Je lisais ce matin, au bar des Brisants, ces longs papiers du Figaro qui prétendent s’émouvoir de la « tentation islamiste » gagnant la jeunesse musulmane en France, comme si l’apparition d’un tel phénomène relevait d’une météorologie hasardeuse, d’un brusque coup de vent tombé du ciel. Les chiffres, pourtant, ne sont un secret pour personne et ils ne tombent pas du néant.
Les jeunes musulmans de 15 à 24 ans fréquentent la mosquée quatre fois plus qu’il y a trente ans, ils jeûnent massivement, ils estiment à 57 % que la charia l’emporte sur la loi républicaine, les filles se voilent trois fois plus qu’en 2003, ils éprouvent à 42 % de la sympathie pour les thèses islamistes. Tout cela est désormais mis en pleine lumière par l’étude de l’Ifop et les reportages alarmés d’Yves Thréard, Jean-Marie Guénois et Richard Flurin. Je les lis, entouré du ressac, des goélands en maraude, du sel qui s’infiltre partout comme une vérité persistante. Et je me dis que le vrai scandale n’est pas ce qu’ils décrivent, mais le fait qu’ils semblent découvrir ce que tout observateur sérieux savait déjà depuis une génération.
À Buenos Aires, où j’ai vécu, on savait que les hommes ne sont jamais interchangeables. Ils portent avec eux un sol invisible, un arrière-pays millénaire qui leur colle à la peau comme une poussière d’origine. En arpentant la rue Corrientes, adolescent, au milieu de ces cafés où l’on discutait de littérature comme on parie sur un cheval, je voyais bien que les immigrés européens, qu’ils viennent de Naples, de Galicie ou d’Andalousie, appartenaient déjà, d’une manière ou d’une autre, à une même constellation civilisationnelle. Ils arrivaient d’un horizon familier, partageaient nos saints, nos lettres, notre façon de nous tenir face au monde. Le vrai défi, à l’époque, concernait ces Levantins que l’on appelait indistinctement les Turcs, parce que leurs papiers portaient le sceau ottoman. Eux venaient d’un autre univers mental. Pourtant, ils se sont fondus dans le pays comme le sucre dans le maté, non par miracle, mais parce qu’ils étaient minoritaires dans un chaudron qui les absorbait totalement. La culture argentine, nourrie de gauchos, de Castillans métissés et d’Européens bigarrés, imposait son rythme, son accent, sa verticalité. On pouvait la contester, la défier parfois, mais elle dominait, et nul n’échappait longtemps à son attraction.
Je ne vois rien de tel dans la France d’aujourd’hui. Le Figaro écrit que « la France doit se reprendre et vite ». Je me demande, face à mon café noir, ce que signifie cette injonction lorsqu’une nation a renoncé à elle-même. Car l’islam n’avance pas en France par la seule vigueur de sa foi, mais parce que la France recule à chacun de ses pas. Les politiques cèdent devant lui, non par conviction, mais par calcul électoral. Ils savent que cette jeunesse ne leur ressemble pas, qu’elle ne partage ni leur histoire, ni leur mémoire, ni même la plus élémentaire familiarité avec le destin français. Ils espèrent pourtant, dans une sorte de chimère démocratique, séduire un électorat qui leur est étranger. Ils modulent leurs discours, effacent leurs mots, se taisent là où ils devraient parler, renoncent là où ils devraient tenir, persuadés qu’une courbette pourra remplacer une politique. Ce n’est pas de la faiblesse, c’est une forme moderne de superstition, l’idée obscure qu’en flattant l’autre on désarmera sa différence.
L’État lui-même cède. Je vois mal quel rempart demeure lorsqu’on accepte que des cantines scolaires se calquent sur les prescriptions de la charia, lorsqu’on renonce à exiger des repas communs au nom d’une tolérance qui n’est plus qu’un euphémisme pour désigner l’abdication. Je vois mal quelle autorité subsiste quand des préfets refusent de faire appliquer la loi sur les abattages rituels, et ferment les yeux au nom d’un fragile équilibre social, alors qu’ils savent pertinemment que cette tolérance dort sur un volcan sur le point d’exploser. Un État qui choisit d’enfreindre lui-même sa propre légalité pour éviter un conflit devient un État prescripteur de sa propre défaite. Chaque renoncement administratif est un glacis de plus offert à l’islam rigoriste.
