champ de possibles inexplorés. L’union des ambitions chilienne et argentine dans cette zone pourrait remodeler la géographie politique du cône sud, ouvrir une ère de collaboration économique, énergétique, maritime.

Cela suppose un courage, une vision, un dépassement des vieilles rancœurs militaires et des récits antagonistes, mais l’Histoire, parfois, offre une brèche qui ne reviendra pas. Ce moment pourrait en être une.

J’ai refermé l’écran, la Ricoré encore tiède, et j’ai écouté un instant le bruit du vent sur les ardoises. Il y avait dans ce froissement quelque chose d’un autre âge, comme si la Bretagne elle-même murmurait que les nations, quand elles tardent trop à se souvenir d’elles-mêmes, laissent d’autres écrire leur destin à leur place. Le Chili, peut-être, vient de tendre la main à son avenir. Reste à savoir si la France, elle, acceptera un jour de quitter ses hésitations pour reprendre la mer, non en spectatrice immobile, mais en navigatrice décidée qui ajuste enfin sa voilure au monde qui vient.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected]

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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