Irlande – Les attentats de Dublin et Monaghan (1974) n’auraient pas impliqué l’État britannique selon le rapport Kenova

Près d’un demi-siècle après l’attentat le plus meurtrier du conflit nord-irlandais, un volet de l’Opération Kenova confirme ce que certains attendaient — et que d’autres redoutaient : aucune preuve directe n’établirait une collusion de l’État britannique dans les attentats à la voiture piégée qui ont frappé Dublin et Monaghan le 17 mai 1974, causant la mort de 33 civils, dont une femme enceinte, et faisant plusieurs centaines de blessés.
Un carnage resté sans procès, sans condamnation, sans responsable désigné.

Les conclusions, issues d’Operation Denton — enquête spécialisée rattachée au dispositif Kenova — se penchent sur l’action du groupe loyaliste UVF (Ulster Volunteer Force), responsable déclaré des attaques depuis 1993. Malgré des décennies de soupçons, d’hypothèses politiques et d’allégations persistantes de complicité entre l’armée britannique, la RUC (police nord-irlandaise) et des paramilitaires unionistes, l’équipe d’enquête affirme ne pas avoir mis au jour de preuve formelle de coordination ou d’aide logistique de l’État dans ces attentats précis.

17 mai 1974 : le jour où l’Irlande bascule

Ce jour-là, trois bombes frappent presque simultanément Dublin, suivies d’une quatrième explosion à Monaghan.

La République d’Irlande, habituellement moins touchée que l’Irlande du Nord, se découvre vulnérable. En quelques minutes, le centre-ville est défiguré, les commerces soufflés, les corps projetés sur l’asphalte.

Plus de 50 ans plus tard, l’émotion reste intacte. Pour beaucoup, l’absence de responsables condamnés nourrit un sentiment d’injustice insupportable.

Le rapport souligne que des questions légitimes subsistent : aucune piste sérieuse n’avait été exploitée immédiatement après l’attentat, très peu d’informations furent transmises aux familles, et des éléments d’enquête ont disparu ou n’ont jamais été communiqués.

Ces lacunes ont alimenté l’idée que Londres aurait fermé les yeux, voire encouragé une action loyaliste destinée à punir Dublin — très impliquée alors dans les discussions autour de la réunification.

Pourtant, les enquêteurs concluent :

  • pas de preuve d’aide logistique ou opérationnelle des forces britanniques,
  • pas d’indication que les services de renseignement aient connu le projet à l’avance,
  • possibilité de collusion non exclue, mais non démontrée.

Un verdict qui, pour les familles, sonne davantage comme une absence de certitude que comme une absolution.

Les bombes auraient été conçues et posées par des cadres UVF expérimentés

Selon Denton, les unités responsables étaient basées à Shankill, Belfast, bastion loyaliste
Elles disposaient des moyens techniques, des explosifs, des véhicules et des contacts nécessaires pour agir sans soutien extérieur.

Le rapport précise également qu’après les explosions, l’armée et la police nord-irlandaise ont bel et bien identifié des suspects potentiels — trop tard pour empêcher les morts. Aucune poursuite n’a jamais abouti.

Denton juge qu’il n’existe plus aujourd’hui de “chance réaliste” d’ouvrir une nouvelle enquête judiciaire complète.

Une nuance importante ressort du document. Si l’État britannique ne semble pas impliqué dans ces quatre attentats, l’enquête confirme l’existence de complicités documentées entre soldats, policiers et groupes loyalistes dans d’autres actions sanglantes des années 1970.

L’UVF aurait bénéficié d’informations transmises par des personnels actifs, notamment dans :

  • l’UDR (Ulster Defence Regiment)
  • la RUC et sa réserve
  • la Territorial Army Volunteer Reserve

Ces éléments sont qualifiés d’« évidences claires de collusion » pour plusieurs meurtres et attentats — mais pas pour Dublin et Monaghan.

Si certains y verront la fin d’un soupçon historique, d’autres retiendront l’essentiel : aucune justice, aucun nom, aucun responsable désigné.

Plus de 50 ans après, les familles attendent encore.

Ce rapport rappelle surtout que le conflit nord-irlandais, officiellement clos depuis 1998, continue de juger les vivants autant que les morts. Et qu’au-delà des armes déposées, l’histoire — elle — n’a pas fini de parler.

Crédit photo : DR

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