Les intellectuels n’échappent pas à ce mouvement de recul. Quand j’écoute des géographes parler des « quartiers » pour désigner les zones habitées majoritairement par des populations afro-musulmanes, je reconnais ce langage d’esquive qui ressemble aux périphrases des vieilles cours royales lorsqu’il fallait évoquer une vérité trop pesante. On ne nomme plus, on contourne. On ne décrit plus, on euphémise. Le lexique universitaire devient un voile, non pour cacher l’inconvenant, mais pour voiler ce que chacun voit sans effort. La pensée française s’habitue ainsi à ne plus dire ce qui se voit, par crainte de ce que cela impliquerait. Et, ce faisant, elle rend possible l’enracinement d’un autre imaginaire, celui de l’islam politique, qui exploite chaque espace laissé vacant.
Pour comprendre cet élan, il faut saisir la solitude anthropologique de cette jeunesse musulmane. Un jeune homme dont la famille vient d’un pays où le soleil tombe vertical, où le Coran rythme la vie depuis quatorze siècles, où la tribu précède l’individu et où la charia règne sans partage, comment voulez-vous qu’il se reconnaisse dans la façade pastel d’une mairie bretonne, dans la procession silencieuse d’une messe à moitié vide, dans un pays où les églises, les saints, les pierres levées, les crucifix sont pour lui des signes étrangers, voire hostiles, même lorsqu’il n’ose l’avouer à personne? Il a appris à parler notre langue, il connaît nos usages, il maîtrise nos codes sociaux, mais son paysage intérieur est ailleurs, pétri d’autres ancêtres, d’autres déserts, d’autres vérités.
L’étude de l’Ifop montre que les plus jeunes sont les plus rigoristes. François Kraus parle d’une réislamisation inexorable, comme si c’était un phénomène singulier et imprévisible. Je vois là l’effet d’un déracinement mal accompli. L’être humain, lorsqu’il se sent étranger au monde qui l’environne, se replie sur son noyau indestructible, et ce noyau, pour un jeune homme venu d’Afrique du Nord, ce n’est pas la France, ce n’est pas la République, ce n’est pas la laïcité dont il n’a cure, mais sa religion. Il s’y agglutine comme le marin se raccroche à une planche lorsque son navire sombre. Je comprends très bien cela. Un homme abandonné s’agrippe à ce qu’il a, non à ce qu’on lui propose du bout des doigts.
Le Figaro insiste sur l’influence de La France insoumise, qui façonne patiemment ce jeune électorat par calcul. Mélenchon suit leurs radicalisations successives, les accompagne, les renforce, utilise leur ressentiment comme une pièce maîtresse du jeu politique. Chris Harman, théoricien trotskiste britannique, avait d’ailleurs annoncé dès les années 1990 que l’alliance tactique entre islamistes et révolutionnaires pouvait être fructueuse, car tous deux partageaient une même détestation de l’ordre européen. La jonction entre gauche radicale et islam rigoriste n’est pas une énigme, elle est l’aboutissement logique d’un pays qui ne sait plus distinguer ce qui lui appartient.
J’observe aussi la surprise feinte des journalistes lorsqu’ils découvrent la montée des revendications religieuses. Le port du voile, qui peut atteindre 45 % chez les moins de 25 ans, devient pour eux un symptôme alarmant. J’y vois surtout la conséquence d’une Europe qui ne croit plus en elle-même. L’islam avance en France parce qu’il rencontre un espace moral affaissé, un monde où plus personne n’ose dire ce qui vaut, un pays devenu incapable d’imposer sa propre verticalité. Le spirituel ne disparaît jamais, il change de lit comme un fleuve bifurque lorsque le terrain s’effondre. Là où les cathédrales se taisent, les mosquées bruissent. Là où les pères ont déserté, les imams s’avancent. Là où la France oublie son âme, d’autres âmes s’érigent en alternative.
Je songe souvent, en lisant ces enquêtes, à la parole sombre de Taha Hussein, cette figure majeure du sunnisme égyptien, qui disait que toute civilisation se défend d’abord par son esprit, non par ses lois. Lorsque l’esprit se dissout, les lois deviennent inutiles. La France a pensé que son code pouvait remplacer sa culture, que des papiers suffiraient à créer une appartenance, que la langue, une fois apprise, tuerait les fidélités anciennes. Or, rien n’est plus faux. L’âme humaine n’est pas une page blanche que les institutions remplissent par décret. Un peuple n’est pas une administration, c’est une respiration.
Une civilisation qui renonce à dire ce qu’elle est devient invisible à ceux qui la traversent. Elle perd le droit d’exiger l’assimilation, car elle ne s’assume plus. Pour reprendre une intuition de Carl Schmitt, un ordre politique ne résiste qu’en sachant nommer ce qui le menace. La France moderne refuse de nommer, refuse de distinguer, refuse même de reconnaître sa propre identité. À force de nier la réalité, elle offre son territoire intérieur à ceux qui, eux, savent exactement qui ils sont. Et chaque renoncement, qu’il soit de l’État, des écoles, des médias ou des intellectuels, est un pas de plus qui permet à l’islam d’espérer, non sans une forme d’espoir fou, qu’un jour, peut-être, cette vieille nation cède entièrement.
Je regarde le ressac se briser sur la digue de Lechiagat qui s’avance dans la mer comme une longue pince d’araignée. Le vent emporte les journaux abandonnés sur les tables. Les marins du Guilvinec tiennent leur cap parce qu’ils ont une mer à affronter. La France, elle, navigue sans boussole. Le Figaro déplore la montée de l’islam radical et désigne à juste titre la gauche islamo-progressiste comme complice de cette transformation historique. Je constate seulement que ce mariage d’intérêt n’est que l’expression politique d’un phénomène anthropologique profond dont personne n’a voulu voir l’ampleur.
Sociétés juxtaposées, disent les experts. Je dirais plutôt deux mondes qui se côtoient sans se rejoindre et que l’histoire finira, un jour ou l’autre, par départager. La religion est, pour la jeunesse musulmane, un refuge, une citadelle, un sol de substitution dans un pays où tout lui demeure étranger. Nous, Européens, avons cessé de croire que cette terre était la nôtre. Lorsqu’un peuple n’espère plus rien de lui-même, il laisse son avenir aux mains de ceux qui espèrent encore quelque chose du leur.
Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
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Illustration : DR
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3 réponses à “Le renoncement français, moteur de la conquête islamique”
mettre en place cette “remigration”, alors qu’une grande partie des extra-européens dont vous parlez sont aujourd’hui français ?
C’est une objection récurrente qui relève davantage de l’émotion que de la raison. Il faut d’abord inverser ce postulat : beaucoup de ces extra-européens ne sont pas français ! Sait-on par exemple que le rappeur Maître Gims n’a pas la nationalité française et que d’autres ne l’ont jamais demandé, précisément pour des raisons identitaires ?
La remigration sera un processus progressif qui doit commencer, bien sûr, par l’expulsion systématique des clandestins, des étrangers criminels, des djihadistes, etc. Il faudra ensuite ne plus renouveler les titres de séjour des étrangers qui n’ont pas la nationalité française et, dans le même temps, mettre en place une batterie de mesures incitatives en supprimant toute une série d’avantages qui rendent la France si attractive : allocations et aides sociales, permissivité et laxisme judiciaires, tolérance à l’égard de la pratique de l’islam, etc. Beaucoup d’immigrés rentreront alors chez eux de leur plein gré. Il faut donc s’attaquer à chacun de ces axes, en interdisant par exemple le voile dans l’espace public, la construction de mosquées et le halal, en instaurant la préférence nationale dans tous les domaines…
La remigration est le meilleur moyen d’éviter la guerre civile. Il faut donc la rendre désirable. Obama, au cours de ses deux mandats, a expulsé 1,5 million de clandestins hors des Etats-Unis. Cela ne l’a pas empêché d’être considéré comme un président progressiste.
Les femmes députés LFI sont prêtes à quitter leurs fonctions et revêtir la burka quand la charia s’imposera en France ? Le piège de l’électoralisme facile se refermera sur les mécréants de LFI.
J’ai connu »la France » avant 1981:à cette époque les musulmans venaient en France pour travailler et cherchaient à s’intégrer…puis »on » leur a dit que les Européens les avaient »exploités » et continuaient à le faire!…François Mitterrand a créé SOS RACISME afin que l’on ne puisse pas émettre des critiques sur les musulmans…à ce moment les islamistes ont cherché à prendre le pouvoir en Algérie, le FLN les a persécutés et ces terroristes islamistes sont venus chez nous où ils ont été bien reçus par nos Islamos-Gauchos!…Nos médias avaient ordre de dire » des Jeunes » quand des musulmans caillassaient des F.O., quand ils brûlaient des voitures,etc..les Français qui s’offusquaient de ce comportement des musulmans étaient traités de racistes, de fachos, de nazis, etc…d’ailleurs cela CONTINUE!…